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tielles, et qu'il ne fut pas nécessaire de la consacrer de nouveau (1).

Ce qui confirme cette opinion, c'est qu'on ne célèbre que la dédicace de 1147.

Les évêques de Châlons chérissaient tant leur église cathédrale, qu'ils ne s'étudiaient qu'à lui donner de nouveaux embellissements, mais qui, par une étrange fatalité, lui devenaient funestes.

Gilles de Luxembourg, soixante-dix-neuvième évêque de Châlons (1520), rendit son nom à jamais mémorable et excita l'admiration de la fameuse époque de la Renais

sance.

Il donna une somme fort considérable pour la construction d'une flèche couverte en plomb comme le reste de l'édifice, qui avait quarante-huit toises (95 mètres) de hauteur, qu'on plaça sur la tour nord de la cathédrale. Cette flèche, unique en son genre, était enrichie de peintures et de dorures. Elles passait, à bon droit, pour la plus belle et la plus haute de France. C'était une merveille.

Elle fut, pendant un siècle et demi, l'ornement de la cité chalonnaise, qu'on appelait la ville aux belles flèches (2).

Hélas! elle fut cause d'un affreux désastre.

François Ier voulut lui-même contribuer à l'embellissement de la cathédrale de Châlons pour témoigner sa reconnaissance à cette ville et à Robert de Lenoncourt, son quatre-vingtième évêque. Il fit construire, en 1537, dans la cathédrale, la chapelle de Jésus souffrant, œuvre d'un artiste habile et célèbre. On y reconnaissait

(4) Beautés de l'histoire de la Champagne, p. 233, (2) Ibid., t. II, p. 233.

le ciseau de Jean Goujon et le style de la Renaissance. On appelait cette chapelle un petit bijou (1).

Mais un autre artiste la démolit, il y a une douzaine d'années, ainsi que les autres chapelles des nefs collatérales sous prétexte qu'elles n'étaient pas du style de l'édifice. Quel vandalisme !

Disons d'abord qu'un chef-d'œuvre est toujours un chefd'œuvre, de quelque style qu'il soit, surtout quand il est le témoignage de la reconnaissance et de l'amitié d'un grand roi.

Quant aux autres chapelles, il eût été facile de les transformer en chapelles de style ogival. Les frais n'auraient guère surpassé ceux qu'on fit en les démolissant et en les remplaçant par des murs et des colonnettes.

Combien cette transformation eût embelli et agrandi la cathédrale, comme Notre-Dame de Paris!

Henri Clause, quatre-vingt-cinquième évêque de Châlons, voulut aussi donner du relief à sa cathédrale; mais il s'y prit d'une singulière manière.

Il éprouvait une peine extrême de voir le tombeau de Cosme Clausse, son oncle, sous le porche de la cathédrale, comme il l'avait demandé. Mais il ne sait point contredire sa volonté dernière. Que fait-il alors?

Il se sert d'un stratagème qui devait atteindre un double but.

En 1624, il allonge la cathédrale de deux travées, et en 1628, il construit un nouveau portail.

Par ce moyen, la tombe de son oncle se trouva dans la première travée de l'église et ne fut plus sous le porche. Mais par là il fit une bigarrure fort choquante, qu'on voit également dans d'autres villes.

(1) Beautés de l'histoire de la Champagne, p. 505.

Enchanté du style architectural de la Renaissance, il appliqua quatre piliers et un portail gréco-romains à un édifice du style ogival.

Nous touchons à l'époque la plus fatale et qui prête une ample matière aux plus grandes contestations.

Les chapelles absidales constituent en quelque sorte les plus beaux ornements de la cathédrale.

Mais certains architectes soutiennent avec opiniâtreté qu'elles ont été construites dans le XIVe siècle, et qu'elles sont du style ogival de cette époque.

Cependant, il est incontestable que ces chapelles absidales ont été édifiées dans le XVIIe siècle, sous le règne et avec l'assistance de Louis XIV.

Donnons deux genres de preuves également évidentes, preuves historiques, preuves archéologiques.

Les preuves historiques sont à la portée de tout le monde; ce sont des faits.

Félix III, Vialart de Herse, quatre-vingt-sixième évèque de Châlons (1640), venait de fonder plusieurs établissements pieux et nageait dans la joie.

