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attribuée à la cathédrale de Messine, sur les bains publics de cette ville. On ne sait à quelle époque précise, ni pour quels motifs les bains publics cessèrent d'être fréquentés; mais sous le règne des princes Arragonnais, on ne les voit plus mentionnés comme une source de produits pour l'état. Gregorio fait entrevoir que l'usage de porter de la toile sur la peau, qui était devenu géneral à cette époque, peut avoir rendu celui des bains moins nécessaire.

CHAPITRE XXII.

Après avoir analysé les faits divers dont mes recherches en Sicile m'ont procuré la connaissance, je vais maintenant les envisager collectivement, et voir quelles conclusions il est possible de tirer de leur ensemble.

Disons-le d'abord, le style d'architecture que les Normands ont adopté en Sicile, paraît différer totalement de celui dont ils firent usage en France et en Angleterre, et s'éloigner également des caractères qu'ils ont imprimés à leurs monuments de Calabre.

En Calabre, comme en France et en Angleterre, les Normands semblent n'avoir jamais suivi d'autre style que le style circulaire ou roman. Les tremblements de terre qui ont exercé, à diverses reprises, tant de ravages dans les provinces méridionales de la Péninsule, et l'action non moins destructive de la guerre et du temps, n'ont laissé subsister, dans le royaume de Naples, que de très-rares vestiges des édifices bâtis par les Normands; cependant les ruines de l'abbaye de la Ste.-Trinité, dans l'ancienne Mileto, témoignent des efforts qu'ils ont faits pour reproduire les traits de l'architecture romaine, et l'église de Saint Michel, qui fut construite sous

les auspices du comte Roger, et consacrée, douze ans avant зa mort, en 1089, est une preuve de la fidélité avec laquelle ils sont toujours restés attachés aux principes du style circulaire. Nous ne craignons pas de le dire, il est à douter que l'on puisse trouver, en Calabre, un édifice ogival dont la date soit antérieure au temps de l'empereur Frédéric II.

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Allons plus loin si l'on étudie la cathédrale de Messine, les restes de la première église de Traina, le portail de Santo Carcere à Catane, et plusieurs autres édifices Normands de Sicile, on sera conduit à penser que le style circulaire a dû être employé d'abord par le peuple conquérant à l'orient de l'île, et y avoir conservé, pendant quelque temps, son influence; ce qu'il faut sans doute attribuer au voisinage de la Calabre.

On ne peut en même temps révoquer en doute qu'une fois que les Normands eurent achevé la conquête de l'ile, ils adoptèrent, pour les monuments qu'ils bâtirent à Palerme et dans les environs, un style d'architecture tout-à-fait différent de celui qu'ils avaient employé partout ailleurs, un style qui n'était même, à cette époque, en usage chez aucune autre nation de l'Europe, et qu'ils ne l'abandonnèrent jamais dans la suite en Sicile.

Ce fut en 1702, six ans après qu'une autre bande de leurs compatriotes eut fait la conquête de l'Angleterre, que les Normands se rendirent maîtres de Palerme. L'église de San Giovanni dei Leprosi fut bâtie, bientôt après, par le comte Roger, qui mourut en 1101. La construction de ce monument doit donc avoir été contemporaine du roi Guillaume-leRoux.

L'édifice le plus ancien après San Giovanni dei Leprosi est San Giovanni dei Eremiti, Vinrent ensuite la Capella Palatina et la cathédrale de Cefalu. Il n'y a que de très-courts intervalles entre les dates de ces monuments qui sont tous trois

l'œuvre du fils du comte Roger, le premier roi Normand de Sicile. La cathédrale de Cefalu fut commencée en 1132, alors qu'Henri Ier. était encore sur le trône d'Angleterre.

Ils portent, tous, les caractères de l'architecture ogivale. Lestyle que les souverains adoptèrent, leurs sujets le suivirent: nous en voyons la preuve dans l'église de la Martorana et dans le pont de l'Amiral. Les successeurs du roi Roger employèrent aussi le style ogival et l'introduisirent dans les provinces orientales de l'île (1). Peu à peu son usage finit par devenir géné ral, et dans toute la Sicile non seulement les églises, mais les palais et les maisons privées se formèrent d'après ses principes.

Toutefois il est à remarquer que l'architecture ogivale de Sicile a des traits tout particuliers, et diffère à certains égards de celle du Nord. Ainsi en Sicile, les arcades des portes et des fenêtres ne sont pas ornées de moulures saillantes, la face de l'arcade est toujours plate. Les fenêtres n'ont ni broderie ni meneaux, et quand elles sont divisées, ce n'est que par de légères colonnettes.

