D'UNE EXCURSION MONUMENTALE EN SICILE ET EN CALABRE; PAR M. GALLY-KNIGHT, PRÉCÉDÉE D'UN ESSAI HISTORIQUE SUR LA CONQUÊTE DE LA SICILE PAR LES NORMANDS, Traduction communiquée à la Société Française pour la conser. vation des Monuments, par M. DE CAUMONT, directeur de la Société. AVERTISSEMENT. J'ai annoncé, dans le 4o. volume du Bulletin Monumental (p. 211), que le 5o. volume de ce recueil renfermerait la traduction de l'ouvrage de M. Gally-Knight en Sicile ; les lecteurs du Bulletin ont accueilli avec joie cette promesse; nous nous empressons de les satisfaire. La traduction qui va suivre faite avec soin par M. A. Campion, reproduit dans son entier l'ouvrage de M. GallyKnight. L'auteur a successivement passé en revue les monuments les plus remarquables de Messine, de Catane, de Monreale, de Cefalu, de Palerme ; il en a donné des descriptions claires, précises et complètes; tout ce qui lui a paru mériter quelqu'attention a pris place dans son ouvrage, suivant son importance. Il n'a admis aucun fait sans le discuter, et il s'est entouré des autorités les plus respectables, il a toujours donné les raisons de ce qu'il avançait. A la suite de ses descriptions vient une dissertation intéressante où, après avoir soigneusement étudié les églises de Sicile et en avoir détaillé les caractères architectoniques, l'auteur a recherché en dernière analyse comment ont dû s'introduire dans cette contrée les principes du style ogival, et ce qui en a ensuite déterminé l'adoption dans les autres pays de l'Europe. On voit combien un pareil écrit présente d'intérêt pour les savants qui s'occupent de débrouiller l'histoire et les progrès de l'architecture du moyen âge. Nous sommes convaincus qu'on nous saura gré de l'avoir fait connaître. L'introduction historique est la seule partie de l'ouvrage que l'on aurait pu retrancher, parce qu'elle n'a point absolument trait à l'étude des Monuments Siciliens, mais elle est si concise et si pleine de faits; elle offre un résumé si intéressant de l'histoire des Normands en Sicile que je me serais fait un reproche d'en priver le lecteur. A. DE CAUMONT. LES NORMANDS EN SIGILE. Introduction historique. CHAPITRE Ier. A l'époque où les Normands se montrèrent pour la première fois dans le sud de l'Italie, la plus grande partie de ce qui avait formé l'Empire romain était tombée dans un désordre et un malaise qui en faisaient une proie assurée au premier aventurier qui s'avancerait pour la saisir. Les scènes de la vie réelle, dans ces temps de révolution, ressemblaient à celles d'un mélodrame où les événements les moins vraisemblables sont mis en usage pour frapper le spectateur, et durant lequel les personnages les moins attendus viennent figurer sur le théâtre. L'Italie qui s'était vue à la veille de réunir ses provinces éparses à l'ombre de la domination Lombarde, était retombée de nouveau et pour jamais, grâce à la politique astucieuse de la Cour de Rome, dans le morcellement et la désunion. Les Papes qui comprenaient qu'une fois l'Italie devenue sujette d'une royauté fortement assise, la puissance des successeurs de St.-Pierre se trouverait bientôt réduite à une influence quasi-épiscopale, offrirent l'empire d'Occident à des étrangers assez forts pour briser le sceptre des Lom bards; mais il arriva que ces seigneurs, instruments de l'ambition pontificale, ne purent, tant qu'ils furent absents, réprimer le désordre, et que lorsqu'ils franchirent les Alpes, ils donnèrent plusieurs fois aux Papes sujet de se repentir d'avoir remis l'empire entre leurs mains. A la renaissance de l'empire d'Occident, l'Apulie, la Calabre et la Sicile avaient été laissées sous l'obéissance des empereurs d'Orient. Les deux premières provinces étaient encore gouvernées par des vice-rois appelés Catapans (1), que la cour de Byzance y envoyait à des époques périodiques; mais la Sicile avait été long-temps tenue en-dehors de leur autorité par les armes victorieuses des Sarrazins. A l'occident de la péninsule Italique, les trois principautés Lombardes de Bénévent, de Capoue et de Salerne, l'abbaye du mont Cassin et la république d'Amalfi s'étaient proclamées indépendantes. Naples se gouvernait par ses propres lois, mais reconnaissait la suprématie des empereurs grecs. L'harmonie fut loin de régner toujours entre ces divers petits états, mais ils n'étaient point assez puissants pour se faire, sans une assistance étrangère, tout le mal qu'ils auraient désiré. Tel était l'état des affaires dans cette contrée de l'Europe, quand les Normands y apparurent, non pas comme en France, sous l'aspect d'audacieux forbans, mais en qualité d'émigrés au service d'une principauté italienne. Le résultat cependant fut le même : en Italie comme en France, ils devinrent conquérants et dominateurs. (1) Du mot Catapan, qui veut dire au-dessus de tout est dérivé Captain, Capitaine. Léon d'Ostie observe que le nom de Capitanata, donné à une province d'Apulie, doit venir de Catapanata, surnom sous lequel elle a dû être désignée d'abord. L'an 1003 (1), Drogon, chef normand, à son retour d'un pélerinage à Jérusalem, passa avec quarante de ses compatriotes à Salerne. Durant leur séjour dans cette ville, les Sarrazins vinrent y mettre le siége. Drogon se porta à la tête du peuple et repoussa les assiégeants. Le duc de Salerne, témoin de la bravoure de ces étrangers, les pressa de rester dans ses états. Les pélerins s'en excusèrent pour le moment, mais ils s'engagèrent à revenir. En effet, au printemps suivant, Drogon s'attacha un nombre considérable de hardis aventuriers, revint en Italie, et entra au service du duc de Salerne. Quelques années se passèrent depuis leur arrivée en Italic, durant lesquelles les Normands combattirent à la solde de différents princes (2); le duc de Salerne, le prince de Capoue, l'abbé du mont Cassin payèrent tour à tour leurs services. Mais ils ne tardèrent pas à essayer un jeu plus hardi. Raynulf (3), pour accomplir un vou, s'était rendu avec une partie de la bande à la chapelle de St.-Michel (4), sur les hauteurs du mont Gargano en Apulie. Ils y rencontrèrent Melo (5), noble lombard, sujet de l'empereur de Constantinople, qui avait été exilé de Bari pour avoir trempé dans une conjuration : il leur révéla l'opulence des Grecs et leur faiblesse, et ses récits agirent puissamment sur l'esprit des aventuriers. Les Normands se hâtèrent de rassembler leurs forces, et secondés par les troupes que leur avaient fournies les princes Lombards, qui avaient prêté aussi avidement • Semper adhærebant. Gulielmus Apuliensis. (3) Gul. Ap. (4) La dévotion normande à l'archange St.-Michel est suffisamment attestée par l'application du nom de ce saint à deux montagnes, l'une en Normandie, l'autre dans le Cornwall. (5) Gul. Ap. |