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ouvertement contre Dieu; et d'autre part la justice divine prête à les précipiter dans l'abîme en la compagnie des démons, desquels ils avoient suivi les conseils et imité la présomption, lorsque tout à coup ce saint, ce charitable pontife, ce pontife fidèle et compatissant à nos maux, paroit entre Dieu et les hommes. Il se présente pour porter les coups qui alloient tomber sur nos têtes, il répand son sang sur les hommes, il lève à Dieu ses mains innocentes ; et pacifiant ainsi le ciel et la terre, il arrête le cours de la vengeance divine, et change une fureur implacable en une éternelle miséricorde. Vous verriez comme tous les fidèles deviennent prêtres et sacrificateurs, par le sang précieux de Jésus par lequel ils sont consacrés. Je vous les représenterois, ces nouveaux sacrificateurs, revêtus d'une étole céleste, blanchis dans les eaux du baptême et dans le sang de l'Agneau, officiant tous ensemble non sur un autel de matière terrestre, mais sur cet autel céleste qui représente le Fils de Dieu (Apoc., vnt. 3.) ; et là charger cet autel de victimes spirituelles, c'est-àdire, de prières ferventes, de cantiques de louange et de pieuses actions de grâces, qui de toutes les parties de la terre montent de dessus ce mystérieux autel devant la face de Dieu, ainsi qu'un parfum agréable et un sacrifice de bonne odeur, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ; grandprêtre et sacrificateur éternel selon l'ordre de Melchisedech.

Et que ne dirions-nous pas de cet incomparable pontife, de ce médiateur du nouveau Testament, par qui seul toutes les oraisons sont bien reçues, par qui les péchés sont remis, par qui toutes les grâces sont entérinées, qui par une nouvelle alliance a rompu le damnable traité que nous avions fait avec l'enfer et la mort, selon ce que dit Isaïe: Delebitur fœdus vestrum cum morte, et pactum vestrum cum inferno non stabit (Is., xxvIII. 28. ). « Votre pacte avec la » mort sera annulé, et votre pacte avec l'enfer ne » tiendra pas. » C'est ce que nous dirions, chrétiens. Puis joignant cette doctrine toute apostolique à ce que nous venons de prêcher de la royauté du Sauveur, nous conclurions hautement dans l'épanchément de nos cœurs, que le nom de Jésus, qui enferme toutes ces merveilles, est un nom au-dessus de tout nom, comme l'a. pôtre l'enseigne aux Philippiens (Philip., 11. 9.) ; et qu'« il étoit bien convenable, selon le même >> apôtre aux Hébreux (Hebr., II. 10.), que >> Dieu dédiât et consacrât par sa passion le » prince de notre salut. » Mais puisqu'il a plu à celui qui nous inspire dans cette chaire de vérité,

de nous fournir assez de pensées pour remplir tout cel entretien de la royauté de Jésus; fidèles, demeurons-en-là, en attendant que la Providence divine nous fasse tomber sur la même matière, et tirons-en quelques instructions pour l'édification de nos âmes.

Donc, ô peuples de Jésus-Christ, si le Fils de Dieu est votre vrai roi, songez à lui rendre vos obéissances. Rappellerai-je ici de bien loin la mémoire des siècles passés, pour vous faire voir comme les bons princes ont été les délices de leurs sujets? Que n'ont pas fait les peuples pour les rois qui ont sauvé leurs pays, les vrais pères de la patrie? Ah! il y a dans nos cœurs je ne sais quelle inclination naturelle pour les princes que Dieu nous donne, que ni les disgrâces ni aucun mauvais traitement ne peut arracher aux âmes bien nées Qu'il est aisé aux rois de la terre de gagner l'affection de leurs peuples! un souris, un regard favorable, un visage ouvert et riant satisfait quelquefois les plus difficiles. In hilaritate vultus regis vita, disoit autrefois le Sage Prov., XVI. 15.) : « La vie est dans les regards » du prince, quand on les a sereins et tranquil>> les. >> Peuples, c'est une chose certaine, vous le savez un gouvernement doux et équitable, une puissance accompagnée de bonté et d'une humeur bienfaisante, charme les âmes les plus sauvages. C'est un sentiment commun parmi les hommes d'honneur, que pour de tels princes la vie même est bien employée.

