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par Marcovaldo, duc de Ravenne, au milieu des efforts qu'il fit, durant la minorité de Frédéric II, pour s'assurer à luimême la possession de la Sicile.

L'église de Ste.-Marie de Randazzo vient nous éclairer sur l'architecture du temps de Frédéric II, puisqu'il ressort évidemment des inscriptions que j'ai citées tout-à-l'heure, que l'édifice a été rebâti presque en entier sous le règne de cet

empereur.

Vis-à-vis de cette église se voit une porte qui est ornée du chevron normand.

A six milles environ de Randazzo, au-dessous du village de Malvagna, existe encore un de ces quelques vestiges en Sicile de l'existence du Bas- Empire. C'est une chapelle carrée, surmontée d'une coupole en pierre, et à trois des côtés de laquelle on distingue une apside semi-circulaire. Toutes les arcades du monument sont à plein cintre, et ses quatre petites fenêtres ont des têtes rondes. Cette chapelle, toute étroite, toute simple qu'elle est, offre cependant un immense intérêt, en ce qu'elle révèle les caractères du style byzantin originel, et qu'elle indique la source d'où sont dérivés quelques-uns des traits particuliers que l'on découvre dans les monuments siciliens d'une époque moins éloignée.

Au-delà de Randazzo, la contrée est pittoresque et fertile : le chêne et le châtaignier, l'olivier et la vigne y croissent en abondance. A droite se dresse l'Etna; à gauche on entrevoit, dans l'éloignement, une rangée de montagnes.

Nous descendions toujours; arrivés à Lingua Grossa, nous y passâmes la nuit dans une auberge d'une propreté fort équivoque.

2 Septembre. A quatre heures nous étions en route; nous descendimes rapidement à travers une campagne richement cultivée, entrecoupée çà et là de ruisseaux de lave,

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jusqu'à Pié di Monte. De Pié di Monte à Giardini, la descente est encore plus rapide. Arrivés à cette dernière ville, nous nous trouvions au terme de notre course autour de l'Etna. Giardini est justement au-dessous de Taormine, sur le rivage de la mer son délicieux climat, ses oranges, ses rochers vous préparent aux scènes sublimes qui vous attendent plus haut. En sortant de Giardini, nous luttâmes, durant un mille et demi, contre les difficultés d'un sentier en zigzag qui nous conduisit à Taormine. Taormine est située sur une éminence qui plane sur les contrées d'alentour: derrière elle se montrent d'autres hauteurs capricieusement découpées. C'est encore une grande ville qui renferme, dit-on, 5,000 habitants. L'artiste y rencontre, à chaque pas, des sujets pour son pinceau : c'est une galerie intéressante à l'entrée de laquelle se groupent des murailles et des maisons sarrazines, des pins, des palmiers, des orangers; plus loin, beaucoup plus loin, on entrevoit des montagnes et la mer. Certaines maisons ornées d'arabesques blancs et noirs donnent à la ville une physionomie orientale. Mais ce n'est pas là qu'est la plus grande gloire de Taormine. Acheminez-vous vers les ruines du théâtre grec, et là vous verrez l'Etna, mais vous le verrez comme vous ne l'aurez pas encore vu je ne crois pas qu'il y ait dans le monde une scène plus belle; on s'en éloigne avec une de ces impressions qui échappent à la voix du poète, au pinceau de l'artiste. Le théâtre est dans un isolement complet, sur la crête d'une éminence qui, d'un côté, fait face à la montagne et qui,de l'autre, regarde la mer. On se contenterait sans doute d'un pareil tableau : un théâtre grec qui laisse apercevoir, entre ses arcades mutilées, une mer d'améthiste, voilà qui est un vrai trésor. Mais vicut l'Etna, qui déploie dans le lointain sa masse sublime; viennent des groupes de maisons, une forteresse antique, un village cu pain de sucre, des pics, des hauteurs aux formes variées,

disséminés çà et là à l'horison; et quand nous étions là, nous, ne pouvant nous rassasier de cette vue enchanteresse, l'air était embaumé et tiède; le soleil répandait sur la scène ses rayons dorés. Si vous montez à l'emplacement de la rangée supérieure de siéges, vous avez en vue les montagnes et la côte jusqu'à Messine, les anciens tombeaux, les caps, les promontoires; un tableau qui suffirait pour faire la réputation d'une autre ville. Rien, non rien n'est comparable à Taormine.

Bien nous avait pris de nous lever matin, car avant notre retour à Giardini, la montagne, jusqu'à moitié route, s'était couverte de nuages.

