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bientôt réprimés par des armes qui avaient alors une grande puissance; les censures ecclésiastiques, et au besoin l'excommunication et l'interdit mettaient à la raison les oppresseurs des couvents et leurs gens de corps.

C'est ce qui arriva notamment à Anselme ou Anceau de Garlande, en 1231. Malgré les protestations des abbés de Montiers en Argonne, de Clairvaux et de Trois-Fontaines, le roi et le comte de Champagne avaient, en 1213, confirmé les prétentions d'Anceau et de ses héritiers à la garde et avouerie de l'abbaye, droit qui conférait de grands avantages à celui qui en était pourvu, mais qui lui imposait aussi des devoirs importants.

Celui-ci, loin de protéger l'abbaye contre ses ennemis, comme il le devait, ne cessait de l'inquiéter par toutes sortes de vexations: il pillait avec des gens armés les récoltes, les bois, les bestiaux et les intruments de culture, maltraitait ceux qui étaient chargés de l'exploitation des granges, introduisait des femmes de mauvaise vie et se livrait à des orgies dans la partie du couvent où il avait accès.

Justement indignés de tels procédés, l'abbé et les religieux, après en avoir appelé en vain à l'autorité temporelle, s'adressèrent au pape Grégoire IX, qui, par une bulle de 1231, où sont relatés les principaux sévices reprochés à Anseau, mit ses terres en interdit et l'excommunia.

Celui-ci arriva bientôt à composition; il remit à l'abbé les droits de justice haute, moyenne et basse, avec le titre d'avoué qu'il avait usurpé, et pour réparer les dommages qu'il avait causés, il donna au monastère cent arpens de sa belle forêt de Charmont, appelée le Tremblay, dont ses ancêtres avaient déjà donné, à diverses reprises, de grandes étendues, pour le salut de leurs âmes et la réparation des dommages par eux causés. Leurs successeurs

imitèrent cet exemple, de sorte que cette forêt, qui appartient aux hospices de Reims, contient encore onze cents hectares, sans comprendre les distractions qui en ont été faites, les défrichements et les biens communaux donnés à Charmont, Possesse et Bussy-le-Repos, par les mêmes seigneurs suivant un titre de 1224.

Les papes prirent Montiers sous leur protection; le roi Philippe le Bel et Jeanne de Navarre, sa femme, comtesse de Champagne, donnèrent des lettres de confirmation de tous les droits de l'abbaye, renouvelées plus tard par leurs successeurs au trône de France. Les lettres patentes de François Ier et de Louis XV sont demeurées aux archives de l'abbaye.

Ils n'étaient point soumis à la juridiction temporelle de l'ordinaire, c'est-à-dire que les évêques diocésains n'étaient point les maîtres d'appeler devant eux les abbés et les religieux pour les juger; ils ne pouvaient, sans y être mandés, venir conférer les ordres ni bénir l'abbé nouvellement élu; et encore devaient-il dans ces cas suivre les formes usitées en l'ordre de Citeaux. Ces règlements étaient contraires à l'esprit de la première charte de fondation, qui faisait une condition des premières donations aux abbés et religieux, de venir au chapitre de Châlons quand ils y seraient convoqués. (Charte de 1134, déjà citée.)

D'après les statuts de Citeaux, l'abbé ou tout religieux prêtre pouvait conférer la tonsure, les ordres mineurs, et même le sous-diaconat dans le couvent. Ils avaient droit de choisir, pour leurs besoins, en dehors de l'administration des sacrements, l'évêque qui leur convenait; ou si le siége était vacant, il leur était loisible de requérir l'évêque voisin. La bulle d'Honorius III, dont nous extrayons ces particularités, ajoute encore ces mots qui nous paraissent

en contradiction avec la réserve des sacrements au diocésain: « Que si un évêque étranger passe chez vous, que ce ne soit point pour des choses réservées au vôtre » ; puis elle ajoute « Vous pouvez lui demander sa bénédiction pour vos habits, pour la consécration de vos autels, et l'ordination de vos moines. » Il entend sans doute les ordres mineurs que l'abbé avait le droit de conférer luimême, ou par les prêtres de son couvent par lui délégués. Une des prérogatives de l'ordre de Citeaux était que personne n'avait droit de prélever ni dime ni novale sur les biens des maisons de cet ordre.

Un règlement de 1336, donné par l'abbé de Clairvaux, fixe le nombre des religieux profès de Montiers en Argonne à trente, celui des convers à quarante-cinq, sans comprendre les novices qui devaient être assez nombreux, puisqu'il y avait au chapitre un officier portant le titre de maître des novices.