Il n'y a que le roi Jésus à qui la douceur et les largesses ne servent de rien. Il a beau nous ouvrir ses bras pour nous embrasser ; il a beau nous obliger, non par de vaines caresses, mais par des bienfaits effectifs; nous sommes de glace pour lui nous aimons mieux nous repaître des frivoles apparences du monde, que de l'amitié solide qu'il nous promet Ah! pourrai-je bien vous dire avec combien de soin il a recherché notre amour? Il est notre roi par naissance, il l'est de droit naturel; il a voulu l'être par amour et par bienfaits. Il faut, dit-il, que je les délivre, ces misérables captifs. Je pourrois bien le faire autrement; mais je veux les sauver en mourant pour eux, afin de les obliger à m'aimer. J'irai au péril de ma vie, j'irai avec la perte de tout mon sang les arracher de la mort éternelle. N'importe, je le ferai volontiers; pourvu seulement qu'ils m'aiment, je ne leur demande point d'autre récompense. Je les ferai régner avec moi.

Eh! mes frères, dites-moi, je vous prie, que nous a fait Jésus, le meilleur des princes, qu'avec une telle bonté il ne peut gagner nos affections,

il ne peut amollir la dureté de nos cœurs? Certes, peuple de Metz, je vous donnerai cet éloge, que vous êtes fidèle à nos rois. On ne vous a jamais vu entrer, non pas même d'affection, dans les divers partis qui se sont formés contre leur service. Votre obéissance n'est pas douteuse, ni votre fidélité chancelante. Quand on parloit ces jours passés de ces lâches, qui avoient vendu aux ennemis de l'Etat les places que le roi leur a confiées, on vous a vu frémir d'une juste indignation. Vous les nommiez des traîtres, indignes de voir le jour, pour avoir ainsi lâchement trompé la confiance du prince, et manqué de foi à leur roi. Fidèles aux rois de la terre, pourquoi ne sommes-nous traitres qu'au Roi des rois? Pourquoi est-ce qu'il n'y a qu'envers lui que le nom de perfides ne nous déplait pas, qui seroit le plus sensibie reproche que l'on nous pût faire en toute autre rencontre?

Mes frères, le roi Jésus nous a confié à tous une place, qui lui est de telle importance, qu'il l'a voulu acheter par son sang cette place, c'est notre âme, qu'il a commise à notre fidélité. Nous sommes obligés de la lui garder, par un serment inviolable que nous lui avons prêté au baptême. Il l'a munie de tout ce qui est nécessaire, au dedans par ses grâces et son Saint-Esprit, au dehors par la protection angélique. Rien n'y manque, elle est imprenable, elle ne peut être prise que par trahison. Traitres et perfides que nous sommes, nous la livrons à Satan; nous vendons à Satan le prix du sang de Jésus, à Satan son ennemi capital, qui a voulu envahir son trône, qui n'ayant pas pu réussir au ciel dans son audacieuse entreprise, est venu sur la terre lui disputer son royaume, et se faire adorer en sa place. O perfidie! ô indignité! c'est pour servir Satan que nous trahissons notre prince crucifié pour nous, notre unique libérateur.

Figurez-vous, chrétiens, qu'aujourd'hui, au milieu de cette assemblée, paroit tout à coup un ange de Dieu qui fait retentir à nos oreilles ce que disoit autrefois Elie aux Samaritains: « Peuples, >> jusqu'à quand chancellerez-vous entre deux >> partis? » Quousque claudicatis in duas partes (3. Reg., XVIII. 21.)? Si le Dieu d'Israël est le vrai Dieu, il faut l'adorer; si Baal est Dieu, il faut l'adorer. Chers frères, les prédicateurs sont les anges du Dieu des armées. Je vous dis donc aujourd'hui à tous, et Dieu veuille que je me le dise à moi-même comme il faut : Quousque claudicatis? Jusqu'à quand serez-vous chancelants? Si Jésus est votre roi, rendez-lui vos obéissances; si Satan est votre roi, rangez-vous du côté de Satan. Il faut prendre parti aujourd'hui. Ah! mes

frères, vous frémissez à cette horrible proposition. A Jésus, à Jésus, dites-vous; il n'y a pas ici lieu de délibérer. Et moi, nonobstant ce que vous me dites, je réitère encore la même demande : Quousque claudicatis in duas partes? Et! serezvous à jamais chancelants, sans prendre parti comme il faut? «< Si je suis votre maître, dit le

Seigneur par la bouche de son prophète, où est >> l'honneur que vous me devez ( MALAC., 1. 6.) ? >> Et pourquoi m'appelez-vous Seigneur, et ne >> faites pas ce que je vous dis, »> dit Notre-Seigneur en son Evangile (MATTH., VII. 21.)? Que voulez-vous que l'on croie, ou nos paroles, ou nos actions?

