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MONSIEUR LE PRÉSIDENT,

MESSIEURS,

La contrée que vous avez choisie pour tenir votre Congrès cette année, a été dans les temps reculés le théâtre des plus anciennes civilisations. Les époques archéologiques s'y succèdent avec suite et dans un ordre frappant.

Les annales de l'humanité se lisent dans son sol, toujours prêt à répondre à l'infatigable curiosité des archéologues qui lui demandent ses secrets. Les explorations multipliées qui ont été faites, n'ont pas eu seulement pour résultat de reconstituer la chaîne de l'histoire depuis l'âge de la pierre polie jusqu'à nos jours elles ont démontré les éléments étrangers qui se sont trouvés en contact avec les produits de l'art indigène, attestant ainsi des relations, des transactions, des luttes avec les peuples helléniques, dont l'influence artistique s'affirme puissamment.

L'art étrusque est représenté chez nous par des objets en bronze découverts dans plusieurs sépultures répandues sur différents points de notre antique Champagne. La céramique a donné également des spécimens qui portent l'empreinte de l'inspiration hellénique. Il est donc impossible d'en douter, l'industrie grecque avait de nombreux contacts avec l'industrie gauloise telle que nous la retrouvons dans la Champagne. De semblables observations ont été faites dans d'autres parties du territoire gaulois. L'art archaïque ainsi constaté est-il simplement le résultat d'une importation purement matérielle, ou bien a-t-il, par une influence artistique, laissé des empreintes sur l'industrie gauloise? Les faits provoquent impérieusement

ces questions qui s'imposent d'elles-mêmes. L'industrie gauloise a laissé des traces nombreuses qui dénotent d'une manière évidente sa présence dans le pays tyrrhénien. Des emprunts nombreux ont été faits à l'art étrusque, qui fut un inspirateur et un modèle fréquemment retrouvé dans l'art gaulois. Ce dernier peut-il revendiquer le même honneur à l'égard de l'industrie ¿trusque? Présentement on ne peut recourir qu'à des conjectures pour résoudre la question. La civilisation, la force matérielle des Gaulois, leurs relations commerciales étendues, paraissent seules inspirer la pensée de le soupçonner. Cependant, M. A. Bertrand a pu dire: «Deux tombes isolées du cimetière de Marzabotto, contenant une épée et une lance en fer qui semblent bien gauloises, sont jusqu'ici les seuls spécimens à nous connus de sépultures appartenant aux conquérants de la Cisalpine.»

Il n'est pas sans opportunité, du reste, d'en faire la mention; la civilisation hellénique constituait un foyer bien plus capable de rayonner sur les peuples voisins que la civilisation gauloise, quel que soit le développement qu'on lui suppose.

L'élément gaulois, il faut le répéter, ne s'est pas encore rencontré dans sa pureté et isolément dans les régions où sa présence a été reconnue. Il ne constitue nulle part dans les pays où il apparaît, une agglomération parfaitement tranchée. C'est, du reste, sous ce même aspect que l'art étrusque se préconise parmi nous.

Il existe dans nos musées et dans les collections particulières, des objets d'art et notamment des vases d'une grande perfection, communément désignés sous le nom de vases étrusques, attestant un art exquis. Telle n'est point l'industrie dont les traces sont si nombreuses dans l'aucienne Gaule, et particulièrement constatée dans les

sépultures de Marzabotto, Villanova, etc., qui paraissent avoir été les centres de cette production. C'est, en effet, à ces nécropoles italiennes que nous devons tous les types propres à nous aider dans le classement des produits trouvés parini nous.

Les objets splendides inspirés par un goût si châtié et si correct, représentent l'industrie grecque dans sa plus haute perfection. Les traces de l'industrie étrusque, que nous remarquons en si grande quantité en Champagne et dans la Gaule en général, pourraient être considérées comme les premiers essais de l'industrie archaïque et une préparation à cet art exquis que nous admirons. Nous ne l'ignorons pas, d'autres l'ont regardé comme la décadence de cet art si admiré. Cette appréciation serait difficile à défendre, car les types connus ne reproduisent nullement l'altération des dessins ou des formes caractéristiques de l'art archaïque arrivé à son dernier perfectionnement. Du reste, indépendamment des motifs qui ressortent de l'examen même des objets, il existe des raisons tirées de leur situation matérielle pour les considérer comme antérieurs. Effectivement, ils ont été retrouvés ensevelis sous les déblais provenant de chambres funéraires appartenant à l'art étrusque le plus avancé. Ces observations ont été faites par plusieurs savants en Italie, à Poggio-Renzo et à Chiusi.

