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sources de l'Avre et de la Bresle, il creusa de longues lignes de fossés. Il est peu de place sur toute la ligne des frontières qui ne garde quelques traces des travaux exécutés par ses ordres. Cet ensemble de fortifications lui permit, ainsi qu'au roi Richard, de soutenir une lutte acharnée contre Philippe-Auguste. Ce ne fut qu'au prix des plus grands efforts, que le prince français put rompre les barrières de la Normandie.

II

Les châteaux des frontières n'étaient pas distribués au hasard; chacun d'eux avait au contraire une destination spéciale soit de barrer une route importante, soit de garder le passage d'une rivière, soit de fournir au besoin un point d'appui pour un mouvement offensif. De longues guerres sur le même terrain, avaient appris à connaître les obstacles naturels ou artificiels qui pouvaient le mieux arrèter une invasion et les points les plus faciles à défendre. Mais pour décrire cet ensemble, comme M. de Salies l'a fait pour l'Anjou, dans son histoire de Foulques Nerra, il faut joindre à une grande habitude de la frontière, une parfaite connaissance de l'histoire locale. Aussi n'est-ce pas sans une certaine hésitation que je présente à titre d'ébauche, et dans l'espoir de voir un jour ce cadre mieux rempli par un autre, une description sommaire des différentes frontières de la Normandie et de leurs défenses. 1° Frontière de Bretagne. En commençant le circuit à l'ouest, nous trouvons d'abord la frontière qui séparait la Normandie de la Bretagne sur une longueur d'environ cinquante kilomètres. Elle était tracée entre les deux rivières de la Selune et du Couesnon, qui se jettent dans la

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baie du Mont-Saint-Michel. La Selune formait un fossé du côté de la Normandie, derrière lequel s'élevaient deux places de premier ordre, Avranches et Mortain. En avant d'Avranches, le couvent-forteresse du Mont-Saint-Michel se dressait au sein de la mer; Pontorson, bâti par Henri Ier, gardait l'embouchure du Couesnon, et Montaigu se trouvait en face d'Antrain. En arrière d'Avranches et après la vallée transversale de la Sée il y avait encore Granville, la Haye-Pesnel et Gavray.

Le Couesnon formait également un fossé du côté de la Bretagne. L'importante place de Dol, qui repoussa deux fois Guillaume le Conquérant en 1075 et en 1085, mais qui fut prise par Henri II en 1173, était de ce côté le boulevard de cette province. Antrain sur le Couesnon, avec le poste avancé de la Rouerie, enfin, la forteresse de Fougères aux sources de cette rivière, dont Henri II s'empara en 1166, complétaient, de ce côté, la première ligne de défense de la Bretagne. Elle en avait une seconde très-solide dans les rivières de la Rance et de la Vilaine, défendues par les châteaux et les villes de Saint-Malo, Châteauneuf, Dinan, Hédé, Rennes et Vitré.

2° La frontière de l'Anjou et du Maine d'une longueur au moins double de la précédente, était beaucoup moins bien déterminée, et traversait un pays accidenté, coupé par les nombreux affluents de la Mayenne et de la Sarthe. Elle fut, surtout au XIe siècle, le théâtre de luttes acharnées qui en modifièrent plusieurs fois le tracé. Aussi est-elle très-riche en châteaux et en donjons de l'époque *primitive. L'étude topographique complète de cette frontière serait d'un grand intérêt, mais fort difficile à faire.

Dans son cours supérieur, la Mayeune, se dirigeant à l'ouest, formait la frontière de la Normandie. Une longue ligne de collines couvertes par la forêt d'Andaine limite

cette vallée au nord et n'est coupée que par des gorges étroites que défendaient les châteaux de la Ferté-Macé, la Motte-Fouquet et l'importante place de Domfront, construite en 1026 par Richard II, pour garder la vallée de la Varenne et la route d'Angers à Caen. En 1055, Guillaume le Conquérant construisit, fort en avant et sur les terres du comte d'Anjou, la forteresse d'Ambrières, au confluent de la Varenne et de la Mayenne.

Mayenne était de ce côté le boulevard de l'Anjou. Juhel, seigneur de cette ville, construisit en outre, en 1155, Villaines-la-Juhel.

Dans le bassin de la Sarthe, la principale forteresse de la Normandie était Alençon, que la Sarthe seule séparait des terres du Maine. Elle fut prise par les comtes d'Anjou en 1054 et 1118, mais sans qu'ils pussent s'y maintenir. Autour de cette place, nous trouvons Saint-Céneri, au coufluent de la Sarthe et du Sarthon, la Roche-Mabile et Carrouges, dans la vallée de ce même affluent, Essai, et un peu plus loin dans le Perche, Mortagne et Tourouvre. Une seconde ligne très-forte, s'appuyant sur l'Orne et la Rille, comprenait les châteaux d'Écouché, Argentan, Exmes, Merleraut, Echaufour, Moulins-la-Marche, et se terminait à Laigle, une des plus anciennes et des plus fortes places de la Normandie.