Le Fils de Dieu nous ordonne que nous approchions de son Père en toute pureté et en tempérance. Et pourquoi donc tant d'infàmes désirs? pourquoi tant d'excessives débauches? Il nous ordonne d'être charitables; et, fidèles, la charité pourra-t-elle jamais s'accorder avec nos secrètes envies, avec nos médisances continuelles, avec nos inimitiés irréconciliables? Le Fils de Dieu nous ordonne de soulager les pauvres, autant que nous le pourrons; et nous ne craignons pas de consumer la substance du pauvre, ou par de cruelles rapines, ou par des usures plus que judaïques. Quousque claudicatis? Mes frères, il ne faut plus chanceler; il faut être tout un ou tout autre. Si Jésus est notre roi, donnons-lui nos œuvres, comme nous lui donnons nos paroles. Si Satan est notre roi, ô chose abominable! mais la dureté de nos cœurs nous contraint de parler de la sorte ; si Satan est notre roi, ne lui refusons pas nos paroles, après lui avoir donné nos actions. Mais à Dieu ne plaise, mes frères, que jamais nous fassions un tel choix ! Et comment pourrions-nous supporter les regards de cet Agneau sans tache, meurtri pour l'amour de nous? Dans cette terrible journée, où ce roi descendra en sa majesté juger les vivants et les morts, comment soutiendrions-nous l'aspect de ses plaies qui nous reprocheroient notre ingratitude? Où trouverions nous des antres assez obscurs et des abîmes assez profonds, pour cacher une si noire perfidie? Et comment souffririons-nous les reproches de cette tendre amitié si indignement méprisée, et la voix effroyable du sang de l'Agneau qui a crié pour nous sur la croix pardon et miséricorde, et dans ce jour de colère criera vengeance contre notre foi mal gardée et contre nos serments infidèles?

O Dieu éternel! combien dur, combien insupportable sera ce règne que Jésus commencera en ces jours d'exercer sur ses ennemis ! Car enfin, fidèles, il est nécessaire qu'il règne sur nous.

L'empire des nations lui est promis par les prophéties. S'il ne règne sur nos âmes par miséricorde, il y régnera par justice; s'il n'y règne par amour et par grâce, il y régnera par la sévérité de ses jugements et par la rigueur de ses ordonnances. Et que diront les méchants, quand ils sentiront, malgré qu'ils en aient, leur roi en eux-mêmes appesantir sur eux son bras tout-puissant; lorsque Dieu frappant d'une main, soutenant de l'autre, les brisera éternellement de ses coups sans les consumer? Et ainsi toujours vivants et toujours mourants, immortels pour leur peine, trop forts pour mourir, trop foibles pour supporter, ils gémiront à jamais sur des lits de flammes, outrés de furieuses et irrémédiables douleurs; et poussant parmi des blasphèmes exécrables mille plaintes désespérées, ils confesseront par une pénitence tardive, qu'il n'y avoit rien de si raisonnable que de laisser régner Jésus sur leurs âmes. Dignes certes des plus horribles supplices, pour avoir préféré la tyrannie de l'usurpateur à la douce et légitime domination. du prince naturel. O Dieu et Père de miséricorde, détournez ces malheurs de dessus nos têtes.

Mes frères, ne voulez-vous pas bien que je renouvelle aujourd'hui le serment de fidélité que nous devons tous à notre grand roi? O roi Jésus, à qui nous appartenons à si juste titre, qui nous avez rachetés par un prix d'amour et de charité infinie, je vous reconnois pour mon souverain. C'est à vous seul que je me dévoue. Votre amour sera ma vie, votre loi sera la loi de mon cœur. Je chanterai vos louanges, jamais je ne cesserai de publier vos miséricordes. Je veux vous être fidèle, je veux être à vous sans réserve, je veux vous consacrer tous mes soins, je veux vivre et mourir à votre service. Amen.

SECOND SERMON

POUR

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LA FÊTE DE LA CIRCONCISION

DE NOTRE-SEIGNEUR 1.

Royauté de Jésus-Christ, sa nature, ses effets; droits qu'elle lui donne sur nous; comment nous devons la reconnoître.

Deus autem rex noster ante sæcula, operatus est salutem in medio terræ.

Dieu, qui est notre roi avant tous les siècles, a opéré notre salut au milieu de la terre ( Ps., LXXIII. 13.).