Les produits de l'art désigné sous le nom d'étrusque n'appartiennent donc pas à cette période dont les spécimens sont d'une splendeur exceptionnelle et vulgairement connus sous le même nom.

Ces objets trouvés en Champagne et dans les Gaules en général sont incontestablement antérieurs à l'occupation romaine, aussi plusieurs archéologues les désignent-ils sous le nom de pré-romains.

Les sépultures et les gisements contenant des objets de fabrication étrusque observés en France, en Allemagne et en Belgique, indiquent également une origine préromaine.

Les tumuli de Magny-Lambert sont évidemment gaulois; ils ont fourni à leur savant interprète, à côté d'objets d'un art italiote comme la ciste à côtes, des objets se rattachant très-vraisemblablement à une industrie indigène, à l'art gaulois. Il en est de même des sépultures de la Marne recélant des objets étrusques. Ces tombes sont gauloises, néanmoins quelques-unes ont donné des objets étrusques. Effectivement, M. Morel possède une œnochoé en bronze portant tous les caractères de l'art étrusque, et une coupe grecque, en terre cuite, ornée de personnages. Ces objets, d'origine étrusque, se trouvaient en contact avec des produits appartenant bien certainement à l'industrie gauloise. Cette dernière est représentée par des objets d'une analogie frappante avec ceux qui proviennent des tombes gauloises à torques si purement caractérisées. Il devient donc évident que ces tombes découvertes en si grand nombre sont antérieures à l'occupation romaine, c'est-à-dire pré-romaines. Les sépultures contenant des objets étrusques mélangés à l'industrie gauloise datent de la même époque.

Ces faits, d'une portée qui ne saurait échapper à aucun archéologue, autorisent donc à reconnaître au point de vue de l'art une influence étrusque pré-romaine. La comparaison entre les objets étrusques observés en France, en Allemagne, en Belgique, avec ceux qui proviennent des nécropoles si incontestablement étrusques de l'Italie et considérées nécessairement comme pré-romaines, permet aussi les mêmes conclusions.

La période à laquelle se rattache cette influence paraît

facile à déterminer. L'examen des objets purement gaulois juxtaposés aux produits étrusques constate une date pré-romaine. Les objets étrusques découverts dans la Marne et dans la Côte-d'Or gisaient dans des milieux gaulois du commencement de l'âge du fer, et ces gisements gaulois, enrichis par la présence d'un art étranger, se montraient purs de tout contact avec l'art romain. Rien n'en dénote la présence; et, si on veut nous pardonner la vulgarité de l'expression, il brille par son absence.

Les objets appartenant à l'art étrusque découverts en France, en Belgique et sur les bords du Rhin, ont donc été introduits dans ces régions avant la domination romaine. Nous aurons l'occasion de rechercher dans le cours de ce travail les causes auxquelles il faut attribuer leur présence; il suffit pour l'instant de reconnaître une influence étrusque pré-romaine. Cette influence s'affirme matériellement par la présence seule des objets dans des milieux gaulois, et moralement, par ces imitations, ces emprunts faits à l'art étrusque, dont nous retrouvons si fréquemment les vestiges dans l'industrie gauloise.

L'emploi de l'or dans un très-grand état de pureté, le culte du cheval, l'exposition des morts, l'existence d'une aristocratie chez les deux peuples étrusque et gaulois constituent, dans un autre ordre de choses, un ensemble de preuves bien propre à indiquer des rapports intimes.

L'influence de l'industrie étrusque s'affirme de deux manières, ainsi que nous l'avons déjà fait pressentir : d'abord par la présence des objets fabriqués en Étrurie et importés en Gaule, puis par les imitations et par les emprunts qui ont été faits.

En Champagne, sur le territoire d'Aulnizeux, canton de Vertus, quatre bracelets en bronze ont été trouvés dans

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