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étrange témérité après l'excursion de ce matin, après avoir visité les riches collections de ce château où la fortune se met si noblement au service de la science, après les travaux si complets et si remarquables de M. Joseph de Baye et de l'honorable président de la Société d'Agriculture de la Marne, ne serait-ce pas plus qu'une témérité de venir parler de cette question, à la solution de laquelle nous ne pourrions apporter aucun élément nouveau ?

Vous me permettrez cependant, Messieurs, de vous dire quelques mots d'une pierre que j'ai trouvée à l'extrémité du canton, auprès du roc de Bonneval, et qui, par sa forme particulière, me semble mériter une mention spéciale.

Vous le voyez, cette pierre représente assez fidèlement un pied humain ou mieux encore une forme de cordonnier. Elle porte des traces irrécusables du travail de l'homme, et l'excavation polie que l'on rencontre sur l'un de ses côtés, a sans doute l'intention de rappeler la concavité de la face interne de notre pied.

Quelle était la destination de cette pierre? Dans quel but a-t-elle été ainsi taillée? Toutes les hypothèses sont permises, depuis celle qui y verrait l'œuvre d'un de ces sculpteurs, dont M. Boucher de Perthes a pu dire a que le premier qui frappa un caillou contre un autre, pour en régulariser la forme, donnait le premier coup de ciseau qui a fait la Minerve et tous les marbres du Parthénon », jusqu'à celle qui n'y verrait qu'un artisan antique, utilisant une pierre d'une forme appropriée pour y étendre la peau avec laquelle il se fabriquait des chaussures.

Mais j'ai hâte, Messieurs, d'arriver à l'objet principal de ma communication, c'est-à-dire à l'étude des silex taillés trouvés dans la vallée du Petit-Morin. C'est sur la rive gauche de cette petite rivière, depuis Carfélix jusqu'à

Baissy et en remontant vers la Pomme-Rose et la Charmotte, que l'on rencontre surtout les silex taillés; en avançant davantage sur le plateau de La Villeneuve, ou trouve plutôt des silex polis. Peut-on nettement délimiter ces ateliers? Je ne le crois pas. Sans doute, il y a plus de pierres taillées à Baissy, plus de pierres polies à la Villeneuve, mais à la Pomme-Rose, point intermédiaire où l'on ne trouve guère que des haches, on en recueille de polies et de grossières, et cela dans les mêmes terrains, presque dans les mêmes champs.

Quoi qu'il en soit, il nous paraît évident que simultanément ou successivement, les ateliers de la rive gauche du Petit-Morin ont été occupés par des peuples primitifs taillant la pierre et par d'autres la polissant.

Je ne veux pas m'étendre sur les caractères particuliers des silex taillés trouvés par moi, je me contenterai de vous indiquer sommairement leur forme générale, leur nature et leur destination. Tous ces instruments, et j'insiste sur ce fait qui me parait très-important, sont d'un silex grossier, d'une teinte blanche, veinée de rouge et qui n'a jamais servi, au moins dans notre contrée, à la confection des outils polis; ces silex sont d'une résistance médiocre et se brisent assez facilement sous le choc des marteaux ; ils sont presque toujours recouverts de dendrites brunâtres.

Le plus souvent ils sont taillés en formes de haches; cependant on trouve des couteaux, des têtes de lance, des grattoirs, etc... Un objet des plus remarquables est le casse-tête que j'ai l'honneur de vous présenter.

Mais ce qui donne à ces instruments leur véritable caractère, c'est que, suivant l'expression de Boucher de Perthes, ils sont bien à la main, et que la plupart présentent des encoches pour recevoir les doigts et donner à la main qui les saisit une prise solide.

Il y a donc là un fait intentionnel bien évident et l'on ne saurait considérer ces silex comme des ébauches destinées à être polies. Ce sont des instruments complets, terminés, mais qui annoncent une habileté moins grande de l'ouvrier, une civilisation moins avancée pour la peuplade.

J'ai dit que les haches étaient plus nombreuses: viennent ensuite les éclats en forme de têtes de lance; voici quelques couteaux, un grattoir où l'on retrouve très-nettes les encoches dont je parlais tout à l'heure, un ciseau, etc....... Je ne vous présente que quelques spécimens de ces objets, mais on les trouve par centaines dans les endroits que j'ai indiqués et dont le tracé ci-joint vous montre bien l'emplacement exact.