Quoique nous apprenions par les saintes Lettres que Dieu se considère dans tous ses ouvrages, et

Nous avons supprimé de ce sermon plusieurs mor-
TOME I.

que ne voyant rien dans le monde qui ne soit infiniment au-dessous de lui, il ne voit aussi que lui-même qui mérite d'être la fin de ses actions; toutefois il est assuré qu'il n'augmente pas pour cela ses propres richesses, parce qu'elles sont infinies. Quelques beaux ouvrages que produise sa toute-puissance, il n'en retire aucun bien que celui d'en faire aux autres; il n'y peut rien acquérir que le titre de bienfaiteur; et l'intérêt de ses créatures se trouve si heureusement conjoint avec le sien, que comme il ne leur donne que pour l'avancement de sa gloire, aussi ne peut-il avoir de plus grande gloire que de leur donner. C'est pourquoi l'Eglise, inspirée de Dieu, nous apprend, dans le sacrifice, à lui rendre grâces pour sa grande gloire: Gratias agimus tibi propter magnam gloriam tuam; afin que nous comprenions par cette prière, que la grande gloire de Dieu, c'est d'être libéral à sa créature. C'est pour cette raison que le Fils de Dieu prend aujourd'hu le nom de Jésus et la qualité de Sauveur. Ce n'est pas assez que l'on nous enseigne que ce petit enfant est né pour les hommes, il faut que son nom nous le fasse entendre: et il en revient à notre nature ce grand et glorieux avantage, qu'on ne peut honorer le nom de Jésus, sans célébrer aussi notre délivrance; et ainsi que le salut des mortels est devenu si considérable, qu'il fait non-seulement le bonheur des hommes et le sujet des hymnes des anges, mais encore le triomphe du Fils de Dieu même.

Sainte Mère de mon Sauveur, dont le SaintEsprit s'est servi pour lui donner un nom si aimable, obtenez-nous de Dieu cette grâce, que nous en sentions les douceurs que l'ange commença de vous expliquer, après qu'il vous eut ainsi saluée. Ave, Maria.

Encore que le mystère de cette journée, cachant à nos yeux la divinité, nous représente le Fils de Dieu, non-seulement dans l'infirmité de la chair, mais encore dans la bassesse de la servitude, et que les cris, les gémissements et le sang de cet enfant circoncis semblent plutôt exciter en nous les tendresses de la pitié que les soumissions du respect; néanmoins la foi pénétrante, qui ne peut être surprise par les apparences, nous découvre dans ses foiblesses des marques illustres de sa grandeur et des témoignages certains de sa royauté. C'est, fidèles, cette vérité chrétienne que

ceaux tires mot à mot du précédent, qui pouvoient être retranchés sans interrompre l'ordre et la suite du discours : nous en userons ainsi dans toutes les occasions où les circonstances le permettront, afin d'éviter, autant qu'il sera possible, les répétitions trop fréquentes. Edit. de Déforis. 10

je me propose de vous faire entendre avec le secours de la grâce. J'espère que vous verrez aujourd'hui dans le nom que l'on impose au Sauveur des âmes, et dans les prémices du sang précieux qu'il commence à verser pour l'amour des hommes, une expression évidente de la souveraineté très auguste que son Père céleste lui a destinée. Et vous reconnoîtrez que cette doctrine nous est infiniment fructueuse, puisqu'en établissant la gloire du maître et les droits de sa royauté, elle nous apprend tout ensemble les devoirs de l'obéissance.

Entrons donc en cette matière sous la conduite des Lettres sacrées, et disons avant toutes choses que le nom de Jésus est un nom de roi, et qu'il signifie une royauté qui n'est pas moins légitime qu'elle est absolue. Pour mettre cette vérité dans son jour, je suppose premièrement que la royauté est le véritable apanage de la nature divine, à laquelle seule appartient la souveraineté et l'indépendance. Or, entre tous les divins attributs, il y en a trois principaux qui établissent le règne de Dieu sur ses créatures, la puissance, la justice, la miséricorde. Que Dieu règne par sa puissance, c'est une vérité si constante, qu'elle entre par elle-même dans tous les esprits, sans qu'il soit besoin d'alléguer des preuves. En effet c'est par sa puissance qu'il dispose des créatures, ainsi qu'il lui plaît, sans que rien puisse résister à ses volontés; et par conséquent il en est le roi avec une autorité qui n'a point de bornes. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul, en parlant de Dieu, c'est, dit-il, le «< bienheureux >> et le seul puissant; » et il ajoute aussitôt après, <«<le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs » (1. TIM., VI. 15.); » comme ayant dessein de nous faire entendre que l'empire de Dieu doit être infini, parce que sa puissance est incomparable.

