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de reproduire, M. Léon Palustre indique d'abord à grands traits le rôle de l'archéologie et rend un juste tribut d'hommages à notre regretté collègue, M. l'abbé Cochet :

MESSIEURS,

S'il est une chose qui me soit agréable aujourd'hui, c'est de me trouver dans une ville normande, d'avoir pour premiers auditeurs à peu près les mêmes hommes qui contribuèrent pour une si grande part au développement de l'œuvre de mon illustre prédécesseur. Je ne saurais oublier, en effet, que la Société française d'Archéologie a eu pour berceau votre belle province, qu'elle a grandi à l'ombre de vos cathédrales, et toujours conservé parmi vous, même au milieu des fâcheuses vicissitudes de ces derniers temps, ses adhérents les plus fermes et les plus nombreux. Aussi, lorsque notre honorable confrère, M. de Glanville, vint, il y a plus de six mois, me demander de tenir dans votre grande cité une de ces courtes assises qui ont pour but de suppléer à l'insuffisance de nos congrès annuels, qui contribuent plus que toute autre chose à vivifier une institution répandue dans la France entière, ai-je accepté avec joie une proposition qui faisait, pour ainsi dire, partie du programme que je m'étais tracé d'avance, et me mettait, dès le début, en relation avec de brillantes personnalités que j'étais particulièrement désireux de voir et de connaitre. D'ailleurs, pouvais-je oublier que Rouen, dans notre siècle, était peut-être la ville qui avait compté le plus d'archéologues fameux, et n'était-ce pas pour moi un devoir de venir saluer la patrie des Deville et des Pottier, des la Quérière et des Cochet.

Malheureusement, il ne nous a été permis d'entretenir

que le dernier d'entre ceux que nous venons de nommer, et nous le regrettons d'autant plus, qu'admirateur passionné des constructions du moyen âge, nous eussions compté parmi nos meilleurs souvenirs les instants passés en compagnie d'hommes qui s'en étaient montrés les révélateurs. Cela ne veut pas dire que les autres branches de l'archéologie nous trouvent indifférent; bien loin de là, et nous avons, par exemple, en plus d'une occasion manifesté notre enthousiasme pour les importantes découvertes dues au savant auteur de la Normandie souterraine et du Tombeau de Childéric. Nous nous sentions particulièrement attiré vers cette nature investigatrice qui ne laissait rien échapper et profitait des plus petits incidents pour appuyer ses théories et justifier ses prévisions. Esprit nullement rêveur, toutefois, et ennemi de l'hypothèse, M. l'abbé Cochet ne s'écartait jamais dans ses recherches de l'observation positive des faits, et toutes ses déductions offrent le degré d'exactitude que réclame toute science véritablement digne de ce nom. Il marchait ainsi d'un pas sûr vers la reconstitution d'une époque de notre histoire jusqu'alors connue par ses lignes extérieures seulement, et nous faisait pénétrer dans la vie intime des peuples qui ne sont plus, ravivant en quelque sorte toute une civilisation disparue. Au reste, ne nous l'a-t-il pas dit quelque part : « Ce que je cherche au sein de la terre, c'est une pensée. Ce que je poursuis à chaque coup de pioche de l'ouvrier, c'est une idée; ce que je désire recueillir avec ardeur, c'est moins un vase ou une médaille qu'une ligne du passé écrite dans la poussière du temps, une phrase sur les mœurs antiques, les coutumes funèbres, l'industrie romaine ou barbare, c'est la vérité que je veux surprendre dans le lit où elle a été couchée par des témoins qui ont à présent dix, quinze ou dix-huit

cents ans. Je donnerais tous les objets possibles pour une révélation de ce genre. »

En parlant de la sorte, M. l'abbé Cochet, il est vrai, ne faisait qu'indiquer de main de maître le but que nos chères études se sont toujours proposé d'atteindre. Car, Messieurs, qu'est-ce que l'archéologie, en effet? Certes, ce n'est pas cette science creuse que beaucoup de gens s'imaginent, un délassement innocent que l'on permet aux désœuvrés. Tout au contraire, c'est l'exercice d'esprits sérieux qui veulent voir avec intelligence, comprendre avec netteté, qui se plaisent à rechercher la raison des choses, à suivre à travers les siècles les transformations successives opérées dans les habitudes et les mœurs, tant au point de vue civil que militaire, profane que religieux. Par là, ils se rendent plus aptes à exercer même les fonctions présentes, et ils justifient ces paroles de l'un de nos devanciers « L'archéologie n'est autre chose que connaître le passé tout entier pour deviner et préparer l'avenir. »

