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IX.

CAUSES DU CHANGEMENT SURVENU DANS LE RÉGIME DE L'ABBAYE, AU XVI SIÈCLE.

Nous sommes arrivés au xvr" siècle, qui a modifié tant de choses, qui s'est appelé, dans le monde, le siècle de la Renaissance, mais que les maisons religieuses peuvent considérer comme l'époque de la perte de leur indépendance et de leur liberté.

Le régime des commendes modifia profondément les mœurs et les usages monastiques déjà fort relâchés.

Un simple prieur y conserva l'autorité religieuse, mais le titre d'abbé devint un bénéfice qui fut donné avec la plus forte partie des revenus, à des favoris, à des hommes de cour, souvent à un soldat, et quelquefois à des hommes d'une immoralité notoire; nous ne parlons pas du cumul, sur la même tête, d'un grand nombre de bénéfices, c'est ce qu'on appelait la commende (commendare, confier aux soins).

Aussi, chaque jour les religieux devinrent moins nombreux dans les abbayes; le goût des grandes choses s'y perdit et les hommes de valeur furent de plus en plus rares, car désormais on ne travaillait plus pour Dieu, mais pour un homme.

Était-ce la faute des religieux eux-mêmes ?

La discipline avait considérablement fléchi et plusieurs moines levaient la tête; des ambitieux, se donnant pour des réformateurs, avaient secoué le joug de la règle et prêché la révolte contre l'autorité du Pape et des Conciles.

Les passions s'étaient enflammées de part et d'autre; des

violences du discours on en était venu aux voies de fait et aux sévices réciproques, et la politique attisant la discorde, suivant l'intérêt des meneurs, on ne tarda pas à se faire une guerre où la religion ne fit que servir de prétexte aux partis déchaînés.

Mais revenons à notre abbaye de Montiers en Argonne, qui ne fut pas plus à l'abri que les autres des fléaux de la guerre et des incursions des bandes protestantes.

Charmont et les villages voisins renfermaient quelques réformés, mais ils étaient contenus par leur petit nombre; des prêches étaient établis à Saint-Mard, à Heiltz-leMaurupt, à Epense, où ont prêché les Spifane, les Ourier, les Morel, les Fournier, qui ont eu dans le pays une certaine notoriété comme ministres de la réforme.

Les chartes ne nous apprennent rien de précis sur ce qui s'est passé au monastère à cette époque. Nous croyons, cependant, trouver des indices du fléau de la guerre dans diverses énonciations des titres; d'ailleurs on peut affirmer, par les traces de pillage et d'incendie qu'elles ont laissées dans les pays circonvoisins, le passage des armées de Charles-Quint allant de Saint-Dizier à Sainte-Menehould, en 1545, lors du siége et de la destruction de Vitry, et celui des impériaux de Philippe II pendant la Ligue. M. Henri, ancien professeur au lycée de Reims, parle des incursions, dans cette contrée, du prince de Château-Porcien et de Claude Pioche, seigneur de Warmériville, chefs des huguenots. En suivant leur itinéraire, on voit qu'ils ne durent point oublier de faire main basse sur la riche abbaye qui était sur leur chemin; il est question, dans les titres de cette époque, de ruines de l'église et du couvent « causées par les guerres ».

Les armées de la Fronde qui ont sillonné ces contrées et détruit, avec toutes les censes entre Charmont et

Possesse, les villages de Montbayer et de Maison-Vigny, ont au moins pillé les propriétés extérieures du couvent, si, par impossible, l'abbaye elle-même ne fut point plus fortement atteinte.

Quoi qu'il en soit, l'église, le cloitre et les communs ont été restaurés et profondément modifiés à plusieurs reprises pendant la Renaissance, et la partie qui subsiste accuse le XVI et le xvure siècle.

Nous voici sortis du moyen âge et de la période vraiment intéressante des maisons religieuses.

Le régime de la commende amena la lutte entre l'abbé commendataire et la communauté, dont les intérêts étaient distincts et souvent opposés.

