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de tous les palliatifs avec plus ou moins d'adresse; il faut, aujourd'hui, si on prétend la conserver, prendre des mesures réellement efficaces. Sinon, on court le risque de dépenser encore des sommes relativement considérables, sans améliorer notablement la situation.

M. Darcy se rendit complétement aux raisons que je lui soumettais, et rédigea le projet que le Comité doit examiner aujourd'hui.

Le Comité ne sera pas trop surpris si des observations ont été faites sur ce projet par des personnes étrangères à l'art de la construction, et qui ne voient, dans la restauration de nos édifices, qu'une reproduction, sans examen ni critique, des anciennes formes, si vicieuses qu'elles soient. Certes, il est fort périlleux, lorsqu'on restaure un vieux monument, d'entrer dans la voie des modifications, sous prétexte d'amélioration; mais lorsqu'il s'agit d'une reconstruction, il serait puéril de reproduire une disposition éminemment vicieuse et pouvant conduire à des déceptions.

D'ailleurs, et même en traitant la question à ce point de vue, toutes les œuvres hautes extérieures de la cathédrale d'Évreux ont été remaniées tant de fois, qu'elles n'ont aujourd'hui, au point de vue de l'art ou de l'histoire de l'art, aucune valeur. Les arcs-boutants, notamment, ne conservent peut-être plus une seule pierre de leur construction primitive, et rien ne prouve que leur courbure actuelle soit celle que l'architecte de la fin du XIIIe siècle avait adoptée.

J'ajouterai que cette structure irrationnelle, mal faite, hors de proportion avec l'objet, est d'un pitoyable effet; que celle proposée par M. Darcy est, au contraire, satisfaisante pour la raison et pour l'œil, et qu'elle n'entraîne pas à des dépenses inutiles.

Je propose au Comité de l'adopter.

Pour reproduire exactement la disposition actuelle des arcs-boutants, il faudrait augmenter notablement la section des culées, donc modifier et alourdir singulièrement l'aspect général de l'œuvre, puis user d'artifice pour trouver un point de résistance à la tête de ces arcs-boutants s'appuyant aujourd'hui sur le vide.

Ce ne serait donc pas 538,000 francs qu'il faudrait dépenser, mais une somme plus importante encore, et cela pour n'obtenir qu'un résultat pitoyable au point de vue de la structure et de l'art.

Cette construction, mal établie, je le répète, a fait son temps; il faut donc procéder suivant ce qu'indiquent l'expérience et la raison pour l'améliorer, puisqu'il est nécessaire de la reprendre d'une manière radicale.

M. Darcy a divisé son projet de restauration en trois chapitres principaux, par ordre d'urgence:

Le premier comprend la restauration des œuvres hautes de la nef et des couvertures des bas-côtés, d'après un système déjà expérimenté et qui a donné de très-bons résultats.

Le deuxième chapitre comprend la restauration du chœur, suivant les mêmes principes.

Le troisième chapitre a pour objet la restauration des deux tours, du porche et de diverses parties de l'édifice. Je propose d'adopter l'ensemble de ce projet, dont les devis sont bien étudiés, et d'autoriser l'exécution des travaux compris dans le premier chapitre, au moyen des ressources spéciales réservées sur le budget des cultes.

Signé: VIOLLEt-le-Duc.

Le Comité, après avoir entendu le rapport ci-dessus, et

examiné les plans présentés par M. l'architecte Darcy, adopte entièrement les conclusions de M. le Rapporteur.

Pour extrait conforme :

Le Secrétaire du Comité,

Signé BERTHEAULT.

N 2.

LETTRE DE M. RAYMOND BORDEAUX.

MONSIEUR LE MINISTRE,

La mise en adjudication des travaux de maçonnerie et de charpente autorisés par votre prédécesseur à la cathédrale d'Évreux, a jeté la consternation dans la ville, en faisant connaître les projets de l'architecte qui va rebâtir absolument à neuf tout le premier étage de la nef et remplacer, par une copie très-modifiée, un monument original des plus intéressants pour l'histoire de l'architecture normande.