Mais je remarque ici, chrétiens, que ce règne est universel, et enferme indifféremment tous les êtres qui relèvent également de la toute-puissance divine. Si bien que les hommes et les anges étant capables d'un gouvernement spécial, parce qu'ils peuvent être conduits par raison; il paroît manifestement qu'outre ce règne de toute-puissance, qui comprend généralement toutes les créatures, il faut encore reconnoître en Dieu quelque domination plus particulière pour les natures intelligentes. C'est aussi ce que nous voyons éclater dans sa bonté et par sa justice. Car comme entre les anges et les hommes, les uns sont rebelles à leur Créateur et les autres sont obéissants, les uns suivent ses volontés et les autres les contredisent, et que d'ailleurs il est impossible que rien échappe de ses mains souveraines, ni se dérobe de son

:

empire; qui ne voit qu'il est nécessaire qu'il établisse deux gouvernements différents : l'un de justice, l'autre de bonté ; l'un pour la vengeance des crimes, l'autre pour le couronnement des vertus; l'un pour ranger les esprits rebelles par la rigueur d'un juste supplice, l'autre pour enrichir les respectueux par la profusion des bienfaits? De là ces deux règnes divers dont il est parlé dans les saintes Lettres l'un de rigueur et de dureté que le psalmiste nous représente en ces mots : « Vous les régirez, dit-il, avec un sceptre >> de fer, et vous les briserez tous ainsi qu'un >> vaisseau de terre ( Ps., II. 9.) ; » l'autre de douceur et de joie, que le même psalmiste décrit : << Avancez, dit-il, ò mon Prince, combattez heu>> reusement, et régnez par votre beauté et par >> votre bonne grâce (Ps., XLIV. 5. ). » Par où le Saint-Esprit nous veut faire entendre qu'il y a un règne de fer, et c'est le règne de la justice rigoureuse qui assujétit par force les esprits rebelles, en les contraignant de porter le poids d'une impitoyable vengeance; et qu'il y a un règne de paix, et c'est le règne de la bonté qui possède les cœurs souverainement par les grâces de ses attraits infinis de sorte que nous avons prouvé par les Ecritures le règne de la puissance, et de la justice, et de la miséricorde divine.

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Ces vérités étant supposées, venons maintenant à l'enfant Jésus; et puisque tant de prophéties, tant d'oracles, tant de figures du vieux Testament lui promettent qu'il sera roi, ne craignons pas de lui demander de quelle nature est la royauté qu'il est venu chercher sur la terre. Il est certain, aimable Jésus, que ce nouveau règne ne s'établit pas sur votre pouvoir, puisque vous vous revêtez de notre foiblesse; ni sur la rigueur de votre justice, puisque vous déclarez dans votre Evangile que « vous n'êtes pas venu pour juger le >> monde (JOAN., XII. 47). Que nous reste-t-il donc maintenant à dire, sinon que le règne que vous commencez est un règne de miséricorde? Aussi ne prenez-vous pas aujourd'hui le titre pompeux de Dieu des armées, pour nous étonner par votre puissance; ni la qualité terrible de juste Juge, pour nous effrayer par votre rigueur ; mais l'aimable nom de Jésus, pour nous inviter par votre clémence. Vous venez pour régner; il vous plaît de régner sur nous en qualité de Sauveur des âmes; et ainsi vous accomplissez cette fameuse prophétie d'un de vos ancêtres : «< Dieu, qui est >> notre roi devant tous les siècles, a opéré le salut >> au milieu du monde... >>

Mais, fidèles, s'il est véritable que le nom de Jésus soit un nom royal, un nom de grandeur et

de majesté, qui promet à l'enfant que nous adorons un empire si magnifique, pourquoi voyons-nous du sang répandu, et ne recherchonsnous point dans les Ecritures le secret de cette mystérieuse cérémonie? J'entends votre dessein, ô mon roi Sauveur. Ce n'est pas assez que vous soyez roi, il faut que vous soyez un roi conquérant. Comme roi, vous sauvez vos peuples; comme conquérant, vous donnez du sang, et vous achetez à ce prix les peuples que vous soumettez à votre pouvoir. Et c'est, fidèles, pour cette raison que dans cette même journée, où il reçoit le titre de roi dans la qualité de Sauveur, il veut que son sang commence à couler, afin de nous faire voir son règne établi sur le salut de tous ses sujets et sur l'effusion de son sang. Considérons ces deux vérités qui comprennent tout le mystère de cette journée. Prouvons par des raisons invincibles qu'il n'est point d'empire mieux affermi, ni de conquête plus glorieuse; et tâchons de profiter tellement de cette doctrine toute apostolique, que nous méritions enfin d'être la conquête de notre monarque Sauveur, qui n'a conquis et ne s'assujétit ses peuples qu'en les délivrant.