Les annales de ce temps ne sont plus que l'histoire de l'abaissement de la condition des moines, des usurpations des abbés et des démêlés perpétuels d'intérêts entre les uns et les autres, des décisions d'administration financière, agricole et forestière, et les événements se bornent. aux péripéties de procès entre les fermiers de la manse abbatiale et ceux de la manse conventuelle.

C'est par ces deux dénominations que l'on désignait alors les droits de l'abbé commendataire et ceux de la communauté.

X.

LES ABBÉS COMMENDATAIRES.

Le premier abbé commendataire fut Jérôme Bourgeois, qui fut pourvu de ce bénéfice entre les années 1533 et 1540; car nous n'avons pu savoir l'époque où Pierre Maillard cessa d'être abbé, après la confection cartutaire.

XLII SESSION.

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Bourgeois était le fils du premier médecin de François Ier. Il résigna Montiers en 1542, mais il conserva la riche abbaye de Saint-Pierre-aux-Monts, même après avoir été nommé, en 1556, évêque de Châlons-surMarne.

Il assista au sacre de Charles IX, fut le procureur du roi de France au concile de Trente, et mourut en 1572. Il fut enterré dans son abbaye de Saint-Pierre, qui est devenue la principale caserne de Châlons.

Il portait d'azur à deux lions d'or affrontés, tenant une fleur de lis d'or.

L'abbaye de Montiers revint à Philippe de Lenoncourt, depuis cardinal, qui était évêque de Châlons avant Jérôme Bourgeois, et qui permuta pour l'évêché d'Auxerre. Il quitta ce dernier siége pour la riche abbaye de Rebais, au diocèse de Meaux.

Il enleva, dit le Gallia Christiana, qui ne le flatte guère, l'or, l'argent et les pierreries qui ornaient les châsses des saints dans son église de Rebais, pour aller à Rome avec un grand faste, chercher le chapeau de cardinal.

Il cumulait une multitude de bénéfices, entre autres les abbayes de Saint-Martin d'Epernay et de Montierender.

Il résigna, en 1583, son abbaye de Rebais et celle de Montiers au profit des fils de son frère, et mourut en 1591. Son cœur, qui avait été porté à Rebais, fut, dit-on, dévoré par des chiens.

Son neveu, Philippe de Lenoncourt 11, surnommé l'Ivrogne, prit possession des deux abbayes de Rebais et de Montiers en 1583. Sa conduite ne fut pas plus édifiante que celle de son oncle, et il mourut d'une mort honteuse en 1625.

La passion dominante de Philippe III de Lenoncourt, qui

succéda à son oncle, deuxième du nom, fut une ambition et un orgueil sans bornes. Dédaignant le titre d'abbé, il se faisait appeler marquis; il rêvait de faire disparaître les religieux de Rebais, de s'approprier l'abbaye et d'en faire son domaine personnel qui serait érigé en duché. Mais son frère, sur le crédit duquel il comptait, mourut avant la réalisation de ses désirs.

Il parait qu'avant sa mort, arrivée en 1661, il reconnut que la vanité et l'ambition n'étaient que des sources de déception, et qu'il ne s'opposa plus à la réforme de son

monastère.

Les armes de Lenoncourt étaient : D'argent à la croix engreslée de sable.

Le titre d'abbé commendataire était resté entre les mains de cette famille, comme à titre d'hérédité, pendant cent dix-neuf ans, et encore en était-elle peu digne; le premier de ses membres fut un concussionnaire, le second un débauché, le troisième un ambitieux.

On ne trouve pour cette longue période, dans les archives de Montiers qu'un petit nombre de pièces, et encore ne nous apprennent-elles rien ou presque rien sur le régime nouveau et sur les rapports des abbés avec les religieux.

Les revenus, en droit commun, étaient divisés en trois parties, dont un tiers pour l'abbé, un tiers pour l'entretien de l'abbaye et les charges de l'abbé, et un tiers pour la communauté.

On apprend seulement que le sieur Lallement, admodiateur de l'abbé commendataire, fut condamné à payer aux religieux leurs pitance, nourriture et vestiaire; on ne voit rien sur la division des revenus. Heureusement nous trouverons dans la suite d'amples renseignements sur les droits et les obligations des abbés et de la communauté.

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