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N° 5.

PÉTITION DE M. RAYMOND BORDEAUX, SIGNÉE PAR PRÈS DE

CINQ CENTS NOTABLES D'ÉVREUX.

Mars 1874.

A Monsieur le Ministre des Cultes.

MONSIEUR LE MINISTRE,

Les soussignés, propriétaires et habitants d'Évreux, vous prient de refuser votre approbation aux plans et devis proposés par les architectes de votre ministère pour la cathédrale d'Évreux.

Le plan adopté par le comité des édifices diocésains consiste en effet à démolir complétement toute l'œuvre haute de la nef de la cathédrale d'Évreux et à rebâtir à neuf, et avec une dépense énorme, les sept travées de la grande nef.

Les soussignés réclament avec insistance la conservation intégrale de cet édifice historique, avec son style actuel, ses divers procédés de construction et tous ses

ornements.

Ils demandent que la cathédrale d'Évreux soit conservée telle que l'ont faite les siècles, et qu'au lieu de la démolir elle soit simplement restaurée sans altération.

Ils demandent en conséquence qu'à la place du projet de démolition radicale, un nouveau projet, mûrement étudié, soit dressé pour la simple consolidation.

Ils demandent que de nouveaux architectes, indépendants des premiers, soient chargés de ce contre-projet.

La question est en effet des plus graves pour la ville d'Évreux.

L'intérêt manifeste de la ville et du département est de conserver un édifice historique, justement remarqué par les étrangers, objet de l'étude des gens instruits, et que la population est fière de posséder.

Or, Monsieur le Ministre, si vous autorisiez la démolition de la grande nef de la cathédrale d'Évreux, ce remarquable édifice perdrait évidemment sa valeur historique et monumentale, au grand préjudice de la ville et du dépar

tement.

La restauration n'a rien d'urgent et une décision précipitée exciterait un vif mécontentement dans le pays, car démolir n'est pas restaurer.

Pleins de confiance dans l'attention que vous accorderez à leur patriotique demande, les soussignés vous prient, Monsieur le Ministre, de recevoir l'expression de leur profond respect.

No 6.

LETTRE DU MINISTRE A M. LOUIS PASSY.

Versailles, le 28 mars 1874.

MONSIEUR LE DÉPUTÉ ET CHER COLLÈGUE,

Vous m'avez fait l'honneur de me remettre, vous et M. de Salvandy, en la recommandant à toute mon attention, une pétition d'un certain nombre d'habitants d'Évreux, au sujet du projet de restauration de la cathédrale de ce diocèse.

Suivant ces pétitionnaires, la restauration projetée ne serait qu'une démolition et une reconstruction complète de l'édifice, qui perdrait ainsi de sa valeur historique et

monumentale au grand préjudice de la ville et du département. Ils demandent, en conséquence, qu'il ne soit pas donné suite à ce projet et qu'il en soit dressé un nouveau par d'autres architectes que ceux appartenant à mon administration.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler, Monsieur et cher collègue, que la restauration de la cathédrale d'Évreux n'a été décidée, en 1871, qu'après les instances les plus pressantes, soit de l'autorité diocésaine, soit de l'autorité. civile du département, remontant à plus de vingt ans, et à la suite des craintes qu'avait fait naître l'état des voûtes de la nef, dont plusieurs parties s'étaient successivement détachées.

Vous savez aussi que sur les observations de M. le chanoine Lebeurier et de M. Bordeaux, avocat à Évreux, mon prédécesseur, M. Batbie, avait ajourné la mise en adjudication des travaux, et que j'ai moi-même prescrit une visite nouvelle du monument, en présence de ces Messieurs mis ainsi en mesure d'expliquer les motifs de leur opposition.

Cette visite, à laquelle vous avez bien voulu assister, semblait avoir dissipé toutes les craintes manifestées sur les dispositions du projet. Il avait été convenu que, pour laisser à l'édifice son aspect extérieur, on conserverait autant que possible son ornementation actuelle, et c'est dans ces conditions que j'avais cru devoir inviter, à la date du 2 mars courant, M. le Préfet de l'Eure à procéder, sans plus de retard, à l'adjudication des travaux.

