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les guerres qui eurent lieu sur cette frontière, on peut l'employer, faute d'une meilleure désignation.

L'Eure ayant une certaine importance après sa jonction avec la Blaise et l'Avre, formait jusqu'à Pacy, pendant une trentaine de kilomètres, une excellente défense pour la Normandie; de là à Vernon, la frontière n'avait à franchir qu'un plateau de douze kilomètres, séparant l'Eure de la Seine. Les châteaux de Marcilly, Crot, Ezy, Ivry, Méré, Pacy, dominaient tous les passages de cette rivière. Le plus important de tous était Ivry, bâti sur une colline abrupt, avec une double enceinte de fossés, et fermant une ancienne voie qui, depuis les Romains, était le principal accès de l'Evrecin, du côté de Paris. En arrière était Saint-André-en-la-Marche, et plus loin Évreux, but de toutes les attaques faites de ce côté. Vernon, avec les deux châteaux du Goulet, et plus loin Gaillon, défendait les rives de la Seine; Auteuil, la Croix-SaintLeuffroy et Aquigny celles de l'Eure, de sorte qu'une armée s'engageant entre les deux rivières se trouvait dans un cul-de-sac.

Du côté de la France, les rives de l'Eure étaient gardées par Sorel et Anet, appuyés à la profonde forêt de Dreux, et le vieux château de Guainville. Dans la vallée de la Vesgre, perpendiculaire à celle de l'Eure, on trouvait Rouvres et Bu, puis les premiers châteaux de la châtellenie de Montfort-l'Amaury, Gressey, la Haye-de-Herce, Richebourg, Gambais et Houdan, le plus important de tous. Derrière eux s'étendait la vaste forêt Iveline. Au nord de cette forêt, l'étroite vallée de la Vaucouleur formait un fossé transversal jusqu'à Mantes. Il était défendu par Septeuil, Rosay et quelques autres petits châteaux.

En 1098, Guillaume le Roux ayant attiré à son parti

Simon, seigneur d'Anet, Nivard, seigneur de Septeuil, et un cadet de la famille de Montfort-Amaury, seigneur de Houdan, essaya de pénétrer en France de ce côté. Cette première ligne lui étant livrée, grâce à la complicité de ces seigneurs, il put, avec sa nombreuse armée, franchir sans obstacles l'Eure et la Vaucouleur, mais il se heurta contre une seconde ligne de défense. Simon Il, dit le Jeune, alors seigneur de Montfort-l'Amaury et d'Épernon, défendit ces places avec succès. Le passage de la Mauldre, dont la profonde vallée forme un second fossé perpendiculaire à la Seine, fut empêché par la résistance victorieuse des châteaux de Maule, Beine, Neaufle-le-Château et autres de moindre importance. Après avoir ravagé toute la contrée, le roi d'Angleterre dut se retirer sans avoir pu forcer aucun de ces châteaux (1).

Pour prévenir une nouvelle entreprise de ce genre, Louis VI, en 1137, permit à Amaury III de Montfort, de construire à mi-chemin de Houdan à Mantes, à la rencontre de deux routes et dans une excellente position, l'importante forteresse de Montchauvet. Malheureusement, en 1159, Simon III, fils d'Amaury, s'étant brouillé avec le roi de France et faussant la foi qu'il lui devait, favorisa une invasion plus redoutable en ouvrant ses châteaux au roi d'Angleterre. Celui-ci étant dès lors maitre de s'avancer sans obstacle jusqu'au cœur du royauine, Louis VII dut céder, demander immédiatement une trêve, puis faire la paix, en 1160, en rendant à son vassal révolté tous les droits qu'il lui contestait.

Sur les rives de la Seine, la ville de Mantes, située à la rencontre de plusieurs voies anciennes et commandant un des passages les plus importants du fleuve, était le boule

(1) Ordéric Vital, L. X, ch. 4.

vard de la France. Autour et en avant de Mantes se trouvaient les châteaux de Rosny, Rolleboise, Le MénilRegnard, détruit par Henri Ier en 1118, Cravent, Valgoutard et Bréval. Cette dernière forteresse, construite à la fin du XIe siècle dans un pays boisé, entre Mantes et Ivry, mérite une mention spéciale à cause de l'ambition de son fondateur, Ascelin Goel. Ce seigneur se crut assez fort pour ne ménager personne et piller indistinctement Français et Normands. En 1094, Philippe Ier et le duc Robert, dans un moment où ils étaient d'accord, réunirent leurs armées pour l'assiéger dans son repaire, et n'y parvinrent qu'après deux mois d'efforts.

Bien des combats se livrèrent aux environs de Mantes. Une seule fois, en 1087, elle tomba au pouvoir des Normands, et la mort de Guillaume le Conquérant put seule calmer la terreur que ce désastre avait causé en France. En remontant la Seine, les passages de ce fleuve étaient gardés par Meulan, Poissy et Conflans-Sainte-Honorine.