Tout à coup, un accident affreux vint le plonger dans la consternation. C'est un témoin oculaire qui le raconte. N. Fortier, curé de la paroisse Saint-Éloi de Châlons, en a écrit le récit de sa main dans les registres paroissiaux, qu'on possède à la mairie de Châlons :

« Le jeudi, 19 janvier 1668, est arrivé en cette ville de Châlons un malheur effroyable. Il fit un coup de tonnerre sur les six heures un quart du soir du mesme jour, accompagné du feu du ciel, qui se prit au plus hauct jour du grand clocher de l'église Sainct-Estienne, que nous appellons la flesche, et qui dura jusqu'au vendredy, sept heures du matin. Ce feu brusla tout le clocher depuis le hauct jusqu'à la pierre dure et tout le

bois depuis la pierre dure jusqu'en bas. La pointe du clocher tomba sur la couverture du chœur et la fit fondre entièrement jusqu'aux degrés du chœur avec les voûtes du même endroit et le pavé dudict chœur jusqu'à la cripte, où deux chanoines de Sainct - Estienne furent ensevelis..... Le feu brusla ensuite toutes les autres cloches de ladicte église, toute la couverture jusqu'au portail, une partie du lieu que nous appellons sébilles..... L'église de la Trinité a été également saccagée. »

Ajoutons que le grand autel, plusieurs châsses de saints, le jeu d'orgue, les stalles capitulaires furent entièrement détruits.

Présentons un autre témoin oculaire, plus véridique encore, s'il est possible, par son acte héroïque de dévouement.

Pierre Debar, prêtre, chanoine de la cathédrale et doyen du chapitre, s'élançant au milieu des flammes, eut le bonheur de sauver, au péril de sa vie, les saintes espèces et les vases sacrés.

Ce fait sublime est relaté sur sa tombe, qui est posée dans le pourtour de l'abside, devant la chapelle de la sainte Vierge.

Tous les ans, on célèbre un salut d'actions de gràces de la préservation du reste de la cathédrale et de la ville; on chante un De profundis pour Pierre Debar, le 19 janvier, ou le dimanche suivant.

Félix Vialard, outré de douleur d'un si grand désastre, déploya tout son zèle pour le réparer. Il vendit ses meubles précieux, les maisons considérables qu'il possédait à Paris, sacrifia tous ses revenus pour sa chère cathédrale. Il intéressa à son œuvre ses diocésains, les personnages puissants et même Louis XIV.

Animé d'un zèle ardent pour la maison du Seigneur, il remit l'intérieur de l'église dans l'état où il était aupara

vant. Il l'embellit considérablement. Il allongea la cathédrale vers le chevet. Il ajouta dans le sanctuaire quatre colonnes d'ordre dorique aux quatre anciennes qui existaient; il acheva le pourtour du collatéral, qui auparavant s'arrêtait au deuxième pilier de l'abside; il construisit, en style ogival du XIVe siècle, sur l'emplacement des chapelles dites des Sibylles, détruites dans l'incendie, les trois chapelles absidales du rond-point, qu'on nomme encore chapelles des Sibylles.

De cette sorte, la cathédrale fut allongée de tout l'espace qui existe depuis la seconde colonne du sanctuaire, à laquelle est appliquée une colonne engagée qui servait jadis de contre-fort extérieur, de la largeur de tout le déambulatoire et de la profondeur des trois chapelles absidales.

Vialart de Hesse se garda bien d'imiter son prédécesseur. Pour éviter toute bigarrure, il voulut que les trois chapelles absidales fussent conformes au style ogival du reste de l'édifice.

L'évêque de Châlons était un pontife d'un grand génie, d'une vraie piété. Toute sa vie le démontre. Nous l'avons justifié de l'accusation de jansénisme (1).

Enfin, au lieu d'une flèche qui était de bois et couverte de plomb, il fit faire deux clochers à jours, de pierre de taille, fort élevés, de pareille symétrie et qui pouvaient passer pour un chef-d'œuvre d'architecture.

Tous ces ouvrages furent terminés en 1672, et coûtèrent, d'après la requête présentée à Sa Majesté, 148,600 fr. (2).

Produisons encore d'autres preuves historiques de la construction récente de toute la partie supérieure de la cathédrale l'histoire manuscrite des évêques de Châlons,

(1) Beautés de l'histoire de la Champagne, t. II, p. 521. (2) Ibid., p. 525. — Archives de la préfecture de Châlons.

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