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Ce fut donc à l'association qu'ils s'adressèrent, et comme ils avaient appris ce que valaient à ce titre les monastères, ils augmentèrent ceux qui existaient déjà et en fondèrent de nouveaux (1).

En un mot, ils s'enrichissaient en procurant aux communes et aux maisons religieuses une source abondante de bien-être qui se communiquait autour d'elles.

En même temps ils satisfaisaient à leur piété en se faisant, auprès de Dieu, des intercesseurs au moment des dangers de la guerre et des voyages lointains.

Parmi les ordres religieux qui s'adonnèrent plus particulièrement à la culture du sol, on distingua ceux qui suivaient la règle de saint Benoît, et entre ceux-ci les maisons de l'ordre de Citeaux.

En effet, si l'on invoque le témoignage de M. de Caumont, qui en a si bien étudié l'architecture, on reconnaît que le plan des exploitations agricoles qui dépendaient des abbayes cisterciennes du XIIIe siècle était si bien rai

(1) Voici ce qu'on lit dans l'Histoire de l'abbaye de Morimond, par Dubois, à propos du défrichement des forêts:

« L'abbé tenant une croix de bois d'une main et de l'autre un bénitier, précédait les travailleurs. Arrivé au milieu des broussailles, il y plantait la croix comme pour prendre possession de cette terre vierge au nom de Jésus-Christ. Il faisait tout à l'entour une aspersion d'eau bénite; puis s'armant de sa cognée, il abattait quelques arbustes; ensuite tous les moines se mettaient à l'œuvre, et ils ouvraient une clairière qui leur servait de centre et de point de départ. Les moines essarteurs étaient divisés en trois sections: les coupeurs, incisores, qui faisaient tomber les arbres sous les coups des haches, les extirpatores, occupés à déraciner les souches, et les brûleurs, incensores, qui réunissaient les matériaux pour les livrer aux flammes. »

sonné et approprié à leur destination, qu'il a été suivi et utilisé dans beaucoup de métairies modernes : « Nos abbayes, ajoute-t-il, n'étaient pas seulement, comme le croit la multitude, des couvents où l'on ne s'occupait que de la récitation des psaumes; après la prière venait le travail. C'étaient de grandes fermes modèles, quelquefois de grandes fabriques (1). »

Il ne faut point, pour cela, prendre au sérieux le sarcasme attribué aux Dominicains qui accusaient les Bernardins d'être des ignorants, incapables de conquérir des grades dans les universités. Le collége des Bernardins, fondé à Paris en 1264, où chaque abbaye de l'ordre entretenait plusieurs de ses membres, prouve le contraire on y enseignait le trivium et le quadrivium; depuis, ce collège passa pour l'une des grandes écoles du clergé français. Quant à l'abbaye dont nous nous occupons, elle comptait, parmi ses religieux, au moins des professeurs titulaires de philosophie, de théologie et de belleslettres, même au XVIIIe siècle. Quant à l'école élémentaire, qui donnait l'instruction aux enfants occupés dans l'abbaye, c'était le religieux chargé du titre de curé qui en était chargé, et nous avons connu plusieurs de ses élèves qui, sans être de grands savants, se distinguèrent au-dessus des autres hommes de leur temps dans le canton, par leur intelligence et leur aptitude à l'agriculture et aux affaires.

(4) Pour ne pas citer plus longuement M. de Caumont, nous renvoyons aux Rudiments d'archéologie, architecture civile, p. 127, et passim dans ce volume, du xre au xvme siècle.

II.

EMPLACEMENT DE L'ABBAYE.

Dans un pli de terrain formé par les derniers prolongements de la forêt d'Argonne, à trois kilomètres de Charmont, à quatre kilomètres de Possesse, et à peu près à la même distance de Saint-Mard-sur-le-Mont et de Nettancourt, se trouve une ferme composée de deux maisons de culture dépendant actuellement du territoire de Possesse, au canton d'Heiltz-le-Maurupt, connue sous le nom de Montiers (Monasterium).

