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et les chanoines d'Évreux qui sont sévèrement consignés. Quoique le secret franc-maçonnique soit ainsi pratiqué, des indiscrets sont parvenus à soulever les coins du voile et ne se sont fait aucun scrupule de conscience de violer un secret qui est une insulte aux idées modernes. Nous laisserons à d'autres la révélation de ce qui s'est passé relativement à l'orgue, des procédés employés dans la construction, la pose des pierres, les mortiers ce n'est pas notre affaire. Nous terminerons cependant en disant que, dans toutes les branches de l'administration publique, la publicité est la meilleur des cautions.

M. Lebeurier demande ensuite la parole et insiste avec une grande énergie sur l'hérésie artistique commise par le nouvel architecte diocésain, qui n'a trouvé rien de mieux que de placer des dais au-dessus des gargouilles ; appliquant ainsi une décoration réservée aux saints et aux grands personnages, à ce qui, dans le symbolisme du moyen âge, est destiné à représenter le démon et ses instruments.

Sur le proposition de M. le président, appuyée par un grand nombre de membres présents, la réunion, émet le vœu unanime que les travées de la nef, non encore attaquées par la restauration projetée, soient conservées dans leur état actuel.

La séance est levée à onze heures.

Le secrétaire,

Vte D'ESTAINTOT.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

N° 1.

COPIE DU RAPPORT FAIT AU COMITÉ,

PAR M. VIOLLET-LE-DUC.

Depuis longtemps, l'état des constructions de la cathédrale d'Évreux était tel que des réparations importantes semblaient nécessaires. Pendant les dernières années qui viennent de s'écouler, il s'est manifesté, dans ces constructions, des mouvements qui ont paru assez inquiétants pour préoccuper vivement l'administration des cultes. A la fin de l'année 1871, je fus envoyé à Évreux pour examiner l'édifice et pour donner un avis sur les précautions à prendre immédiatement afin d'éviter des accidents graves. En effet, des moellons s'étaient détachés de la voûte de la nef, et étaient tombés sur le pavé de l'église, heureusement sans blesser personne.

Toutefois, on avait cru devoir interdire le parcours de la nef aux fidèles, et cette mesure était sage.

Il est nécessaire de rendre compte des causes qui ont déterminé ces mouvements.

La nef de la cathédrale d'Évreux a été bâtie vers la fin du XIIIe siècle, sur des piles d'une église du XIIe siècle. Ces constructions furent établies par un architecte évidemment peu expérimenté et à l'aide de moyens insuffisants ou mal combinés. Cette nef du XIIIe siècle était alors dépourvue de chapelles, conformément aux dispositions habituelles à cette époque, et les contre-forts, destinés à

recevoir les arcs-boutants propres à maintenir la poussée des voùtes, suivaient la ligne verticale (rouge) tracée sur la coupe jointe au rapport de M. Darcy. Ces contre-forts mal plantés (plusieurs ne sont pas dans le plan des arcsdoubleaux qu'ils devraient contrebuter) (1), bâtis en matériaux légers, trop élevés par rapport à leur base, furent surmontés d'une double rangée d'arcs-boutants. Si les arcs-boutants inférieurs étaient à peu près placés au point de la poussée des voûtes, les arcs supérieurs étaient bandés beaucoup au-dessus de cette poussée et n'avaient d'autre effet que de solliciter les contre-forts, déjà trop grêles, à sortir de la verticale.

Cependant les voûtes de la nef de la cathédrale d'Évreux n'ont que sept mètres d'ouverture, la section des piles qui reçoivent leur retombée est forte (140). Il paraissait donc étrange que des voûtes d'une aussi faible portée pussent produire une action de poussée sur des arcsboutants qui ont quatre mètres de rayon. Mais le fait était patent, ces voûtes s'écartaient d'une manière sensible, et ce mouvement ne cessait de se produire. De là ces chutes de moellons sur le pavé de la nef.

