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Cette lecture finie, M. de Glanville place sous les yeux du bureau le dessin de la flèche, accostée de quatre clochetons, appuyés de huit arcs-boutants et séparés par quatre grands gables garnis de meneaux dont la construction est proposée par M. Barthélemy. Plus tard, si l'on dispose de fonds suffisants, les moulures seraient dorées et les parties en retraite peintes en ton d'ardoise clair.

Notre collègue ajoute, qu'il est toujours préférable d'employer, quand on le peut, les ouvriers du pays; dans la question actuelle, leur intervention se traduit par quatrevingt mille francs d'économie.

La réunion donne son approbation entière au projet préparé par M. Barthélemy.

La séance est terminée par l'examen de la deuxième question du programme: Faire connaître les transformations subies par la cathédrale d'Évreux (1).

M. de Laurière donne lecture du mémoire préparé par M. Anthyme Saint-Paul.

Nous le reproduisons dans son entier.

Le cas de la cathédrale d'Évreux.

Au point de vue de l'intérêt qu'ils présentent, nos mo

(1) L'absence de M. Desmarest n'a pas permis de traiter la sixième question, qui avait pour titre : Exposer les dernières découvertes archéologiques faites dans la contrée.

numents dits « historiques » dans le langage officiel, devenu à bon droit le langage de tout le monde, peuvent être divisés en deux grandes catégories: ceux qui fournissent des documents pour l'histoire politique ou sociale d'un pays, et ceux qui servent à l'étude des variations de l'art. L'un ou l'autre de ces caractères suffit largement à justifier la sollicitude de l'État, les sacrifices du budget et l'intérêt passionné des hommes instruits. Qu'est-ce donc lorsqu'un seul édifice se recommande à la fois des deux titres, lorsqu'il est en même temps et un souvenir et un sujet d'observations archéologiques?

Ces édifices doublement historiques, doublement vénérables, dont l'œuvre moderne doit craindre deux fois de venir altérer le caractère, ont leur type par excellence dans nos vieilles cathédrales, dans celles du Nord surtout. Sans être monuments civils ou militaires, les cathédrales gothiques, à commencer par celles de Sens et de Noyon, et à finir par celle d'Orléans, ont reçu au suprême degré l'empreinte matérielle des mœurs publiques et privées de tout un peuple durant plusieurs siècles, ont vu s'accomplir sous leurs voûtes des événements importants, et conservent dans leurs vitraux, leurs armoiries, leurs tombeaux des pages considérables de l'histoire de nos plus grandes familles elles sont en outre l'indice le plus certain de la situation artistique à l'époque où elles furent élevées, car leurs énormes dimensions et les difficultés particulières résultant de la nature même des plans ne manquaient pas de provoquer la mise en œuvre de toutes les ressources architectoniques connues et en faisaient souvent découvrir de nouvelles.

Eh bien! le croirait-on? ce sont précisément nos cathédrales, celles du moins qui portent encore ce titre, qui ont été retranchées, non pas de la liste, mais du budget et

de l'administration spéciale des monuments historiques. Était-ce une mesure d'économie? Le changement de situation se produisit en 1853; et cette date est une réponse, car on sait que le régime inauguré vers cette époque ne lésinait pas en matière de constructions. Les motifs furent ou durent être tout opposés. Une assez maigre somme étant consacrée chaque année à l'ensemble des monuments historiques, et la commission chargée d'en diriger l'emploi ayant pour principe d'empêcher les reconstructions inutiles ou les embellissements superflus, nos cathédrales pouvaient très-difficilement devenir l'objet de travaux de ce dernier genre. Ainsi était enlevé au Gouvernement un moyen de se rendre favorable le haut clergé et les populations des grandes villes. Attribuer directement à l'administration et au budget des cultes les maîtresses-églises de nos diocèses, c'était en réalité leur enlever toute recommandation venant de leur valeur historique pour les confondre avec les œuvres modernes et même avec les œuvres en état de projet, c'était les considérer comme de simples œuvres d'art qu'il devait être permis de perfectionner indéfiniment, c'était par suite s'autoriser à agir librement avec elles. On attribua donc nos cathédrales au ministère des cultes, et depuis lors les voilà devenues, comme le disait M. de Caumont, une matière électorale. Une véritable épée de Damoclès est continuellement suspendue sur nos églises les plus vénérables, exposées à se voir travesties dès que tel ou tel parti victorieux sentira le besoin de faire de leur travestissement une récompense ou un encouragement pour ceux dont il aura reçu ou espéré le concours!

