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avec des renforts, que pour trouver le même sort au pied du mont Pulciano. L'année suivante (1043), Maniaces rentré en faveur sous le règne d'un nouveau prince, fut envoyé en Italie pour changer la fortune de la guerre (1), mais c'est à peine s'il eut le temps de se signaler à Otrante (2) et dans la petite partie de l'Apulie qu'avaient reconquise ses armes, par les plus exécrables cruautés; un autre changement survenu dans le gouvernement de Byzance vint de nouveau interrompre le cours de ses sanglants exploits. Maniaces, au lieu d'obéir à l'ordre qui le destituait du commandement, revêtit la pourpre impériale, et se proclama indépendant. L'empereur Monomachus, à la nouvelle de cet événement, pensa qu'il ferait bien de négocier avec les Normands (3), et de les engager par des propositions de paix et l'appât de magnifiques promesses, à lui prêter aide et assistance contre son sujet rebelle. Rien ne pouvait venir plus à propos pour seconder la fortune et les désirs des Normands. L'intérêt comme la veangeance les disposait à attaquer Maniaces, Ils le forcèrent de se renfermer dans la ville de Tarente, et il saisit la première occasion favorable pour s'embarquer et gagner l'Epire où il comptait poursuivre l'accomplissement de ses ambitieux projets. Mais il y fut rencontré par une armée impériale, et dans le premier engagement, il fut défait et tué (4).

1043. Les Normands victorieux et qui, pour le moment, n'avaient à craindre aucune opposition de la part de l'empereur de Byzance, se mirent sur-le-champ à l'œuvre. Ils se hâtèrent de provoquer une réunion générale de leurs com

(1) Gul. Ap.

(2) Gul. Ap. (3) Gul. Ap.

(4) Cedrenus. Jon. Curopalatas.

patriotes (1), et le premier acte de cette assemblée fut de récompenser la valeur et la prudence de Guillaume, leur capitaine, en le proclamant leur chef suprême, et en le saluant du titre de comte d'Apulie (2). Puis, guidés par ce goût pour les institutions, qui caractérisait si remarquablement les hommes du Nord, ils indiquèrent à Melfi (3) une seconde assemblée plus solennelle que la première, où l'on devait délibérer sur le mode de gouvernement à organiser sur le territoire conquis.

Les décisions qui émanèrent de cette assemblée furent telles qu'on devait les attendre d'une réunion où dominait l'esprit guerrier (4): on décréta l'organisation d'un conseil purement militaire et aristocratique, composé de douze membres élus par l'armée entre ses chefs, et investis de la dignité de comtes. Ils devaient se réunir à des époques indiquées, assister le commandant et magistrat suprême de leurs avis, travailler à la confection des lois, et donner leurs décisions sur toutes les matières concernant l'intérêt public. On proclama Melfi la capitale des états normands (5), la ville commune à tous, et il fut résolu que ce serait là que se tiendraient les séances du conseil administratif. L'assemblée s'occupa cnsuite de la division du territoire conquis (6). Guillaume obtint pour son lot Ascoli, la ville la plus voi

(1) Gul. Ap.

(2) Post hæc, Gulielmo Tancredi filio Comitatus honorem tradentes. Leo Ost. lib. 11. c. 67.

(3) Leo Ost. lib. 11. c. 67.

(4) Omnes conveniunt, et bis sex nobiliores

Quos genus, et gravitas morum, decorabat, et ætas,

Elegere duces; provectis ad Comitatum

His alii parent.

(5) Leo Ost. lib. II. c. 67.

GUL. AP.

(6) Ughelli, Italia Sacra v. vII, p. 166.-Leo Ost. lib. 1. cap. 67.

sine de la capitale; on donna en partage à Drogon, son frère, Venosa; Monte-Piloso à Tristan. Raynulf eut pour lui la contrée où, vingt-huit ans auparavant, il avait avec le Lombard Melo, concerté l'expulsion des Grecs (1). On partagea les autres villes entre les différents autres chefs.

C'est ainsi que l'Apulie Normande fut érigée en état, et cet événement rétablit le calme dans la péninsule; cependant Guillaume Bras-de-Fer ne jouit pas plus d'un an de sa nouvelle dignité. Il mourut en 1045, emportant dans la tombe les regrets profonds de tous ses compatriotes; son frère Drogon lui succéda.

Deux ans après, deux autres fils de Tancrède de Hauteville, Robert et Hubert, arrivèrent de Normandie, par terre (2), sous des habits de pélerins et se joignirent à leurs compatriotes d'Apulie.

