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emprunté à la nation conquérante ses coutumes, ses mœurs et son industrie?

Nous préférons de beaucoup la première hypothèse et nous sommes complétement de l'avis du savant numismatiste français, M. A. de Barthélemy qui, à propos de la découverte d'Eygenbilsen, a été le premier à penser que ces objets avaient été rapportés de la Haute-Italie par les Gaulois, qui, tant de fois, repassèrent les Alpes chargés de riches dépouilles (1).

Mais nous aimons mieux nous abstenir en ne sortant pas de notre modeste rôle de fouilleur. Nous nous sommes borné à exposer les faits, à dresser, pour ainsi dire, l'inventaire des objets trouvés, laissant à d'autres plus compétents que nous le soin d'en tirer des conclusionsutiles au point de vue de l'histoire et surtout de la science archéologique, à laquelle nous sommes si profondément attaché.

M. l'abbé Morel, curé de Sampigny, frère du précédent, à l'occasion de l'onochoé de Somme-Bionne, a étudié le symbolisme de la couronne placée sur les vases dans l'antiquité. Ses remarques sont consignées dans le mémoire suivant:

(1) Voir le 3 article de M. Shüermans, dans lequel M. A. de Barthélemy s'exprime ainsi : « L'histoire ancienne est remplie à chaque page du récit de ces nombreuses expéditions gauloises, qui revenaient avec un énorme butin en partie partagé entre les chefs; combien de fois des armées de Gaulois et de Germains ne durent-elles pas repasser les Alpes, chargées des dépouilles de la Haute-Italie! Ce que nous trouvons ne se composerait-il pas tout simplement des objets les plus précieux provenant du butin et ensevelis avec le défunt, auquel ils avaient rappelé, pendant la vie, des expéditions lointaines et glorieuses. >>

L'œnochoé de Somme-Bionne (Marne)

et sa couronne.

MESSIEURS,

Parmi les objets dont M. L. Morel vient de vous faire la description et qui forment le fond archéologique et artistique de son intéressante découverte de Somme-Bionne, permettez-moi de vous en signaler deux sur lesquels je désire fixer de nouveau votre attention, en vous indiquant le rapport intime qui les unit. Ces deux objets sont: l'œnochoé et le bandeau d'or qui l'accompagne.

Ce n'est pas la première fois que ce bandeau se retrouve près de l'œnochoé. Déjà leur présence simultanée a été remarquée dans plusieurs sépultures; mais, quand il s'est agi de déterminer l'usage de ce bandeau, les avis des archéologues se trouvèrent partagés. Quelques-uns ont pensé que c'était un simple diadème; d'autres, un ornement du casque d'un guerrier ou même des vêtements. Je voudrais vous démontrer, en donnant à ma pensée quelques développements, que ce bandeau trouvé à Somme-Bionne au pied de l'œnochoé, en est la décoration traditionnelle, c'est-à-dire la couronne.

I.

Vous le savez, Messieurs, c'était un usage chez les anciens de se couronner de fleurs pendant les repas; cet usage est un fait certain pour nous, un souvenir essentiellement classique.

Mais ces couronnes n'ornaient pas seulement le front des convives, elles reposaient encore, sur les vases qui

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contenaient le vin. Pourquoi et dans quel but? Était-ce, comme le veut Athénée, parce que de tous les biens matériels reçus de la libéralité divine, le vin a le rang de prééminence et d'honneur?

Bonorum omnium regem natura vinum statuit (1. X).

Était-ce parce que Bacchus, d'après Pline, aurait inventé la couronne? ou simplement qu'elle lui plaisait comme l'affirme Ovide?

Bacchus amat flores, Baccho placuisse coronam
Ex aiadneo sidere nosse potes (Fast. c. v).

Enfin, dans un sens plus élevé, serait-ce parce que le vin, destiné à être offert en libation à la divinité, devait être couronné de fleurs, comme on le faisait de toute victime, au rapport de Plutarque (Vit. Pélop.).

Il serait difficile aujourd'hui de préciser la raison déterminante de cet usage traditionnel. Ici, comme dans d'autres cas analogues, le fait subsiste, il s'impose aux regards ou à l'esprit; mais la cause primordiale et symbolique, échappe à l'appréciation; elle s'est oblitérée dans le cours des âges.

Quoi qu'il en soit, l'alliance entre le vin et la couronne était si intime, dans la haute antiquité, elle semblait alors si naturelle, si nécessaire, que l'ouverture de tous les vases destinés à contenir le vin avait ordinairement la forme d'une couronne. C'est un fait que nous pouvons constater au moins chez les peuples les plus civilisés; de sorte que, dans ce temps, couronner les vases, c'était remplir de vin les vases qui devaient le contenir, jusqu'à la naissance de la couronne. Cette explication est, je crois, le

commentaire le plus naturel et le plus clair de ce vers du grand poëte grec:

Χοῦροι μὲν κρητῆρας ἐπεστέψαντο ποτόιο (1., 1. 1, ν. 470).

C'est-à-dire, de jeunes serviteurs formèrent, pour la boisson par le vin, des couronnes sur les cratères. Et dans cet autre passage de l'Odissée :

Στήσαντο κρητῆρας ἐπιστεφέας δίνοιο (Ι. ΙΙ, ν. 431).

Ils posèrent des cratères couronnés par le vin.

En effet, en remplissant de vin les cratères jusqu'à l'endroit indiqué, la couronne semble se détacher et reposer sur le vase et le vin comme sur la tête des convives ou des rois.

Dans la suite, on ne se contenta pas de cette couronne pour ainsi dire naturelle; l'usage s'introduisit de poser sur le vase une couronne spéciale. De là nous lisons dans Virgile:

Crateras magnos statuunt et vina coronant (En. 1. I, v. 730).

Et au livre VII®:

Crateras læti statuunt et vina coronant (v. 147).

Le poëte explique au livre III, comment il entend ce

couronnement:

Tum, pater Anchises magnum cratera coronà

Induit, implevitque mero.... (v. 525).

Anchise entoure le cratère d'une couronne, magnum

cratera corona induit, et c'est après cette cérémonie qu'il le remplit de vin: implevitque mero.....

Vous le voyez, ce couronnement n'est plus le même que dans Homère.

Ce n'était pas seulement le crater magnus qui recevait cet honneur, on l'accordait à la coupe elle-même.

Coronatus stabit et ipse calix,

dit Properce (1. II, eleg. 5), et le poëte parle d'une couronne de pampre.

Tertullien, dans son livre De Corona militis, résumant les usages païens, s'exprime sur ce sujet avec des termes identiques :

Et coronis inornabitur calix.

Bien que l'onochoé ne fût que l'intermédiaire entre le cratère et la coupe, il est certain qu'elle était aussi couronnée, par la raison générale que les anciens, dans leurs repas, couronnaient le vin, partout où il se trouvait.

Βρομιοῦ στέφεται τό νάμα (Anacr. Od. 28).

On couronne la liqueur de Bacchus.

N'est-ce pas en prévision de la couronne qu'on fabriquait habituellement l'onochoé avec un bec relevé, afin que rien ne fit obstacle à sa destination (1)?

Ajoutons que si le cratère était le vase obligé dans les grandes cérémonies, dans les festins plus ou moins solennels, bien souvent on se contentait de l'onochoé dans

(1) La couronne de fleurs était maintenue par l'anse de l'œnochoé.

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