Page images
PDF
EPUB

pale question qu'il y avait à résoudre (1); » par là aussi ils condamnaient les travées demeurées debout, car il devenait nécessaire de les reconstruire sur de nouvelles dispositions pour les mettre en harmonie avec l'œuvre de MM. Darcy et Viollet-le-Duc.

La Société française d'Archéologie pour la conservation des monuments ne pouvait, dans cette circonstance, manquer de faire appel aux traditions que lui a léguées son illustre fondateur, M. de Caumont. En 1874, le Bulletin monumental publiait trois articles au sujet de la cathédrale. Le premier (page 484) reproduisait, sous le titre de Vandalisme à Évreux, une protestation du Courrier de l'Eure et une note sur la situation en juillet 1874 (2); le second (page 687), une note de la Gazette de Normandie, favorable à la cathédrale, et accorapagnée de cette remarque de M. de Cougny: «Espérant contre toute espérance, j'aime à me persuader que le ministre actuel ne laissera pas accomplir, sous prétexte de restauration, une œuvre de vandalisme aussi universellement réprouvée. »>

Le troisième article (page 781) est conçu d'après la Gazette de Normandie et la Gazette de France qui constatent la reconstruction commencée ou imminente de toutes les travées de la nef, et d'après la Chronique des Arts, qui trouve fort étrange cette réédification dans un style différent, et en appelle au Comité des monuments historiques.

L'année 1874 ne s'acheva pas sans qu'une de nos revues périodiques les plus considérables ne fût saisie du débat. Le 1er décembre 1874, la Revue des Deux-Mondes publiait une étude de M. Leroy-Beaulieu sur la Restauration de

(1) Pièces justificatires, no 43. (2) Pièces justificatives, no 14.

nos monuments historiques devant l'art et devant le budget. La cathédrale d'Évreux y était prise pour exemple (1).. Nous reviendrons sur cette étude, qui est, au point de vue des principes, ce qu'est l'examen de M. Sabine au point de vue des circonstances locales: la meilleure réponse au rapport de M. Viollet-le-Duc. L'éminent architecte, cette fois, daigna répliquer, ou plutôt il prit de ce mémoire occasion de jeter sur quatre colonnes du journal le XIX® Siècle (2), une prose qui surprend bien péniblement ceux qui ont lu le Dictionnaire raisonné. Dans cette prétendue réplique, la question n'est même pas abordée : ce ne sont guère que doléances à perte de vue sur les envahissements de ce que certains esprits appellent le cléricalisme.

M. Leroy-Beaulieu y est accusé, en outre, d'être l'instrument d'une « cabale locale, » dirigée par « l'abbé terrible, » M. Lebeurier. En comparant cependant le mémoire avec les pièces précédemment rédigées, on ne voit rien qui sente le plagiat; M. Leroy-Beaulieu a exprimé de sa façon, et supérieurement, sa pensée sur un acte de vandalisme qui l'avait particulièrement frappé. Je ne sais pas non plus pourquoi intervient, en tout ceci, le nom du vénérable évêque d'Évreux. Mgr Grolleau s'est plusieurs fois déclaré étranger aux questions d'art; s'il a approuvé le rapport de M. Viollet-le-Duc, c'est qu'il a été séduit par le mérite éclatant de celui qui l'avait rédigé, c'est pour le bien de la paix peut-être, c'est dans tous les cas pour des motifs que le caractère épiscopal nous ordonne de respecter, mais qui n'ont rien de commun avec la science archéologique et n'affaiblissent en rien l'autorité des oppo

sants.

(4) Pièces justificatives, no 15.

(2) Du 24 décembre. Voir Pièces justificatives, no 16.

Je signalerai aussi, dans l'article du XIXe Siècle, une double naïveté qui a échappé au signataire : « Jamais le vrai clérical ne prend le parti des faibles, et une de ses occupations favorites est de trépigner sur le battu.... Le vrai clérical exècre le raisonnement et l'examen. » Allusion sans doute à l'affaire d'Évreux, sujet de l'article. Or, que les inspecteurs généraux et consorts se trouvent être les faibles, c'est ce dont personne ne se douterait guère en voyant les enquêtes et les projets dirigés ou influencés d'une manière prédominante par ces Messieurs, en voyant les travaux s'effectuer quand même; que « les vrais cléricaux,» s'il n'y a que cela parmi les défenseurs de la cathédrale d'Évreux, aient repoussé le raisonnement et l'examen, c'est ce que niera énergiquement quiconque voudra tant soit peu rechercher, à l'aide des documents déjà cités, de quel côté sont les allégations gratuites et de quel côté les démonstrations logiques ou pratiques.

