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nue d'Afrique, en Sicile; mais comment plus tard, s'est-elle frayé une route jusqu'à la France du nord et l'Allemagne, les pays du continent de l'Europe où elle s'est montrée d'abord? C'est en Normandie que nous nous serions attendus à trouver les traces les plus anciennes de sa présence, à cause des relations qui ont toujours existé entre ce que l'on peut appeler la mèrepatrie et la colonie sicilienne; mais j'ai démontré, dans un précédent ouvrage, que d'autres provinces du nord de la France en avaient fait usage avant elle.

Devons-nous croire à une seconde invention? Mais quand il en serait ainsi, tout ne serait pas encore expliqué; car l'arcade à ogive fut introduite presque en même temps dans plusieurs contrées fort éloignées les unes des autres, et si la nouvelle forme n'avait pas eu quelque antécédent, il faudrait dire qu'elle a été inventée par des personnes différentes et dans des lieux différents, à une seule et même époque. N'est-il pas plus raisonnable de penser qu'on l'emprunta à ceux qui, les premiers, en avaient fait usage, aux Sarrazins, et que c'est aux croisades qu'on dut son introduction dans les contrées du continent de l'Europe? Quoi de plus naturel que cette idée: l'arcade ogivale aura été remarquée par des Croisés, des pèlerins ou des captifs qui, dans le cours de ces guerres saintes, séjournèrent plus ou moins long-temps sur le territoire sarrazin; elle aura fait impression sur leurs esprits, et il s'en sera trouvé qui, à leur retour, auront rapporté avec eux la forme nouvelle dans leurs patries respectives. La date de la premiere apparition de l'arcade ogivale sur le continent de l'Europe, coïncide parfaitement avec celle des croisades.

PLAN

D'un ouvrage intitulé: Histoire du Vandalisme en France, depuis le XVI. siècle, communiqué à la Société Française pour la conservation des Monuments, dans la séance du 24 janvier 1839;

PAR M. REY,

Membre de plusieurs Sociétés savantes.

MESSIEURS,

Assez de vandalisme comme cela s'écriait, durant le paroxysme du vandalisme le plus universel, l'abbé Grégoire lui-même. Mais ce cri contre des excès nés précisément des doctrines dont cet homme était l'un des plus ardents propagateurs, n'a eu pendant trop long-temps, chez nous, que de faibles échos. On peut même dire qu'il n'y retentit réellement que depuis qu'il a été proféré d'une voix forte par le savant appréciateur de l'art au moyen âge, par le Directeur de notre Société pour la conservation des monuments historiques. A force de répéter les mêmes plaintes sous les formes les plus variées, et d'appeler sur les beautés qui brillent dans la plupart des édifices sortis du cerveau créateur de nos aïcux, l'attention des hommes capables de le comprendre, M. de Caumont est enfiu parvenu à faire succéder en France, le goût de la conservation, au génie de la destruction.

Ce n'est pas à dire que ce goût soit général encore, et que nos yeux ne soient plus affligés du spectacle de ces actes de

vandalisme par ignorance, qui sont aussi funestes aux monuments anciens, que ceux d'un mauvais vouloir systématique et raisonné; car des voix non moins faites pour être écoutées, celle de M. le comte de Montalembert et celle de M. le docteur Giraudet, nos honorables confrères, viennent tout récemment de s'élever contre ce besoin de détruire, ou même de dégrader en restaurant, qui n'est que trop souvent le partage de l'administration elle-même.

La Société les a entendues la première, ces voix généreuses et conservatrices parties de son sein, et il n'est personne d'entre nous qui ne se fasse un devoir d'y joindre la sienne, afin d'imposer par un cri général à la destruction et au mauvais goût encore flagrants. Que les uns poursuivent donc leur guerre au vandalisme, et que les autres se chargent de stigmatiser les vandales. J'apporterai pour ma part, dans le commun tribut d'efforts, un livre où je réunirai tant de faits de dévastation, j'y ferai ressortir, par de si nombreux et de si déplorables exemples, le malheur qui résulte, pour l'histoire de nos arts, de la privation de tel ou tel monument anéanti durant nos dissensions passées, monument que cette histoire invoquerait, s'il existait encore, que la rougeur en puisse monter au front de quiconque n'aurait point encore compris ce qu'il y a de honte à faire supporter à d'innocentes et insensibles pierres, la haine dont on est animé contre une religion de paix, contre un passé de gloire.