Travaillant depuis plusieurs années à une monographic complète de la cathédrale d'Évreux, monographie pour laquelle j'ai réuni des dates certaines et d'abondants matériaux, j'ai étudié pierre par pierre cette remarquable et élégante église, et je ne puis découvrir la raison pour laquelle on va dépenser un demi-million de francs à changer un monument qui ne demande que des réparations partielles.

Je sollicite de votre haute autorité, Monsieur le Ministre, un examen nouveau de l'état de la cathédrale d'Évreux.

Des photographies vous feraient voir que les dislocations figurées sur les dessins joints au devis, sont exagérées et n'existent pas sur plusieurs travées entièrement intactes.

Je viens donc vous demander d'ordonner le sursis de l'adjudication affichée pour le 28 juin et en tout cas de refuser votre approbation à cette adjudication, jusqu'à l'issue d'une enquête sur la possibilité de conserver la cathédrale d'Évreux dans son intégrité historique, sans la démolir et sans la rebâtir avec des matériaux nouveaux et avec un caractère différent.

Comme les devis seuls ont été mis à la disposition du public, et que le rapport où l'architecte a dû motiver ses projets m'est absolument inconnu, il m'est difficile d'entrer ici dans une discussion. Je me bornerai seulement à attirer votre attention, Monsieur le Ministre, sur les points suivants :

1o La charpente actuelle de la cathédrale d'Évreux jouit dans le pays d'une réputation légendaire, l'ancien chapitre d'Évreux ayant eu le droit de prendre dans la forêt d'Évreux les bois à son choix. Il serait donc bon de faire connaître les raisons pour lesquelles cette charpente va être remplacée par une charpente d'un nouveau système.

2o Les collatéraux et les chapelles ont actuellement pour couverture un dallage en pierres dures de grande dimension, aisé à nettoyer et à surveiller, puisqu'on circule dessus, et qui ne donne prise ni à des végétations ni à des accumulations de neige. Ce dallage a suffi depuis sa construction, pour mettre à l'abri de toute infiltration la majeure partie des voûtes. Parce que, dans ces dernières années, par suite du mauvais entretien de ce dallage, quelques portions de voûtes ont été mouillées, le projet

propose de détruire entièrement cette couverture qu'il serait peu coûteux de réparer, et après l'avoir complétement arrachée, de la remplacer à grands frais par un système de chéneaux et de caniveaux, de l'effet le plus laid et dont le résultat le plus probable sera d'accumuler la neige et les détritus de toute sorte.

Le chiffre très-élevé de la dépense pour cette nouvelle toiture, la qualité inférieure des matériaux indiqués au devis et le peu de garantie que présente ce système contre la pénétration de la pluie, seraient une raison suffisante pour que vous fassiez examiner plus à fond cette partie du projet.

3o Quant à la démolition radicale des sept travées de la nef, la gravité de ce fait, au point de vue archéologique, n'échappera pas à votre attention. Les voûtes de la grande nef d'Évreux ayant très-peu de portée, puisque cette nef est extrêmement étroite, on ne comprend pas comment un architecte ne trouve pas le moyen de les consolider, les mouvements n'ayant atteint qu'un seul des arcs doubleaux et ne portant au surplus que sur les parties secondaires des voûtes.

Mais en supposant que la reconstruction des voûtes des quatrième, cinquième et sixième travées, en partant du chœur, fût jugée opportune, il n'y aurait pas là une raison suffisante pour démolir les trois premières travées où aucune dislocation sérieuse ne s'est encore manifestée, ni pour détruire la septième travée, celle où est l'orgue et qui est vigoureusement soutenue entre les deux tours.

Il est évident que l'on ne démolit ces quatre travées dont la solidité frappe tous les yeux, que pour les rendre désormais semblables aux trois travées nouvelles, et cela pour changer le système et les proportions des contreforts.

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