M. Leroy-Beaulieu adressa, comme il le devait, une lettre au XIX Siècle (1), et s'y justifia mieux que je ne le saurais faire; sa lettre n'en fut pas moins accompagnée d'un commentaire qui n'était pas une réponse, qui revenait sur la prétendue a cabale locale, » et où M. Violletle-Duc, affirmait, bien à tort, avoir précédemment démontré que l'administration, relativement à l'affaire d'Évreux, s'était longuement et largement renseignée et ne pouvait être accusée, par conséquent, d'avoir brusqué les choses. Oui, l'administration a pris des renseignements, mais des renseignements puisés uniquement à la même source, auprès des personnes dont le sentiment était engagé, et si elle n'a pas elle-même brusqué les choses au temps où la démolition hâtée des voûtes prévint l'arrivée des der

(1) Pièces justificatives, no 17.

niers commissaires, elle s'est trouvée ou bien mal informée ou bien impuissante. M. Viollet-le-Duc croit prévenir la première objection en ajoutant: «Il était assez naturel, d'ailleurs, que, sur une question spéciale, elle se soit adressée à des gens spéciaux. » Des gens spéciaux ! Je me permettrai de ne le point admettre. Est-il bien un homme. spécial celui qui, appelé à restaurer, se contente de posséder dans toute leur étendue les principes, la pratique et l'histoire de l'art, et met de côté toute notion de l'histoire particulière du monument sur lequel il doit opérer, toute observation approfondie sur le caractère particulier de son architecture? On ne le dira jamais. Or, tel est le cas de la plupart des architectes de nos cathédrales. En étudiant les généralités, ils ont acquis la moitié seulement de la spécialité requise; en ne résidant pas dans « leurs diocèses », selon les dispositions du décret de 1853, ils ont laissé l'autre moitié de leur spécialité, et la moitié la plus importante, puisqu'ils sont appelés à reproduire, à imiter, et non à créer, ils ont laissé l'autre moitié entre les mains des savants locaux, plus familiarisés avec tel ou tel édifice, et plus à même de le restaurer, s'ils joignent à cet avantage l'expérience que possèdent les bons architectes ordinaires. J'ajouterai que la première de ces deux demispécialités, lorsqu'elle est seule comme dans le cas présent (1), est plus dangereuse qu'utile: « Ce n'est plus l'ignorance, dit M. Leroy-Beaulieu, c'est le savoir même des architectes qui met les anciens monuments en péril; » la seconde le serait moins, car si un architecte peut dédaigner, et en réalité dédaigne souvent, les connaissances

[ocr errors]

(1) Ni dans son Dictionnaire raisonné, ni dans son rapport, M. Viollet-le-Duc ne donne aucune des dates fournies par les documents historiques ou par les vitraux des chapelles.

historiques, presque inutiles au succès matériel de ses projets, les archéologues, eux, appelés à restaurer, n'auraient garde de négliger les connaissances techniques, sans lesquelles ils encourraient une effrayante responsabilité.

Depuis la fin de l'année 1874, M. Darcy paraît avoir poursuivi, sans trop d'encombre, son travail de rénovation. On sait maintenant ce que vaudra l'œuvre nouvelle, et M. l'abbé Lebeurier vient d'en faire ressortir les caractères les plus choquants dans le supplément qu'il a ajouté à sa note du 15 mars 1874 (1). Nous partageons absolument sa manière de voir, aussi ne reviendrons-nous pas sur ces colonnettes en hors-d'œuvre qui portent un dais d'où sort, canonisée, une roide gargouille; nous ne parlerons pas de ces lourds fleurons, de ces pinacles style x siècle, superposés à une muraille du xvo. Nous devons enfin jeter un coup d'œil sur le rapport, cause ou principal complice de tout le mal et en compléter la réfutation, déjà portée bien loin dans l'examen critique de M. Sabine, et dans le mémoire de M. Leroy-Beaulieu.

<< Depuis longtemps, porte le commencement du rapport, l'état des constructions de la cathédrale d'Évreux était tel que des réparations importantes semblaient nécessaires. » M. Viollet-le-Duc n'en a ordonné aucune de 1853 à 1872; M. l'abbé Lebeurier l'a suffisamment constaté et par lui-même et par le témoignage des entrepreneurs chargés de l'entretien de l'édifice. (Bulletin monumental, XL, 486-487.)

<< Pendant les dernières années qui viennent de s'écouler, il s'est manifesté dans ces constructions des mouvements qui ont paru assez inquiétants pour préoccuper

(1) Pièces justificatives, no 4 bis.

« PreviousContinue »