Ayant donc examiné attentivement sur place les effets qui s'étaient produits, j'eus bientôt l'explication des désordres signalés et qui résultent:

1° Du tracé défectueux des arcs-boutants;

2o De la mauvaise construction de ceux-ci;

3o Des reprises maladroites faites à diverses époques, et, notamment, vers le commencement de ce siècle.

(4) Ces contre-forts n'étant que la partie supérieure des murs qui séparent les chapelles, et M. Viollet-le-Duc ne détruisant pas ces murs, les nouveaux contre-forts qu'il établira au-dessus seront aussi mal plantés que les contre-forts actuels.

La courbure des arcs-boutants inférieurs est trop prononcée, la naissance de ceux-ci trop haute et leur section trop faible.

Les arcs-boutants supérieurs, loin de consolider l'édifice, appuient leur tête sur le vide, et leur naissance pousse sur une culée dont la section est trop faible; si bien qu'ils s'affaissent en chassant cette culée. Sollicités par la déviation des contre-forts, les arcs-boutants inférieurs se brisent au point faible et ne contre-butent plus les voûtes.

Au xve siècle, des chapelles ont été bâties entre ces contre-forts, et, au-dessus des voûtes de ces chapelles, les architectes ont accolé un renfort en avant des culées dans l'espoir de les consolider. Mais ce travail, fait sans soins, grossièrement, et sans relier la nouvelle bâtisse à l'ancienne, n'a fait que développer le mal déjà produit avant cette reprise.

Plus tard, on a essayé de réparer les arcs-boutants qui jarretaient, mais ces ouvrages, exécutés sans aucune intelligence, ont encore contribué à aggraver le mal.

Aujourd'hui, les arcs-boutants, par les motifs déduits ci-dessus, entraînent plutôt les voûtes qu'ils ne les contrebutent, car on observera que leur tête repose sur des colonnettes, étais qui se brisent ou s'inclinent de telle sorte que les parties au-dessus de ces colonnettes, ne se trouvant pas contre-butées, à cause du mauvais tracé des arcs-boutants, sont deux poids qui, placés à l'extérieur, entraînent d'autant les voûtes dans leur mouvement d'écartement.

En présence de cet état de choses, le plus pressé était de cintrer ces voûtes, et c'est ce que je crus devoir prescrire immédiatement, afin de conjurer tout péril.

L'administration nomma M. Darcy architecte diocésain

d'Évreux, en le chargeant d'étudier un projet de restauration de la cathédrale. Je fus invité à m'entendre avec cet architecte pour la rédaction du projet. Je lui fis part de mes observations, que ses études et relevés sur place ne firent que confirmer.

Il résultait de ces observations et relevés que la reproduction exacte de l'état actuel ne pouvait parer aux vices de la construction, et qu'il fallait adopter franchement un parti offrant les garanties de solidité et de durée que l'on ne saurait négliger sans compromettre les finances de l'État, la responsabilité de l'administration et celle de l'architecte.

Il demeure évident :

1° Que la section des contre-forts, très-suffisante pour recevoir un seul arc-boutant, ne l'était pas pour servir de culée à deux arcs-boutants;

2o Que ce second arc-boutant est plus nuisible qu'utile, puisqu'il vient appuyer sa tête dans le vide; que, dès lors, il convenait, dans l'intérêt de la conservation de l'édifice, qu'on n'élevât qu'un seul arc-boutant, très-suffisant pour contre-buter une voûte d'une aussi faible ouverture, en donnant à cet arc-boutant une courbure commandée par la résultante des pressions de cette voûte.

Il n'est pas moins évident que l'état des voûtes exige leur reconstruction, en employant les matériaux qui pourront être reposés, celle des contre-forts disloqués entièrement, et, par conséquent, celle aussi des piles et colonnettes déversées, des couronnements et de la charpente.

C'est-à-dire, en un mot, que l'état actuel de l'édifice exige une reconstruction complète des œuvres hautes. On a, depuis le xve siècle, pour maintenir cette nef, usé

XLII SESSION.

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