Le chapitre général, s'occupant des règlements et des intérêts généraux de l'ordre, se tenait à Citeaux; il devait avoir lieu une fois par an, mais il se passa souvent plusieurs années sans qu'il se réunit. Les chapitres provinciaux déléguaient un ou plusieurs députés suivant leur importance, et plusieurs fois un abbé de Montiers fut chargé d'y représenter la province.

Le chapitre provincial, où l'on préparait les questions à soumettre au chapitre général, où l'on traitait des intérêts et de la discipline des abbayes en dépendant, se tenait à Clairvaux; là on ne se contenta pas toujours de rester dans les limites réservées; on pesa souvent de toute l'autorité d'une puissance et d'une influence que cette abbaye devait à son importance et au nom de son fondateur.

Plus d'une fois le chapitre particulier de Montiers se vit obligé de réagir contre ces tendances et d'en appeler au

chapitre général qui notamment déposa en 1279 Eudes, dix-huitième abbé, parce que celui-ci voulait faire prévaloir plus que de raison l'influence de Clairvaux.

Il nous resterait bien des choses à dire sur la vie religieuse à l'intérieur, et sur les relations de l'abbaye avec le pays. Une foule de petits détails nous paraissent intéressants parce qu'ils s'appliquent à des lieux que nous connaissons; mais nous sommes contraints de rester dans la limite que nous nous sommes tracée. Pour ce qui concerne la vie monacale, nous renvoyons aux ouvrages spéciaux, et pour les détails relatifs à Montiers aux pièces justificatives.

En un mot, la mort seule mettait fin à la vie commune et aux durs travaux des religieux; là commençait l'éternité, qui était leur but.

Alors le corps du simple moine allait remplir une des fosses ouvertes d'avance au cimetière; les abbés étaient ensevelis sous les dalles de l'église ou de la salle capitulaire.

De tout temps, les séculiers achetèrent à l'envi le droit d'être inhumés dans l'église de Montiers ou d'y fonder des anniversaires; aussi le livre des obits et le texte de ses inscriptions ne seraient point sans intérêt. Mais le premier document ne se retrouve point et les pierres tumulaires sont pour la plupart brisées ou indéchiffrables.

VIII

CHRONOLOGIE DES ABBÉS RÉGULIERS.

Après avoir parlé de l'ordre de Citeaux et de l'abbaye de Montiers sous l'administration des abbés réguliers, nous devons, pour être complet, donner la liste de ces mêmes

abbés qui gouvernèrent l'abbaye depuis sa fondation jusqu'en 1440 environ.

Nous suivrons ici la chronologie adoptée par les auteurs du Gallia Christiana, en nous contentant de résumer ce que nous avons déjà dit sur plusieurs abbés, et ce qui concerne l'administration de chacun d'eux dans les titres.

Le premier et le seul abbé de l'ordre des chanoines d'Arroés fut Eustache dont nous avons amplement parlé au chapitre de la fondation de Montiers, qui sortit, en 1134, du couvent de Saint-Paul de Verdun, à la voix d'Adalberon de Chiny, évêque de Verdun, et de Geoffroy, évêque de Châlons, pour poser les fondements de l'ancien Montiers, situé sur le territoire de Sommeille, puis de l'Isle-enBarrois et de Châtrices, où il mourut en 1147. Sa mémoire était consignée au nécrologe du monastère au quatrième jour avant les calendes d'août.

Mais l'absence d'Eustache et ses nombreuses occupations furent une cause de dérangement dans la vie des moines. qu'il avait laissés à Montiers. Aussi ceux-ci furent-ils renvoyés à leur couvent, et remplacés par des moines de l'ordre de Citeaux, tirés du nouveau monastère de TroisFontaines, qui vinrent, sous la conduite de Gervais, à Montiers. Celui-ci fut le second abbé (1148-1164) et il fit adopter, avec l'autorisation du Pape, la règle de Citeaux, sous la filiation de Trois-Fontaines, première fille de Clairvaux.

Gervais recueillit de nouvelles et importantes donations, et parce que les anciens bâtiments fondés par Eustache étaient situés dans une position dangereuse et exposés au pillage des gens de guerre, il commença la construction d'une nouvelle maison, près du Gué de Vadivière, sous la forêt de Tremblay.

Gervais, ayant été élu, en 1164, abbé de Trois-Fon

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