Pour ne rien omettre de ce qui a trait à la pierre taillée, j'ajouterai que dans les environs du Clos-le-Roy, on a trouvé quelques haches du type de Saint-Acheul. En voici une.

Tels sont les faits, Messieurs, mais quelle est leur interprétation?

S'il m'était permis de hasarder une opinion, partant de cette donnée si importante que les instruments taillés sont tous faits du silex du pays, tandis que beaucoup d'instruments en pierre polie sont fabriqués avec des matériaux étrangers à nos contrées, je serais porté à croire que les premiers ont été les outils de la population primitive, tandis que les seconds auraient été apportés par ces hordes germaniques, les Kymris, par exemple, qui voyaient déjà, il y a trente siècles, dans notre chère patrie, une proie à conquérir et à exploiter.

Mais je n'insiste pas, Messieurs, c'est à vous qu'il appartient d'examiner les faits que je viens de vous signaler et de leur donner leur véritable signification; de pro

noncer enfin, avec votre grande autorité, si quelques-uns des ateliers que j'ai découverts dans notre contrée sont bien de l'époque de la pierre taillée, et s'ils sont plus anciens que leurs voisins de la pierre polie ou s'ils en sont simplement contemporains.

M. de Cessac, qui est appelé à donner son avis sur les objets présentés par M. Aubrion, déclare, contrairement à la thèse soutenue par le préopinant, qu'ils n'appartiennent pas à l'époque paléolithique. Plusieurs des échantillons présentés n'offrent aucun caractère; il est impossible de les rapporter à aucune époque. L'âge de la pierre taillée ne peut se préciser que par un gisement bien déterminé.

Cependant, après un nouvel examen, M. de Cessac reconnaît que deux des instruments présentés par M. Aubrion sont du type paléolithique désigné sous le nom de pointes du Moustier.

M. Joseph de Baye combat l'opinion exprimée par M. Aubrion. Il faut considérer, dit-il, que les plus anciennes traces de l'humanité en Champagne se réfèrent à l'âge de la pierre polie. L'avenir seul pourra nous révéler la présence de l'homme quaternaire en Champagne.

Cette discussion terminée, M. Joseph de Baye lit un mémoire sur les grottes visitées le matin même par la Société.

Les grottes de la vallée du Petit-Morin.

Le programme du Congrès ayant réservé une large place à l'archéologie préhistorique, j'ai pensé devoir met borner à traiter seulement des découvertes que j'ai faites

dans la vallée du Petit-Morin. C'est en elles, du reste, que se résume à peu près, pour le moment, l'âge de la pierre dans le département de la Marne.

Déjà les circonstances m'ont imposé l'obligation d'entretenir plusieurs réunions savantes de nos stations néolithiques de la vallée du Petit-Morin. Ces communications devaient nécessairement se limiter, ou simplement n'aborder qu'un point spécial. Ces mémoires empruntaient leur raison d'être aux situations particulières dans lesquelles ils se sont produits; ou bien ils répondaient à des questions qui s'agitaient parmi les archéologues avec un intérêt d'actualité. Aujourd'hui, une vue d'ensemble est nécessaire, il faut donner une idée générale; cette obligation résulte de l'importance que vous attachez à nos monuments préhistoriques.

Le but sera atteint, si je ne me trompe, en esquissant rapidement devant vous les mœurs, l'existence des tribus de l'âge néolithique telles qu'elles nous apparaissent par les observations faites dans les stations que nous avons découvertes.

Leur vie encore si enveloppée d'ombre se révèle à nous dans leurs ateliers, leurs arts, leurs instruments, leurs armes, leurs ornements, leurs demeures, leurs magasins, leurs refuges, leurs sépultures, leur religion.

LES ATELIERS.

Pendant longtemps, les instruments en pierre se bornaient, pour la masse des archéologues, à la hache polie. On la recueillait avec plus ou moins d'empressement, et elle figurait dans les collections sous le nom de celtæ ou hache celtique. Semée çà et là sur le sol, elle était consi

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