On n'y trouve plus que de rares vestiges du couvent qu'elle remplace, et notamment la principale porte d'entrée, raguère encore couronnée de deux lions en pierre qui gisent actuellement à ses pieds; un reste de voûte qui servait de communication entre la partie affectée aux hôtes et le cloître, dont on a fait une étable; un reste d'aqueduc en ruines qui empruntait les eaux de la Vière pour en fournir à toutes les parties du couvent et des jardins, et les rendait ensuite au cours d'eau qui les avait données; et sur les terrains ayant servi aux bâtiments claustraux et à l'église, un grand nombre de briques, pierres et tuiles, restes des démolitions qui ont été vendues comme matériaux.

On voit encore, dans la cour de la première ferme, l'une des deux tourelles reconstruites vers 1650, dont le bas servait de cellier et le haut de colombier; elles marquent l'entrée des jardins.

Ces tristes vestiges ne donnent qu'une idée bien incomplète de ce que fut à une autre époque le monastère de

Notre-Dame de Montiers en Argonne: Monasterium Beatæ Mariæ in Argonna.

L'abbaye dont nous parlons est située à une petite distance de la route romaine allant de Reims à Nasium, cachée sous bois, comme à l'ordinaire, dans une petite vallée, au-dessous du passage de la Vière, vadum veriæ, dont l'on a fait Vadevière.

On trouve, non loin de là, des traces évidentes d'un établissement militaire romain qui paraît avoir été assez important pour que l'auteur de cette notice l'ait signalé à plusieurs reprises comme pouvant bien être la station d'Ariola, si longtemps cherchée, et sur l'emplacement de laquelle les savants ne sont point d'accord (1). Position stratégique, ruines d'habitations romaines, vestiges d'établissement militaire entouré de fossés encore visibles, malgré les envahissements de la forêt, puits au milieu de l'enceinte, diverses positions d'avant-poste et autres substructions qui mettent cette station à cheval sur le nouveau comme sur l'ancien tracé de la route romaine au-dessus du passage de la Vière, la distance même de ce point à Fanum Minerva (La Cheppe), concordant avec les indications plus ou moins précises de l'Itinéraire d'Antonin; tout cela paraît assez digne de remarque et si l'auteur se trompe sur le nom et la destination du lieu, il est du moins probable que de cet examen résulterait quelque découverte nouvelle.

La position de la maison du Val, située à six kilomètres plus loin, paraît aussi très-avantageuse, défendue qu'elle est par la Chée; toutefois il n'y a point été trouvé de substructions romaines, mais bien des traces du moyen âge. Les deux points se soutenaient mutuellement. A ce dernier

(4) Notice sur Charmont, par Ch. Remy, 1865.

XLII

SESSION.

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passage de la Chée était établi un poste d'observation que certains titres appellent le Guet-des-Moines et d'autres le gué des Moines, ce qui pouvait être vrai dans les deux sens à la fois.

III.

L'ANCIEN MONASTÈRE.

LES CHANOINES D'ARROES.

L'abbaye de Montiers ne fut point originairement élevée en cet endroit elle fut fondée entre les villages de Sommeille, de Noyers et de Laheycourt, en un lieu qui porte encore le nom de Vieil-Montiers, à la proximité de la belle forêt de Bellenoue, ramification de celle d'Argonne.

Elle était construite sur le diocèse de Châlons, mais à la limite de celui de Verdun.

Après l'évacuation du premier couvent, les bâtiments devinrent une des plus importantes granges de l'abbaye (ainsi s'appelaient les exploitations cisterciennes), c'était le siége d'un fief que les moines tenaient des ducs de Bar; ils y entretinrent pendant le moyen âge des équipages de chasse dont ils faisaient usage dans les forêts voisines, où ils eurent souvent maille à partir avec les officiers de leurs suzerains.

En 1134, l'évêché de Verdun était occupé par Adalberon, et celui de Châlons par Geoffroy Ier, dit Col de Cerf.

D'accord avec le comte de Bar et grâce aux libéralités de Pierre d'Argiers et de Gipuen de Dampierre, son neveu, de Gilbert de Châlons et de Milon de Cernon, ces prélats résolurent de fonder sur les confins de leurs diocèses, près de la forêt de Bellenoue, en Argonne, une abbaye sous l'invocation de la sainte Vierge, d'où lui vint le nom de

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