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5° Frontière du Vexin et du Beauvoisis. A partir de la Seine, la frontière de la Normandie était formée par l'Epte sur une longueur de quatre-vingts kilomètres. Dans son cours supérieur, cette rivière séparait le pays de Bray du Beauvoisis, dans son cours inférieur le Vexin normand du Vexin français. La forteresse de Gisors, placée au milieu, était le centre de la défense sur ces deux frontières. Sous Guillaume le Conquérant, le château de Neaufle, situé à deux kilomètres de là, sur un coteau dominant la Lévrière, était la principale place du Vexin normand et la résidence du vicomte de cette province, et il n'y avait à Gisors qu'un donjon servant de poste avancé. Mais Guillaume le Roux, ayant reconnu toute l'importance de cette position, au confluent de plusieurs vallées et de routes importantes, y fit construire, sous la direction de Robert de Bellême,

une vaste place d'armes pouvant contenir une petite armée et permettant de franchir l'Epte à tout moment. Neaufle et les châteaux de Dangu ne furent plus que les satellites de la nouvelle forteresse. Plus bas, sur l'Epte, sur un coteau dominant le passage de la voie romaine de Paris à Rouen, Guillaume le Roux traça l'enceinte moins vaste de Château-sur-Epte, longtemps appelé Châteauneuf. En descendant la rivière, on trouvait Baudemont et Gasny. En arrière de cette forte ligne, il y avait encore les châteaux d'Etrepagny, Gamaches, Haqueville et Ecos. Henri II ajouta des tours de flanquement à l'enceinte circulaire de Gisors et augmenta beaucoup la force de cette place.

Du côté de la France, le château de Chaumont-enVexin s'élevait en face de Gisors et contrebalançait son influence. C'était également une vaste enceinte circulaire placée au sommet d'un mamelon isolé de la vallée du Troène. Trie, Chambors, Courcelles, Boury, formaient autour de Chaumont une ceinture de postes avancés surveillant le passage de l'Epte et les châteaux de la rive normande. Plus bas, Saint-Clair-sur-Epte surveillait Châteauneuf et gardait, avec Magny, la grande route de Paris. Sur la rive droite de la Seine s'élevaient la RocheGuyon et Vétheuil, et plus en arrière Meulan.

En 1097, Robert, comte de Meulan, et Guy, seigneur de la Roche-Guyon, ayant livré leurs châteaux à Guillaume le Roux, ce prince put faire le siége de Chaumont et ravager le Vexin jusqu'à l'Oise. Cette rivière importante, défendue par Conflans-Sainte-Honorine, qui commandait également la Seine, Pontoise, l'Ile-Adam, Beaumont et Chambly, formait une seconde ligne de défense presque impossible à forcer. Lorsqu'au contraire, soit par traité, soit par conquête, Gisors et le Vexin normand étaient réunis

à la France, la frontière de la Normandie reportée à la vallée de l'Andelle, peu éloignée de Rouen, devenait difficile à défendre, malgré les nombreux châteaux accumulés sur les rives de cette petite rivière; Pistres, PontSaint-Pierre, Radepont, le plus fort de tous et qui coûta deux mois de siége à Philippe-Auguste; Noyers-sur Andelle, maintenant Charleval, et Lyons-la-Forêt.

Ce fut pour parer à ce danger qu'après la perte de Gisors, le roi Richard construisit, en un an, la forteresse de Château-Gaillard, une des constructions les plus remarquables de la féodalité. MM. Deville, Brossard de Ruville et Viollet-le-Duc ont décrit avec soin ce château, et raconté, d'après Guillaume le Breton, le siége mémorable qui le fit tomber aux mains de Philippe-Auguste. Ils ont signalé avec raison toute la science d'ingénieur que le roi Richard avait montré dans le choix de cette position et dans la disposition des défenses, comme les grands talents militaires que Philippe-Auguste dut déployer pour s'en rendre maître. Une fois Château-Gaillard tombé, la conquête de la Normandie ne fut plus qu'une affaire de temps. Au nord de Gisors, les rives de l'Epte étaient défendues par Neufmarché, construit par Henri Ier, et par Gournay, et aux sources de cette rivière par les châteaux de Forges et de la Ferté-en-Bray ou Ferté-Saint-Samson. Les principales forteresses de Beauvoisis étaient Gerberoi, Milly et Villetertre.

6° Frontière de Ponthieu.- Dans le bassin de la Manche, la petite rivière de Bresle terminait, par un arc d'environ soixante-dix kilomètres, le périmètre des frontières de la Normandie, en séparant cette province de Ponthieu et du comté d'Amiens. De ce côte, la frontière n'a pas varié. Aumale et Eu, deux places de première importance, étaient placées sur la Bresle, et entre elles Blangy et

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