La pétition qui a surgi depuis n'apporte, en réalité, aucun nouvel argument. On insiste sur ce point qu'il s'agit non pas de réparer, mais de reconstruire la nef d'après d'autres données, et d'altérer ainsi les dispositions anciennes du monument. On fait ici à plaisir, on pour

rait le croire, une confusion dans les moyens nécessaires à employer pour la restauration de la cathédrale. Les voûtes de la nef sont dans le plus mauvais état, cela ne fait aucun doute, vous avez pu le constater vous-même. Ces voûtes, par suite de l'écartement des murs, sont déformées; il est donc indispensable d'en reconstruire les parties mauvaises pour en consolider l'ensemble. On ne démolit donc pas là pour détruire, on démolit ce qui menace ruine pour le rétablir dans des conditions de stabilité indispensable.

Je n'ai pas à défendre le mérite de chacun des membres composant le Comité des inspecteurs généraux des travaux diocésains, sous l'inspiration desquels a été rédigé le projet. L'un est membre de l'Institut, et tous les trois sont des hommes éminents dont on ne saurait contester la compétence dans la question qui nous occupe. Il serait donc impossible de trouver, dans de nouveaux choix d'architectes, pour la restauration de la cathédrale d'Évreux, ainsi que le demandent les pétitionnaires, des garanties plus sérieuses d'intelligence et de savoir.

Suivant le compte qui m'a été rendu de la visite du Comité des inspecteurs généraux à la cathédrale d'Évreux, avant d'aller examiner l'édifice une réunion, à laquelle vous étiez présent, Monsieur et cher collègue, eut lieu à l'évêché, dans le but d'entendre préalablement les personnes qui croiraient devoir soumettre des observations sur les moyens de consolidation projetés. MM. Lebeurier et Bordeaux, notamment, avaient été priés de vouloir bien s'y rendre. M. Lebeurier, le seul présent, fit entre autres la critique très-sévère de travaux exécutés à la cathédrale en 1834; il constata qu'une dépense très-considérable avait alors été faite sans avantage aucun pour l'édifice, de

plus en plus en mauvais état, par suite du système défectueux alors suivi dans les réparations entreprises.

Il est parfaitement exact que des travaux très-importants ont été exécutés à la cathédrale d'Évreux de 1834 à 1843; ils se sont élevés à la somme de 157,477 francs. Il est également vrai qu'ils n'ont point arrêté les progrès du mal; mais c'est à tort que M. Lebeurier voudrait en faire remonter la responsabilité au Comité des inspecteurs généraux qui n'existait pas alors, qui n'a été créé qu'en 1849 et définitivement organisé qu'en 1853. Il ne remarque pas, d'un autre côté, qu'à cette époque on a voulu, comme il le propose lui-même, et comme le recommandent les auteurs de la pétition, se borner à faire des travaux confortatifs, et que c'est précisément pour n'avoir pas pris dès ce moment des mesures plus radicales, pour me servir de l'expression des pétitionnaires, que la situation de l'édifice est arrivée à ce point où il n'est plus permis d'essayer des palliatifs sans s'exposer à en compromettre définitivement la conservation.

Je me suis du reste assuré, d'après les plans dont j'ai recommandé l'adoption et que j'ai sous les yeux, qu'il sera donné, ainsi qu'il en a été pris l'engagement devant vous, Monsieur et cher collègue, satisfaction à ceux des habitants qui désirent voir conserver à leur cathédrale les dispositions générales de son architecture actuelle.

Dans ces conditions, et après les plus múres réflexions, je ne vois aucun motif d'ajourner la mise en adjudication des travaux qui est réclamée avec la plus vive instance par l'autorité diocésaine, non moins intéressée à la conservation de l'édifice. Cette adjudication a été indiquée par M. le Préfet, à la suite de mes instructions, pour le 9 avril prochain.

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