Ce qu'il faut tenir pour certain, c'est que les Normands, pour abandonner aussi complètement le style dont l'usage leur était familier, ont dû avoir quelque raison particulière. Lors même que toute trace d'édifices plus anciens que les leurs aurait disparu du sol de l'île, nous n'en soutiendrions pas moins que ce fut en Sicile qu'ils trouvèrent les motifs d'un changement aussi remarquable. Mais quand nous avons encore sous les yeux un certain nombre de monuments sarrazins, et qu'ils sont bâtis absolument dans le même style que les édifices normands, il nous est impossible de nous refuser à voir dans ces monuments sarrazins, les modèles que les Normands copièrent. Il n'est personne qui, passant du pavillon sarrazin des jardins de

(1) Maniace, l'extrémité Est de la cathédrale de Catane, la Catolica à Messine, l'Abbadia, etc.

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la Cuba à l'église normande de San Giovanni degli Eremiti ̧ puisse douter un seul instant des rapports de parenté qui nous semblent exister entre ces deux monuments. La billette particulière qui entoure l'arcade du pavillon, est l'original de l'ornement qui s'enroule autour des fenêtres de la cathédrale de Walter, et dans les panneaux extérieurs de la Cuba et de la Ziza on reconnaît le prototype de la tour de Santa Ninsa.

Les édifices encore existants en Sicile prouvent donc :. 1°. que les Normands y pratiquèrent le style ogival; ao. qu'ils devancèrent, dans cette voie, les peuples du continent de l'Europe; 3o. enfin, qu'ils empruntèrent ce style aux Sarrazins. Mais ils voulurent lui imprimer un caractère qui leur fût propre leur architecture fut sarrazine dans ses arcades, romaine dans ses colonnes et ses chapiteaux, byzantiue dans ses coupoles et ses mosaïques, normande et grecque dans ses ornements. Il faut chercher la cause de cette bigarrure de style qu'on ne trouve nulle part qu'en Sicile, dans la fusion sur son sol de plusieurs nations hétérogènes.

Les Grecs qui formaient à eux seuls une grande partie de la population sicilienne, exercèrent à double titre, comme sculpteurs et comme schismatiques, une grande influence sur l'architecture des Normands. C'est à la nature de leurs opinions religieuses qu'est due cette différence qui existe entre les églises bâties par les rois, et celles que fondèrent leurs sujets indigènes. Sous le rapport du plan, les églises grecques se distinguent des églises latines. Les unes sont carrées, les autres onten géneral la forme de la croix. Les souverains de Sicile qui furent tous catholiques romains, adoptèrent, presque saus exception, le plan que l'on considérait comme orthodoxe; mais la plupart des églises plus anciennes, bâties par leurs sujets indigènes dont les ancêtres, en leur qualité de sujets de l'em

pereur d'Orient, avaient embrassé l'hérésie grecque, étaient

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construites dans la forme carrée des églises de Constantinople. De plus, en Sicile, les architectes et les sculpteurs étaient grecs, ils exécutèrent les moulures comme on les exécutait en Orient, avec cette délicatesse, cette régularité et ce fini qui n'appartiennent qu'au ciseau grec.

C'est encore une question de savoir si les mosaïques qui ornent les murs des églises normandes de l'île, sont l'œuvre des Grecs de Sicile ou des Grecs venus de Byzance. Nous n'avons en main, pour arriver à une solution, que très-peu de renseignements précis. Tornamira, dans sa vie de sainte Rosalie, cite un passage de Gianbattista Aurelio, grec de Sicile, qui écrivait sous les rois normands, où il est dit que les artistes que le roi Roger chargea de l'exécution des mosaïques de la Capella Palatina, étaient grecs. Il en est qui, malgré la distinction qu'Aurelio semble avoir voulu établir, prétendent qu'il a entendu parler de Grecs de Sicile. Nous ne nous arrêterons pas à faire remarquer l'incertitude de cette assertion; máis pour arriver à nous former une opinion sur une difficulté qui, après tout, n'est pas d'une bien grande importance, nous devons peser les probabilités, nous devons aussi rechercher quel était, à cette époque, l'état des arts de dessin en Italie et en Sicile.

On sait que les guerres qui déchirèrent l'Italie, furent cause de l'abaissement dans lequel tombèrent les arts, dans cette péninsule, aux X. et XI. siècles. En 1066, quand Desiderius, abbé du Mont Cassin, rebâtit son église, il fit venir de Constantinople des artistes habiles dans les mosaïques (1), et avec leur secours, il institua plus tard une école de beaux-arts dans son propre couvent. Si l'on se hâtait d'en conclure que toute

(1) Leo Ostiensis, lib. III, c. 24. Constantinople était le Paris du moyen âge, l'école de l'élégance et du bon goût, le séjour d'un grand nombre d'artistes habiles à travailler l'or, l'argent, le bronze, l'ivoire.

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