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Ainsi, dans le tumulus de Grauhols, fouillé par M. de Bonstetten, on trouva, «outre les débris des roues d'un char, un seau de bronze et, près de ce seau, des grains de collier formés de deux demi-coquilles en feuilles d'or. Ce collier se composait de vingt-quatre grains de grosseurs différentes. Deux petits pendants d'oreilles complétaient cette parure. » (Tum. gaul.)

Nous sommes ici en présence de la tombe d'un personnage considérable, comme le prouvent les débris du char. Le vase d'airain est appelé seau, ciste même, par quelques archéologues; M. de Bonstetten lui donne le nom de cratère; et je crois qu'il est dans la vérité. Dans les recueils d'archéologie, nous sommes habitués à voir la représentation du cratère antique sous la forme de l'élégant vase de l'Attique. Or, tous les cratères n'avaient pas cette forme. La preuve est dans Hérodote. « Les Samiens, dit l'historien, construisirent un vase d'airain (pour Crésus); ils lui donnèrent la forme non d'un cratère de Samos, mais d'un cratère d'Argos. Οἱ δε Σάμιοι ἐποιήσαντο χαλκήϊον κρητῆρος αργολικου τροπον (1. IV).

Je suis convaincu que beaucoup de vases d'airain classés parmi les cistes sont de véritables cratères de Samos, de Chypre ou de Chio.

C'est donc près du cratère de Grauhols que ce qu'on appelle un collier a été découvert. Un collier? Véritablement, est-ce la place de cet ornement? N'est-ce pas plus logique de l'attribuer au cratère, quand nous savons que le cratère était couronné; qu'il était, selon l'expression de saint Jérôme: auro gemnisque distinctum? Et ces pendeloques décorées du nom de pendants d'oreilles, ne sont-elles pas plutôt les lemnisques qui complètent la parure (1)?

(1) Les lemnisques des couronnes des vases d'airain n'étaient

XLII SESSION.

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En parlant de cratère, vous avez sans doute remarqué que, dans les sépultures, les vases sont toujours proportionnés à la dignité ou à l'importance du défunt. Pour le vulgaire, c'est un vase de petite capacité; pour les personnages considérables, vous trouverez la phiale (φίαλη) (1), l'œnochoé ou le cratère. C'est l'image fidèle des mœurs du temps. La plupart des hommes célèbres de l'antiquité se faisaient gloire d'être à la fois vaillants guerriers et vaillants buveurs : « Que l'on mesure le vin aux autres Grecs chevelus, disait Agamemnon à Idoménée, pour toi, je veux que ta grande coupe (δέπας) soit toujours pleine comme la mienne, afin que nous puissions boire selon nos désirs.»

.......

σον δε πλεῖον δέπας αἱει
εστηχ'ὡς περ εμοί, πίεειν ὅτε θυμος ἁνώγοι (1. IV).

Cette parole d'Agamemnon a, vous le voyez, son écho jusque dans le tombeau.

A Somme-Bionne, ce n'est plus la couronne de perles que nous retrouvons au pied de l'œnochoé, mais bien le strophiolum connu à Eygenbilsen et en d'autres localités (2). M. Schüermans, dans la description qu'il a faite de cette dernière découverte, remarque que « la bande d'or affecte

pas des rubans comme pour les couronnes de tête, mais bien des anneaux ouvragés ou des pendeloques imitant plus ou moins les pendants d'oreilles.

(1) La phiale était un vase d'assez grande capacité. Voir saint Ambroise: Liber de jejunio Eliæ.

Homère met le δεπας sur le même rang que la φιάλη.

(2) Doerth, Weisskirchen, Heerapfel, etc. Dans les tombes celtiques de l'Alsace, M. Maximilien de Ring mentionne un diadème métallique entier qui devait entourer deux œnochoés (Forêt de Hatten).

une forme courbée, comme si elle était destinée à ceindre

un corps plus ou moins hémisphérique; de plus, le revers porte les traces d'une sorte de mastic analogue à celui que décrit Pline quand il parle du procédé pour appliquer l'or sur le cuivre. » La même observation doit être faite sur le bandeau de Somme-Bionne.

Or, à quel vase de bronze, à quel corps plus ou moins hémisphérique, ce bandeau peut-il mieux et plus naturellement s'appliquer qu'à l'œnochoé près de laquelle il a été trouvé?

