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détacher comme on le voit encore aujourd'hui. Or, un dimanche plusieurs parties de ce mortier vinrent à tomber; les fidèles s'inquiétèrent; on fit venir M. Viollet-le-Duc, et il prescrivit immédiatement la confection d'un plancher et le cintrage des arcs, où pas la moindre fissure ne s'était produite. Les charpentiers, avec de lourds madriers, ont traité notre nef comme une chose conquise pour la démolition; l'ébranlement qu'ils ont produit a fait se détacher d'autres parties du mortier. Ces parties ont même entraîné avec elles un ou deux moellons, le 3 août dernier, mais à un seul endroit et toujours près du mur. Partout ailleurs les triangles sont en bon état et sans lézarde. Au moment où M. Viollet-le-Duc écrivait son rapport, aucun moellon ne s'était détaché, quoiqu'il dise le contraire par erreur. Le fait est facile à vérifier, car un moellon ne se détache pas sans qu'on puisse montrer sa place à la voûte.

Le chœur qui a été construit très-solidement et d'un seul jet au XIVe siècle, a sa voûte exactement dans la même situation que celle de la nef. M. Darcy ne propose pas pour cela de le démolir. Les mêmes vides s'y montrent entre les murs et la voûte.

Quant aux contre-forts, que M. Viollet-le-Duc dit être entièrement disloqués, il suffit de les voir pour en juger tout autrement. Sans doute ils ont subi à une époque ancienne un écartement que nous avons déjà signalé; mais leur masse est parfaitement compacte et ne laisse apercevoir aucune fissure. Le mouvement a été, si j'ose dire, régulier, et aucune trace d'une dépression récente n'est visible.

Les arcs-boutants supérieurs sont, il est vrai, dans le plus déplorable état; mais ils n'ont d'autre utilité que de prendre les eaux à la sortie du toit pour les rejeter au dehors.

Les arcs-boutants inférieurs, qui seuls reçoivent la poussée de la voûte, sont dégradés et ont besoin de réparations urgentes. Mais, sauf une ou deux exceptions, leur tension est encore suffisante.

En résumé, l'entretien de la cathédrale a été comme nul depuis 1790. De grandes et urgentes réparations sont partout nécessaires; mais aucune partie essentielle n'est atteinte mortellement. La démolition de la nef, en particulier, est complétement inutile. Rien dans le rapport de M. Viollet-le-Duc n'indique au Comité de MM. les inspecteurs que les arcs de cette nef sont en bon état; en le lisant on reste convaincu que tout se disloque et va tomber; c'est ce qui explique la décision du Comité. Je ne doute pas que mieux renseigné, il ne soit d'un avis contraire. Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'hommage de mon profond respect.

Signé P. F. LEBEURIER.

P. S. Je suis ces jours-ci monté sur les combles de la nef. Les vides près des murs ont été bouchés avec du mortier qui ressemble complétement à celui qui lie les moellons. Aux endroits où ce mortier s'est détaché, le vide réapparaît; mais si, à côté de ce vide, le mortier est resté en place, on ne voit plus entre le mur et lui qu'une fissure de un à deux centimètres, fissure qui n'existe même pas dans les travées voisines des tours.

De plus, il y a environ vingt-cinq ans, on eut l'idée de réparer avec une espèce de ciment, qui devait tenir lieu de pierre, certaines parties de la cathédrale. Le vide de la cinquième travée, du côté du nord, en partant de la tour centrale, fut bouché avec ce ciment. Or, il n'y a aujourd'hui aucune fissure, preuve matérielle et frappante que la voûte de la nef n'a subi aucun mouvement depuis vingt

cinq ans. Il suffirait donc de refaire un rang de moellons du côté des murs pour éviter ces chutes de mortier dont on cherche à effrayer les fidèles.

N° 4.

NOTE LUE A LA SOCIÉTÉ LIBRE DE L'EURE, DANS LA SÉANCE DU 15 MARS 1874, PAR M. L'ABBÉ LEBEURIer.

MESSIEURS,

La cathédrale d'Évreux n'est pas seulement un superbe édifice, la principale gloire de notre cité, elle présente encore un très-haut intérêt au point de vue de l'histoire de l'art, parce qu'elle renferme d'importants spécimens d'architecture de chaque siècle, depuis le xr jusqu'au XVII.

Les arcades des deux dernières travées de la nef, du côté du transept, appartiennent à une cathédrale du XIe siècle, qui avait été dédiée, en 1072, par le célèbre Lanfranc, archevêque de Cantorbéry.