Je n'ai pu composer l'ouvrage publié en 1837 sur le drapeau, les couleurs et les insignes de la monarchie, sans parcourir la France pour y rechercher dans les vitraux, les peintures et les ornements sculptés des temples chrétiens, des arguments et des preuves à l'appui du jugement que j'avais à émettre. Or je me suis assuré alors de mes propres yeux que tant de ces ornements, de ces peintures et de ces vitraux avaient

été mutilés ; que tant d'autres sur lesquels je comptais encore, avaient disparu tout-à-fait depuis peu; j'ai reconnu conséqueminent que tant de preuves décisives étaient enlevées à mes argumentations, que dès-lors je me dis, l'histoire de ces dévastations est une histoire à faire et je me suis mis à l'œuvre. Le champ est vaste, je le sais, et l'un de nos plus savants confrères, M. de La Fontenelle, de Poitiers, m'a écrit que, pour dire les dévastations des Huguenots dans sa seule province, il faudra un volume. Mais les longs ouvrages ne me font pas peur, et je me lance avec courage dans celui-ci, qui sera certainement l'œuvre du reste de mes jours, quelques longs que Dieu me les fasse. Je vous informe de mon dessein, Messieurs, non-seulement pour que vous connaissiez un exemple auquel je désire des imitateurs, mais pour vous demander des conseils et des communications.

Je me propose d'intituler ce livre : Histoire du Vandalisme en France, depuis le XVI. siècle. Je sais que je ne pourrrai me dispenser d'avouer, au préalable, les torts des Constantin, des Théodose, des Childebert, des St.-Martin, dont la piété, dépourvue de lumières, a détruit tant d'édifices païens qui, sans un zèle si excessif, seraient encore les objets de notre admiration, comme l'amphithéâtre d'Arles, l'arc de triomphe d'Orange, la maison carrée de Nismes, etc. Je serai forcé aussi d'examiner l'époque désastreuse des Sarrazins et des Normands, et de rappeler les ravages exercés au XII. siècle, par les Cottereaux et les Routiers; au XIII., par les Pastoureaux, les Écorcheurs, les Albigeois ; au XIVe., par Jacquerie, sous le roi Jean; les Malandrins ou Grandes Compagnies, sous Charles V ; les Maillotins, sous Charles VI; les Brigues ou la Praguerie, sous Charles VII, etc. ; déprédateurs tellement furieux, qu'il est surprenant qu'après eux, ceux des siècles suivants aient encore trouvé à détruire. J'en

la

parlerai du moins le plus succinctement possible: il n'y avait pas là tant de haine contre les monuments religieux, que de cette ignorance inhérente au malheur des temps. Mais je m'étendrai forcément sur les déprédations du XVI. et du XVIII". siècles, parce que les crimes raisonnés de lèze-archéologie nationale qui les rendent tristement célèbres, sont le fruit de passions qu'il faut flétrir de toute l'indignation de Français, de chrétiens, amis de la religion, des arts et de la gloire de la patrie.

J'ai dit, Messieurs, que j'en appellerais à vos lumières : en effet, nous ne pouvons tout connaître, et quoique les matériaux que j'ai recueillis soient déjà considérables, il y aura tant de recherches à faire pour compléter un tel ouvrage, que si je ne suis point assisté des conseils des hommes qui savent, beaucoup de ces recherches m'échapperont. J'exprime donc le vœu que chaque membre de la Société pour la conservation me signale, soit par notre Bulletin, soit par toute autre voie qui lui conviendra, tout ce qu'il peut savoir de particulier à sa province ou à sa ville, et qui se rapporte à mon sujet, comme faits de destruction, date et circonstances de ces faits, procès-verbaux qui les relatent, s'il en existe, noms de témoins encore vivants qu'on puisse interroger, titres de livres, journaux ou recueils tant anciens que nouveaux, qui traitent soit spécialement, soit incidemment, de destruction, vente, violation ou pillage d'églises, de châteaux, de palais, de tombes, de statues, de tableaux, de bas-reliefs, de vitraux, de trésors sacrés, de châsses, de reliquaires, de tapisseries, d'étendards, de boiseries, de vases, de médailles, d'émaux, d'orfévreries, de pierres fines taillées, de sceaux, de chartres, de titres et parchemins, de manuscrits, de livres, de miniatures, d'emblêmes, enfin de tout ce qui, pouvant être détruit, l'a été par haine de nos institutions ou seulement par ignorance et par cupidité.

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