Page images
PDF
EPUB

à 1247. Les fenêtres, fort larges, ont quatre divisions et un réseau à lobes; les meneaux en sont déjà grêles; tous les chapiteaux ont des tailloirs octogonaux très-peu épais; les nervures des voûtes ont le tore à onglet; les arcs-doubleaux, larges et plats, sans doute à cause de la grosseur des colonnes romanes qui supportent leurs pieds-droits, n'en ont pas moins des impostes bien faibles de saillie. Le style des arcs-boutants et de la corniche à feuilles entablées paraît seul, au premier abord, pouvoir se rapporter à 1230. Mais la science archéologique n'a point encore déterminé bien rigoureusement où et à quelle époque s'est constituée définitivement l'architecture qui caractérise la seconde moitié du XIIIe siècle. Évreux, par le style des parties gothiques de sa cathédrale, rentre bien plus dans l'Ile-deFrance que dans la Normandie, et à supposer, comme je le crois fortement, que les progrès se soient réalisés tout d'abord dans la première de ces deux provinces, pourquoi la cathédrale d'Évreux ne serait-elle pas, aussi bien que d'autres, un édifice en avance de son siècle? Non-seulement il est permis de le croire, mais tout semble nous confirmer dans cette opinion. 1230 étant la date la plus récente que l'on puisse attribuer aux galeries, il est bien difficile de supposer les travaux interrompus jusqu'en 1245 environ, c'est-à-dire pendant quinze ans. Peut-on vraiment admettre que l'évêque d'Évreux, alors que le mouvement artistique des XII et XIII° siècles ne s'était pas encore sensiblement ralenti, alors que ses confrères de Rouen, de Bayeux, de Lisieux et de Coutances se voyaient en mesure de continuer ou de terminer leurs cathédrales, peut-on admettre que l'évêque d'Évreux, après avoir restauré les bas-côtés et construit le triforium, se soit arrêté court, faute de moyens d'exécution, et se soit ensuite mis à attendre pendant cinq ou six lustres de nouvelles ressources? C'eût été une ridi

cule campagne. Il faut bien observer que les travaux eurent d'abord pour objet la nef et non le chœur, œuvre de la fin ou le transept, rebâti sous Louis XI; qu'enfin ces travaux d XIII° siècle, étaient d'une médiocre importance pour l'époque, puisque la nef centrale de Notre-Dame d'Évreux n'a que huit mètres de largeur entre les axes des piliers. Loin de se trouver insuffisantes, les ressources dont il était en possession permirent à l'évêque Jean de la Cour d'Aubergenville, vers 1246 ou 1247, de fonder quatre chapelles (1); ceci prouve en outre que la nef était alors complétement terminée, car on ne se serait certes pas occupé des accessoires avant d'avoir mis la dernière main à l'œuvre principale.

Ces remarques présentées, nous ne comprenons pas comment M. Viollet-le-Duc a pu se décider à n'assigner qu'à la fin du XIIIe siècle la grande nef de la cathédrale d'Évreux. Un simple coup d'œil sur les arcs-boutants et la corniche à l'extérieur, sur le triforium à l'intérieur, et quelques recherches historiques, lui auraient suffi pour penser autrement. Sa mémoire à elle seule lui aurait mème porté un secours efficace, car dans le torue II de son Dictionnaire raisonné (p. 533), il figure un chapiteau sans tailloir « tiré, dit-il lui-même, des parties supérieures de la nef de la cathédrale d'Évreux (1240 environ), » Il lui aurait peut-être fallu aussi un peu plus de flexibilité dans son système archéologique et n'avoir pas «son siége fait ». L'éminent architecte a été maintes fois accusé de chercher à enlever de nos monuments ce qui contrarie ses théories. Je n'ose croire que la passion de sa propre renommée ait jamais pu conduire un homme aussi honorable à suppri

(1) V. le Dictionnaire historique de l'Eure de M. Charpillon, t. II, p. 407.

mer ce qui peut fournir matière à d'importantes discussions et servir à fixer des vérités encore méconnues ou imparfaitement établies. La nef qui nous occupe est un de ces monuments qui, mieux étudiés, seraient destinés à enrichir l'archéologie de notions nouvelles ou bien à rectifier ses théories sur quelques points; la reconstruire est donc plus qu'un acte de vandalisme, c'est un attentat contre la science.

Un autre genre d'intérêt qui recommande puissamment cette nef est la présence des arcs-boutants doubles. Ces arcs-boutants constituent le caractère distinctif extérieur de l'édifice; or c'est précisément sur leur suppression au profit d'arcs-boutants simples et vulgaires que roule le projet des architectes diocésains; c'est là-dessus surtout qu'il a été discuté et blàmé; c'est par là qu'il est le plus attaquable. Je renvoie donc la description et la justification des arcs-boutants doubles d'Évreux à l'examen auquel je me livrerai plus loin sur l'œuvre de reconstruction. déjà commencée.