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Pour comprendre solidement combien grande, combien illustre, combien magnifique est la souveraineté du Sauveur des âmes, il faut premièrement former en nous-mêmes la véritable idée de la royauté, où je vous demande, fidèles, que vous ne vous laissiez pas éblouir les yeux par cet éclat et par cette pompe qui remplit d'étonnement le vulgaire. Comprenons dans la royauté des rois quelque chose de plus relevé que ce que l'ignorance y admire. Certes je ne craindrai pas de le publier ce ne sont ni les trônes, ni les palais, ni la pourpre, ni les richesses, ni les gardes qui environnent le prince, ni cette longue suite de grands seigneurs, ni la foule des courtisans qui s'empressent autour de sa personne, et pour dire quelque chose de plus redoutable, ce ne sont ni les forteresses, ni les armées qui me montrent la véritable grandeur de la dignité royale. Je porte mes yeux jusque sur Dieu même, et de cette Majesté infinie je vois tomber sur les rois un rayon de gloire que j'appelle la royauté. Et pour dire plus clairement ma pensée, je soutiens que la royauté, à la bien entendre ; qu'est-ce, fidèles, et que dirons-nous? C'est une puissance universelle de faire du bien aux peuples soumis : tellement que le nom de roi, c'est un nom de père commun, et de bienfaiteur général; et c'est là ce rayon de Divinité qui éclate dans les souverains.

Expliquons toutes les parties de cette définition. importante, qui sera le fondement de tout mon

discours. Je dis donc que la royauté est une puissance. Je ne m'arrête point à prouver une vérité si constante; mais passant plus outre je raisonne ainsi. Je dis que si la royauté est une puissance, il s'ensuit manifestement que c'est une puissance de faire du bien, et j'appuie cette conséquence sur ce beau principe : Tout ce qui mérite le nom de puissance, naturellement tend au bien. Jugez si j'établirai cette vérité par des raisons assez convaincantes.

La puissance qui s'emploie à faire du mal aux autres, le fait ou justement ou injustement. Si elle le fait avec injustice, il est certain que c'est impuissance : car nul ne peut opprimer les autres par violence et par injustice, qu'il ne se mette le premier dans la servitude. C'est pourquoi il est écrit dans l'Apocalypse, que «celui qui mène >> les autres en captivité, va lui-même en captivi» té : » Qui in captivitatem duxerit, in captivitatem vadet (Apoc., XIII. 10.). Sans doute afin que nous concevions que celui qui opprime, celui qui tourmente, est le premier esclave de son injustice, selon l'expression de l'apôtre : Servi injustitiæ ( Rom., VI. 17.). Etant dans un si honteux esclavage, il ne peut pas être appelé puissant ; et par conséquent la puissance d'affliger les autres avec injustice, n'est pas une véritable puissance: Nihil possumus contra veritatem, sed pro veritate (2. Cor., XIII. 8.): « Nous ne >> pouvons rien contre la vérité, mais nous pou>>vons tout pour elle: » puissance qui se détruit elle-même.

Mais que dirons-nous maintenant de cette puissance qui punit les crimes, et qui donne des armes à la justice contre les entreprises des méchants? c'est ici qu'il faut que je vous propose une belle théologie de Tertullien; elle donnera un grand jour à la vérité que j'ai avancée, que tout ce qui mérite le nom de puissance est naturellement bienfaisant. Ce grand homme comparant la bonté de Dieu par laquelle il fait du bien à ses créatures, avec la sévérité rigoureuse par laquelle il les châtie selon leur mérite, dit que la première lui est naturelle, c'est-à-dire la munificence; et que l'autre est comme empruntée, c'est-à-dire la sévérité : Illa ingenita, hæc accidens; illa edita, hæc adhibita; illa propria, hæc accommodata ( Lib. 11. adv. MARCION., n. 11.). Et il en rend cette excellente raison car, dit-il, la toute-puissance divine jamais n'afflige ses créatures, que lorsqu'elle y est forcée par les crimes. Si donc jamais elle ne se résout à leur faire sentir du mal par une espèce de force, il paroit qu'elle leur fait du bien par nature; et

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