Du côté de la France, le centre de la défense était l'antique cité du Mans avec ses murs romains. Elle était entourée par Beaumont et Fresnay-sur-Sarthe, Balon, Domfront en Champagne, Sillé-le-Guillaume, le vieux Lavardin et nombre d'autres points fortifiés.

Lorsque le duc Guillaume s'empara du Maine en 1063 et lorsque ses successeurs rentrèrent en possession de ce comté, toutes ces places étant en leur pouvoir, l'Anjou dut se former une nouvelle frontière en ajoutant le puissant

donjon de Sainte-Suzanne aux châteaux de Mayenne, Laval, Château-Gontier et Sablé. Au midi, le Loir formait une autre barrière défendue par les forteresses de la Flèche, de Château-du-Loir, avec Mayet pour avantgarde, de Troo, de Montoire, de Lavardin, de Vendôme et de Fréteval. Mondoubleau était une place avancée trèsimportante. Plus au nord, les châteaux du pays chartrain, Châteaudun, Bonneval, Illiers, Nogent-le-Rotrou devenaient aussi places frontières.

3° Frontière du pays chartrain. La petite rivière d'Avre, coulant pendant soixante-dix kilomètres dans une étroite vallée, entre les plaines de l'Evrecin et celles de la Beauce formait de ce côté un fossé naturel et délimitait la frontière d'une manière qui n'a jamais varié.

Avra licet parva Francorum dividit arva.

Les châteaux de Chênebrun, Verneuil, Tillières et Nonancourt étaient bâtis sur les collines qui dominent cette rivière au nord et se trouvaient tous au passage de routes anciennes qu'ils interceptaient. Illiers-l'Évêque se trouvait un peu plus loin dans la plaine, sur la route de Dreux à Évreux. Dans plusieurs endroits où la rivière encore faible ne formait pas un obstacle suffisant, le roi Henri II avait fait creuser de longues lignes de fossés avec un rempart de terre. M. de Caumont les signale dans les communes d'Irai, Chênebrun, Saint-Christophe et Courteilles, où ils portent le nom de Fossés-ie-Roi. Il engage à les étudier dans leur ensemble et par rapport avec les forteresses voisines. A une dizaine de kilomètres en arrière, le cours de l'Iton et les châteaux de Bourth, Cintray, Condésur-Iton, Breteuil et Damville for maient une seconde ligne parallèle à la première. Une troisième consistait dans les trois fortes places de Laigle, Conches et Évreux,

reliées par le cours de la Rille et par les forêts de Breteuil, de Conches et d'Évreux. Cette frontière fut rarement attaquée avec succès, et plus d'une fois, particulièrement en 1119, Breteuil fut le bouclier de la Normandie.

Les châteaux placés sur la rive française de l'Avre avaient, en général, moins d'importance que ceux de la rive normande. Armentières était en face de Chênebrun, Bérou en face de Tillières, et le Plessis-Saint-Rémy en face de Nonancourt. Une lettre de Gui de Galardon, publiée par M. Merlet, nous apprend que ce dernier fort fut construit en 1112 par les troupes de la comtesse de Blois, de Gervais de Châteauneuf et d'Amaury de Montfort. Cette construction rapide, ce nom du Plessis que porte aussi, non loin de là, le Plessis-sur-Ver, montre que ce n'étaient que des redoutes avec fossés et palissades. Il est vrai qu'à peu de distance de l'Avre se trouvaient les forts châteaux de la Ferté-Vidame, Brezelles et Dreux. Cette dernière place, ceinte de hautes murailles, était d'une grande importance et le centre de la défense du côté de la France, tant sur cette frontière que sur celle de l'Eure. Le cours de la Blaise, avec les forêts de la Ferté-Vidame et de Senonches, formait une ligne de défense naturelle en arrière de laquelle se trouvaient Senonches, Châteauneufen-Thimerais, remplaçant l'ancienne place de Thimest; enfin Nogent-le-Roi et Maintenon, gardant les passages de l'Eure. Chartres, que les Normands avaient assiégée plusieurs fois avant la construction de ces châteaux, se trouvait parfaitement à l'abri.

4° Frontière du Mantois ou de l'Eure. L'emploi du nom de Mantois, pour désigner la partie du domaine royal entre l'Eure et la Seine, est assez moderne; mais comme Mantes était la place la plus importante des rives de la Seine, et que cette ville fut la base d'opération de toutes

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