L'évêque Jean de la Cour d'Aubergenville fonda, ai-je dit, vers 1246 ou 1247, quatre chapelles dans son église. Où étaient ces chapelles? Pas dans le chœur, puisque celui-ci, tout au plus réparé alors, n'avait ni déambulatoire ni collatéraux. Pas au transept, qui aurait dû être élargi et ne paraît l'avoir jamais été. Elles ne pouvaient donc guère se trouver que dans la nef. Il est naturel que le prélat, au moment où cette nef venait de se terminer, ait songé à placer sur ses flancs les chapelles qu'il voulait établir. L'idée, quoi qu'on en ait dit, n'était pas absolument nouvelle, bien qu'elle ne fût pas encore générale : elle était appliquée, depuis 1240, à Notre-Dame de Paris, et je me pique d'avoir vu, en 1873, à Saint-Spire de Corbeil, des chapelles bien caractérisées du milieu du

XIIe siècle et du commencement du xin, disposées le long des bas-côtés. D'autres chapelles durent s'ajouter bientôt à celles de Jean de la Cour d'Aubergenville, et la série devait être complète à la fin du XIIIe siècle. En 1261, « maître Johen de Meullent » fondait la première chapelle de droite et s'y faisait représenter sur un vitrail qui fut replacé au XVe siècle dans la fenêtre reconstruite. On voit à l'intérieur, malgré les remaniements du xv° siècle, des traces considérables de ces chapelles; ces traces devraient être conservées avec le plus grand soin dans la reconstruction déjà assez désastreuse qui s'effectue; outre leur intérêt historique, elles ont celui de la rareté, car, je le répète, les chapelles de nef n'étaient pas communément usitées sous le règne de saint Louis. M. Viollet-le-Duc s'est encore trompé ici ne considérant que l'enveloppe extérieure, il a pris les chapelles latérales de Notre-Dame d'Évreux pour des œuvres du xve siècle; on les traitera comme telles si par malheur on juge à propos de les rebâtir.

Rien ne prouve matériellement que, dès la construction de la nef, l'évêque et le chapitre d'Évreux eussent l'intention d'agrandir ensuite le chœur. Un détail même semblerait prouver le contraire. Les impostes de l'arcade occidentale de la croisée qui se rattachent bien évidemment aux travaux exécutés dans la première moitié du XIIIe siècle, ne dépassent pas le niveau que devaient atteindre aux XIe et XIIe siècles les naissances des grandes voûtes de la nef et du transept. On avait donc voulu se raccorder à celui-ci, le conserver par conséquent. Lorsque le transept fut reconstruit, avec une élévation beaucoup plus grande, au xve siècle, on fut obligé de jeter sur les impostes du XIIIe siècle une ogive suraiguë et très-prolongée au-dessous de sa base. Mais je n'ose pas reconnaître à cette circonstance tout le poids qu'elle semblerait avoir. Si, à Évreux,

on s'occupa d'abord de la nef, au XIIIe siècle, c'est qu'il fallait avant tout relever une ruine, et que le chœur était ou avait pu être rapidement remis en bon état. Sauf ce cas particulier, lorsqu'il y avait à refaire tout un édifice ou seulement une moitié au choix, l'esprit du xIII® était de s'attaquer avant tout aux chœurs romans, dont il sentait le besoin de quadrupler au moins l'étendue. Ces chœurs romans ne suffisaient plus, dès le temps de Suger, ni aux évêques ni aux moines; aussi nous en est-il resté extrêmement peu dans la région du nord, et aucune cathédrale n'en présente le moindre vestige. Il m'est donc extrêmement difficile de croire qu'on ait terminé, vers 1245, la nef de Notre-Dame d'Évreux, sans songer au chœur; les travaux de reconstruction qui commencèrent vingt ou trente ans plus tard devaient être décidés et même considérés comme les plus importants. Si l'on s'était raccordé au transept, c'était en vue d'une conservation uniquement provisoire, parce que précisément on voulait passer au plus vite à la partie orientale et s'occuper en dernier lieu des branches de la croix.

On sentait si bien, à Évreux, l'importance d'un agrandissement à l'est, qu'on n'hésita pas, en posant les fondements du nouveau chœur, à donner à la première travée, malgré les difficultés matérielles et le mauvais effet qui en devaient résulter, un évasement considérable qui porta de 8 à près de 12 mètres (mesures prises entre les axes des piliers) la largeur de la partie centrale.

Les travaux du chœur étaient en pleine activité et même très-avancés lorsque arriva le XIVe siècle; dès 1298 ou 1299, l'évêque Geoffroi de Bar donnait deux verrières pour les chapelles; son successeur, mort en 1310, en donna deux autres et se fit ensevelir dans le mur inême du nord, où l'on voit encore son tombeau. Ces verrières ont été

« PreviousContinue »