Certes, il ne s'ensuit pas que dans la solution chaque jour plus compliquée des problèmes qui se présentent à nous, nous n'éprouvions jamais ni déconvenues, ni désillusions. L'archéologie, nous ne craignons pas de le dire, car cet aveu ne saurait nuire, dans l'esprit des hommes éclairés, au crédit de plus en plus grand dont nos études sont entourées, l'archéologie est de toutes les sciences peutêtre la plus sujette aux méprises, comme aussi celle où les erreurs sont le plus excusables. Tandis que les monuments écrits ont toujours et partout un sens précis, une valeur parfaitement déterminée, les signes auxquels nous sommes obligés d'avoir recours ne nous offrent le plus souvent que des révélations non-seulement incomplètes, mais encore essentiellement variables, suivant les siècles et les pays. Il n'est donc pas étonnant que nous puissions, par

exemple, hésiter quelquefois devant l'interprétation d'une figure qui, tantôt joue le rôle d'un symbole mystique, tantôt ne représente plus qu'un simple motif de décoration. Sans aucun doute, les contemporains ne s'y trompaient point, mais, à une grande distance, la distinction qu'ils faisaient tout naturellement devient pour nous d'une extrême difficulté.

Quoi qu'il en soit, on peut affirmer grandement que les arts plastiques, qu'ils déploient sous nos yeux de grandes masses ou se bornent uniquement à des combinaisons de lignes, à la reproduction de formes empruntées au monde de la vie, de l'homme au végétal, ne sont aucunement inférieures aux compositions littéraires même les plus vantées, aux plus magnifiques chefs-d'œuvre de l'éloquence et de la poésie, dans l'expression sincère et et spontanée du génie d'un peuple, de ses pensées et de ses sentiments. Ils ont encore l'immense avantage de parler à notre intelligence plus que toute autre manifestation de l'esprit humain, par la facilité avec laquelle ils évoquent une civilisation éteinte et donnent aux notions léguées par l'écriture un corps et une assiette qui leur font trop souvent défaut. Puis, comme notre affection pour chaque chose, comme le dévouement que nous lui portons est en proportion de la connaissance que nous en avons acquise, il en résulte que l'archéologie, et ce n'est pas là son moindre mérite, est l'un des agents les plus puissants de patriotisme, celui que mettent en mouvement tous les peuples qui, après avoir eu un passé glorieux, sont profondément désireux de reprendre la place qu'ils occupaient jadis.

Cette allocution terminée, M. Palustre fait remarquer sur le bureau les épreuves des Souvenirs du vieux Rouen,

album de douze photographies, offert à la Société par M. Schneider, libraire à Rouen. Il fait également passer sous les yeux de l'assemblée une héliogravure de la statue de M. de Caumont, qui doit être inaugurée à Bayeux le 15 juillet prochain; il invite les membres présents à se rendre à cette cérémonie, vraie fête de famille pour tous les membres des sociétés créées par notre illustre et regretté directeur.

La parole est ensuite donnée à M. de Dion pour la lecture d'un travail sur la première question : « Étudier les châteaux féodaux des frontières de la Normandie et plus particulièrement ceux du Vexin. »

Étude sur les châteaux féodaux des frontières de la Normandie, par Adolphe de Dion.

MESSIEURS,

Si la Normandie est surtout le pays des belles églises, elle offre aussi de nombreux et importants monuments de l'architecture militaire au moyen âge. On y trouve des retranchements, des oppidums et des camps de toutes les époques; les mottes y sont nombreuses; d'imposants donjons se dressent au sommet de ses rochers; enfin des châteaux de premier ordre, Domfront, Falaise, Gisors, ChâteauGaillard et plusieurs autres, peuvent soutenir la comparaison avec les forteresses féodales qui font l'orgueil des provinces voisines.

Ces châteaux sont généralement assez connus. Sans parler de plusieurs archéologues distingués qui ont décrit les principaux d'entre eux, notre regretté maitre, M. de

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