Le gouvernement de Drogon était doux et pacifique, et cependant le moment était proche où il devait s'éteindre dans le sang. La noblesse Lombarde et Apulieune ne considérait pas si les Normands se montraient indulgens ou sévères : le joug que leur avaient imposé des étrangers, des soldats par venus, leur devenait de jour en jour plus insupportable; une conspiration s'ourdit en secret, et le poignard, la ressource du lâche, fut choisi pour se soustraire à ce qu'ils appelaient la servitude (3). Le matin du 4 août 1051, le jour de la fête de St.-Laurent, au moment où Drogon sortait avant le jour, pour aller entendre la messe dans l'église placée sous l'invocation de ce martyr, un assassin s'élança de derrière la porte, et frappa le comte lâchement par derrière. Le même

(1) Leo Ost. lib. 11. c. 67.

(2) Sub specie peregrinorum, peras et baculos portantes (ne à Romanis caperentur), in Apuliam abierunt. Orderic Vital. lib. III. (3) Gaufrid. Malat. lib. 1, c. 13.

jour et à la même heure, le sang des Normands coula dans les autres villes d'Apulie. Cependant on n'avait pas immolé assez de victimes. Les cris de liberté des mécontens ne trouvaient que peu ou point d'écho. Humphrey, l'aîné des frères de Drogon, saisit d'une main ferme et rapide les rènes du gouvernement. La tempête se dissipa, et jamais depuis lors, les Normands n'eurent à réprimer une pareille conspi

ration.

Mais ils devaient bientôt se préparer à soutenir une autre choc encore plus formidable que ce dernier. Léon IX s'était laissé aller à voir dans les Normands une puissance dangereuse aux intérêts du trône pontifical (1). Sous cette impression, il eut recours, comme l'avaient fait ses prédécesseurs dans de semblables occurrences, aux empereurs d'Occident, et il obtint d'Henri III le secours d'une armée qu'il entreprit de commander en personne. (2) Les Normands essayèrent de détourner l'orage en descendant aux plus humbles soumissions, mais Léon se montra intraitable, et le 18 juin 1053, les deux armées furent en présence dans une plaine voisine de Civitella. Il paraît que les Normands n'avaient que 3000 chevaux et un petit nombre de fantassins (3): les ennemis allaient combattre quatre contre un. Le combat fut long et opiniâtre Humphrey et Robert de Hauteville firent des prodiges de valeur; enfin l'armée allemande fut entièrement

(1) Gaufrid. Malaterra, lib. 1, c. 14.

(2) Les Allemands, tous de haute stature, comptaient remporter sur les Normands une victoire facile.

Corpora derident Normannica, quæ breviora

Esse videbantur.

GUL. AP. lib. II.

(3) Vix proceres istos equites ter mille sequuntur

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défaite, et le pape resta prisonnier. Les Normands firent voir alors que leur sagesse égalait leur vaillance. L'influence spirituelle de la cour de Rome était immense; ils le savaient, et ils savaient aussi qu'une injure faite au chef de l'Eglise ferait pleuvoir sur eux un déluge de malédictions. En conséquence, au lieu de traiter le pape en captif (1), ils se prosternèrent à ses pieds en implorant son pardon et sa bénédiction. Après quoi, ils l'escortèrent jusqu'à Bénévent où il fit une entrée presque triomphale. Léon IX fut si touché d'une conduite aussi éloignée de celle qu'il attendait des Normands, qu'il leur confirma la possession de tous les pays qu'ils avaient conquis et de tous ceux qu'ils pourraient conquérir encore en Apulie et en Calabre (2); et qu'il contracta une étroite alliance avec les mêmes hommes dont il méditait peu de jours auparavant l'expulsion.

Une fois que cet orage si menaçant eut été heureusement dissipé (3), Humphrey consacra tous ses efforts à consolider la domination Normande en Apulie en veillant au maintien de l'ordre, tandis que son frère Robert, à la tète d'un corps de troupes, poursuivait la conquête de la Calabre et forçait les importantes villes de Catanzaro, de Bisignano, de Cosenza et de Martura, à reconnaître ses lois (4). Dans le cours de ses campagnes, Robert eut souvent recours à des stratagêmes qui lui valurent le surnom de Guiscard ou l'a

(1) Ob reverentiam Sanctæ Romanæ Ecclesiæ, cum magna devotione, ejus provolvuntur pedibus, veniam et benedictionem postulantes. GAUFRID. MALAT. lib. 1, c. 14.

(2) Malaterra.

(3) Ce fut vers le même temps [1053] que Geoffroy de Montbray, évêque de Coutances en Normandie, vint en Italie et obtint de ses compatriotes de riches offrandes qui l'aidèrent à rebâtir sa cathédrale. (4) Maurolycus.

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