L'édifice ne vécut pas cinquante ans, et fut incendié en 1119, par l'ordre de Henri Ier, roi d'Angleterre, qui faisait alors le siége de la ville. L'évêque d'Évreux, Audin, était dans le camp anglais, et il consentit à la ruine de sa cathédrale à condition que le roi la reconstruirait de ses propres deniers.

Henri Ier exécuta fidèlement sa promesse, il donna de grandes sommes à Audin pour relever l'édifice, et obtint du pape Honoré II, en 1126, l'absolution solennelle du sacrilége qu'il avait commis.

Les arcades des cinq premières travées de la nef appartiennent à cette cathédrale du XIe siècle. On voit même

encore aujourd'hui, au-dessus du vestibule, dans la tribune de l'orgue, une travée entière conservée jusqu'à la naissance de la voûte ou du lambris qui en tenait lieu.

Au-dessus des arcades inférieures règne une arcature composée d'arcs à plein cintre qui s'entre-croisent et portent sur des colonnes. Les entre-colonnements sont ornés de fleurons et de figures grotesques d'un style imposant. Au-dessus de l'arcature s'ouvraient de larges fenêtres à plein-cintre, aujourd'hui bouchées. Une voûte aussi à plein-cintre dont il ne reste aucune trace, ou peut-être un lambris plat, couvrait la nef. Cette dernière hypothèse expliquerait la fréquence des incendies et la gravité de leurs résultats.

La cathédrale d'Audin et de Henri Ier ne dura que soixante-neuf ans. En 1195, Philippe-Auguste, irrité de l'odieuse trahison de Jean sans Terre, qui avait fait massacrer trois cents Français en garnison à Évreux, s'y rendit précipitamment avec une partie de son armée. Le château d'Évreux étant encore dans ses mains, il pénétra promptement dans la ville, et à son tour il fit passer au fil de l'épée les Anglais et les bourgeois, incendia les édifices et en particulier la cathédrale.

Le traité du Goulet (22 mai 1199) termina définitivement la guerre. Évreux et son comté furent cédés à la France comme dot de Blanche de Castille, mariée à Louis, fils ainé du roi. De grands biens dans le comté (entre autres Acquigni et Aulnay) furent donnés par PhilippeAuguste à son plus intimne conseiller, Barthélemi de Roye, et un parent de Barthélemi, Robert de Roye, occupa le siége d'Évreux de 1202 à 1203.

Quoique le roi de France n'ait pas manifesté les mêmes scrupules que Henri Ier, et que l'histoire ne mentionne

point d'absolution de sacrilége donnée par le pape, il est impossible d'admettre qu'à une époque où la foi religieuse était si puissante, Philippe-Auguste ne se soit pas empressé de réparer le mal qu'il avait fait. Évreux, d'ailleurs, était devenue une ville française souvent visitée par le roi, dont la présence y est constatée par des signatures de chartes en 1200, 1203, 1206, 1207, 1211 et 1218. De plus, la reconstruction de la cathédrale pendant l'épiscopat de Robert de Roye (1202 et 1203) est prouvée par ce fait que le prélat obtint du Pape Innocent III une bulle d'indulgence en faveur des fidèles qui contribueraient, par leurs aumônes, à cette bonne œuvre.

Nous ne pouvons douter qu'il ne s'agisse des parties hautes de la nef, car la partie inférieure n'était pas détruite et subsiste encore aujourd'hui. La nef et ses bascôtés formaient presque toute la cathédrale, puisque le chœur, du XIIe siècle, dont feu M. Bonnin a retrouvé les fondations, était extrêmement court; dès lors on ne pouvait pourvoir aux besoins du culte et des fidèles qu'en se hâtant de reconstruire la partie supérieure de la nef.

Dans le cours du XIIIe siècle, on bâtit les chapelles de la nef que M. Viollet-le-Duc attribue au xve siècle. Pour m'expliquer une erreur aussi grave, je dois supposer que le célèbre archéologue a regardé ces chapelles d'assez loin et du dehors. Quand, en effet, de la place publique ou de la cour de l'évêché on regarde les chapelles à une certaine distance, tout ce qui frappe les yeux les moulures prismatiques, la partie inférieure des contre-forts, les meneaux flamboyants des fenêtres, les gâbles qui les surmontent, tout indique la fin du xve ou le commencement du XVIe siècle. C'est qu'alors, en même temps qu'on consolidait les contre-forts et qu'on arrêtait l'écartement des murs de la grande voûte, on enveloppait pour ainsi dire toute

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