Ce danger n'est pas le seul qui menace nos cathédrales. Les architectes à qui elles sont uniquement confiées, désormais libres d'être moins archéologues, sont d'autant

XLII SESSION.

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plus facilement entraînés à enter leurs propres créations sur celles de leurs prédécesseurs du moyen âge, que la plupart d'entre eux professent aujourd'hui, au sujet de la restauration des anciens monuments, des principes larges et commodes. Ainsi il est admis que les anciennes formes ou dispositions un peu vicieuses doivent être corrigées, ce qui n'est vrai que pour les cas d'absolue nécessité; que les traces des remaniements successifs d'un édifice doivent disparaître le plus possible, ce qui n'est raisonnablement applicable que lorsque ces remaniements sont peu considérables, mal conçus, ne se rattachent à aucun souvenir intéressant, et enlaidissent, altèrent ou compromettent visiblement dans sa durée le monument qui les a subies. Il est admis aussi qu'une église demeurée imparfaite peut être achevée; mais ce principe, moins dangereux en luimême que par les applications très-libres qui en sont faites dans certaines contrées de la France, n'est pas très-menaçant pour les cathédrales du Nord, monuments trop gigantesques pour que les générations modernes s'avisent de poser sur elles les pierres du couronnement.

Comment nos cathédrales résisteraient-elles indéfiniment aux deux puissantes causes de destruction que nous venons d'énoncer. Je pourrais me servir à ce sujet du mot de vandalisme, car les projets de restauration revêtent souvent ce caractère : « Ne savez-vous pas, disait Pie IX au baron de Croze qui lui avait proposé de rétablir le Colisée dans son état primitif, ne savez-vous pas qu'il y a deux sortes de vandalisme, l'un qui consiste à détruire, l'autre qui consiste à restaurer? » Nos cathédrales, sans doute, ne sont des ruines ni matérielles ni morales : elles vivent, mais cette vie n'est plus la continuation de celle d'autrefois; leur histoire est pour ainsi dire terminée ou sérieusement interrompue; elles sont, officiellement, un

monument de l'État et non plus celui de la cité; les souvenirs nouveaux qu'elles auront à transmettre à la postérité seront ceux de personnages éloignés et indifférents, et non ceux de leurs évêques et de leurs chapitres, qui ne les possèdent plus. Le présent n'a plus ici le droit de remplacer le passé. Transformer nos cathédrales est donc, en réalité, une œuvre inexcusable de vandalisme.

Dans l'impuissance presque absolue d'arrêter les combinaisons de la politique et les conséquences désastreuses de principes trop généralement adoptés, les amis de l'histoire, les admirateurs du moyen âge, les archéologues vraiment français pour qui les monuments de nos ancétres sont aussi respectables que le Parthenon, doivent-ils croiser les bras et garder le silence? aucun d'eux ne l'a jamais pensé. Outre qu'un succès au moins partiel pourrait être quelquefois le résultat d'une protestation courageuse, il est bon d'affirmer, d'affirmer sans cesse les règles de toute vraie restauration, il est bon aussi de rendre aux cathédrales qui succombent l'hommage de regrets mille fois mérités, et de faire connaître à la postérité qu'il n'a jamais manqué d'hommes convaincus et généreux pour les défendre.

La cathédrale d'Évreux fait depuis trois ans la triste expérience de la situation créée par le décret de 1853. Les archéologues n'ont pas failli à leur devoir; ils ont pris hautement fait et cause pour le monument compromis. Inde ira. Je ne rechercherai point quelle est la part des calculs ou des passions politiques dans la formation de l'orage amoncelé sur Notre-Dame d'Évreux; l'action politique paraît ici certaine; mais il n'entre dans mes goûts ni, je l'espère, dans mon sujet, de m'en occuper. J'éloigne donc cette question irritante. Les défenseurs du monument menacé n'ont jamais entendu, d'ailleurs, porter les

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