De Giardini à Messine, on marche, durant trente milles environ, le long de la côte. La route est bonne. La campagne est semée de vignes et d'oliviers. On rencontre souvent des vues fort intéressantes: il y en a une surtout, à laquelle le fort de San Alessio imprime un caractère tout pittoresque. Il y avait long-temps qu'il faisait nuit quand nous arrivâmes à Messine.

CHAPITRE VIII.

3 Septembre. Dans l'après-midi nous nous décidâmes à faire une courte excursion en Calabre, pour nous enquérir du sort qu'avaient éprouvé plusieurs monuments que nous savions avoir été élevés à Mileto et dans les environs de cette ville, par le comte Roger. C'est à Mileto que ce prince résida le plus souvent, avant la conquête de Sicile; à Mileto que fut célébré son mariage avec la belle Eremberge; c'est encore à Mileto qu'il mourut.

Nous montâmes dans un bateau découvert qui devait nous porter à Palmi, ville située sur la côte, à dix-huit milles cuviron de Mileto.

Une brise légère nous poussa bientôt dans le détroit; nous passâmes sous le rocher si fameux et la ville de Scylla, et, au coucher du soleil, nous atteiguîmes la Scarigatura de Palmi. Le débarcadour n'est rien autre chose qu'un étroit couloir entre des rochers; nous nous y glissâmes tant bien que mal ; une bande d'hommes à mines farouches qui attendait notre arrivée, se rua sur nos bagages; et pour avoir la paix avec nos gracieux commissionnaires, nous nous vîmes obligés de supporter les désagréments d'une marche rapide dans un sentier tortuenx. Il était nuit quand nous entrâmes dans les rues, on pour mieux dire les ruelles de Palmi. On nous conduisit à la meilleure auberge qui n'a d'autre porte que celle de l'écurie.

La nouvelle route publique qui va de Reggio à Naples, passe près de Palmi et traverse Mileto; mais comme on ne trouve à Palmi aucune espèce de voiture, nous fûmes forcés de louer des chevanx pour notre voyage du lendemain. A la pointe du jour nos coursiers étaient à la porte: rien de plus misérable que leurs harnais. De chaque côté de la selle pendaient deux ficelles pourries qui soutenaient chacune un mauvais étrier, et que nous fumes obligés de renouveler, à nos frais, pendant la route. Le tumulte, la confusion et la longueur des préparatifs me firent croire que j'étais encore en Turquie. Enfin nous partîmes, accompagnés de deux guides calabrais à pied. C'étaient des gaillards actifs et bien taillés, noirs comme des maures. Ils portaient des manteaux de couleur rougeâtre, qui ne couvraient qu'une de leurs épaules, et des pantalons courts, dont la blancheur contrastait avec leurs jambes basanées. Ils ne furent occupés durant le voyage qu'à pousser des cris aigus pour animer nos montures, ou qu'à réparer les nombreux accidents qu'éprouvait notre pauvre équipage. Nous ne pûmes presque jamais nous permettre le trot, et pourtant la route que nous traversions était la strada consulare.

Le pays par lequel nous passâmes est partout couvert de bois. Dans les environs de Palmi, la végétation est riche; le bel olivier à fleurs brunes y croît en abondance. Plus loin, on voit des champs de maïs coupé où des troupeaux de petit bétail gris viennent chercher leur pâture, de vastes plaines où les chèvres broûtent le myrte et la bruyère de la Méditerranée. Dans les vallons qu'arrosent des ruisseaux limpides, s'étendent des champs de melons d'eau. Des paysans, assis sous les toits de roseaux de leurs petites huttes, offrent ces fruits au voyageur altéré.

A notre gauche, nous apercevions le golfe de Gioia, et la petite ville de Nicotera, située sur le penchant d'un mont rocailleux. A notre droite, se dressaient dans le lointain les pics sombres des Apennins.

L'intérieur de cette partie de la Calabre est peu habité. Nous vìmes çà et là des maisons éparses et nous ne traversâmes qu'un seul village.

Les quelques voyageurs que nous rencontrâmes étaient tous armés, à l'exception d'un curé de campagne qui cheminait tranquillement sur sa mule, avec le muletier à ses côtés. Un gentilhomme calabrais, qui avançait derrière nous à cheval, nous dépassa bientôt il était suivi de deux domestiques dont les chevaux portaient des bagages. Tous les trois avaient des carabines en bandoulière et des sabres au côté.

Les paysannes que nous vîmes sur la route étaient droites et de haute taille; leurs visages étaient gracieux, leur pean assez belle. Un coupon de toile blanche roulé autour de leur tête, descendait sur leurs épaules et retombait par derrière comme un voile : c'est probablement un reste du costume grec. Elles avaient dans la tournure quelque chose de noble et de fier, qui contrastait singulièrement avec leurs jambes nues et leurs mains calleuses.

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