Et si nous voulons connaître l'endroit précis où ce strophiolum était attaché, voyons ce qui se faisait pour les vases de terre. Quand le potier moulait une couronne sur un vase, où plaçait-il cette couronne, cette branche de lierre ou de vigne? Sur le ventre du vase, dans la partie supérieure. En appliquant le bandeau d'or sur l'œnochoé au lieu indiqué et consacré par l'usage, vous verrez que ce bandeau s'adapte parfaitement comme un diadème.

Nous pouvons donc légitimement conclure, et d'après l'observation et d'après les principes que nous avons posés, que cet ornement lui appartient. Le lui restituer, c'est, Messieurs, faire acte de rigoureuse justice.

M. Counhaye, archéologue à Suippes, entretient de nouveau le Congrès de ses fouilles dans les tumuli.

Les vases trouvés à Somme-Bionne lui paraissent avoir été apportés par l'invasion kymrique-teutonne et être un des jalons de ce grand fait ethnographique.

M. Counhaye estime que les tumuli étaient des monuments rapidement élevés par une armée en marche, au fur et à mesure que se développaient ses opérations.

M. Buvignier fait connaître que, sur les plateaux de la Meuse, dans la partie où la craie forme la constitution du sol, on trouve des tumuli élevés en lignes qui paraissent se commander.

M. Nicaise demande à M. Counhaye ce qu'il pense des incinérations placées au fond des tumuli fouillés par lui et M. Morel, l'un près de Prosnes, l'autre près de Baconnes. Ce caractère prouverait que ces monuments ne sont point, autant que M. Counhaye tient à le croire, élevés tout simplement pour une sorte de jalonnement au milieu d'opérations militaires, mais que la constatation d'un foyer à la base et au centre des tumuli permet d'attribuer un autre caractère à ces monuments.

M. Counhaye avoue ne point se rendre compte de cette disposition dans les monuments fouillés par M. Nicaise. M. le colonel de Sailly examine la forme et surtout la nature des matériaux qui composent les tumuli. La quantité d'humus très-meuble qui les recouvre paraît indiquer que cet humus aurait été fourni par un terrain abrité par d'épaisses forêts, et l'on assure que notre sol a été en effet dans de semblables conditions.

M. Nicaise communique à l'assemblée un des instruments appelés hipposandales, d'un type inconnu jusqu'aujourd'hui.

Cet instrument, long de 15 centimètres 1/2, sur une largeur moyenne de 10 centimètres, est muni à l'une de ses extrémités d'un contre-fort circulaire, tandis qu'à l'autre extrémité, deux oreilles, circulaires également et relevées, retiennent deux anneaux destinés à rattacher l'instrument au point où il était fixé. A la base de l'hipposandale est pratiquée une ouverture ovale, de forme irrégulière et allongée, dans le sens de la longueur de cette base.

M. le colonel de Sailly ne pense point que le Congrès se trouve encore là en présence d'une hipposandale. Il

s'appuie, pour le démontrer, sur la forme générale de l'instrument, dont la plante est circulaire et l'ajusture de muraille latérale réellement et régulièrement oblique.

Cette forme de l'instrument ne permettrait pas au pied du plus petit poney de s'y adapter.

M. Nicaise renouvelle à l'assemblée sa communication précédente, relative à une hache de bronze trouvée dans la Marne et renfermant encore dans sa douille l'extrémité du manche en bois auquel elle était attachée. Au moyen d'un manche coudé à angle mobile, M. Nicaise démontre que l'usure de la partie inférieure du tranchant de cette hache résulte de l'action de hacher et non pas du choc de l'instrument lancé à la main ou par une machine balistique comme la cateia des anciens. Il résulte également de cette communication que cette hache était fixée au manche, l'anneau latéral placé en dessus et non en dessous, comme dans le mode d'attache des haches présentées au Congrès par les intéressants dessins de M. Lebeuf.

M. de Baye, à l'occasion de la communication de M. l'abbé Morel, signale les bandeaux d'or comme étant un bandeau funéraire placé sur la tête des morts. Il s'appuie sur des exemples nombreux constatés par M. de Clercq, qui possède des bandeaux trouvés dans les sépultures de l'île de Chypre.

En ce qui concerne les incinérations des tumuli, M. de Baye mentionne celui de Mondement. Ce tertre contenait les cendres provenant de l'incendie d'un château fort du vIII° ou du Ix siècle. Cependant la tradition regardait ce tumulus comme la sépulture d'un général romain.

La séance est levée à cinq heures et demie.

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