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citerons celles des Esquimaux, des Néo-Calédoniens, des Australiens, des Bochimans, les races préhistoriques du type le plus ancien découvertes récemment en France, en Belgique et dans l'Allemagne occidentale; parmi les races les plus brachycéphales, nous citerons celles des Lapons et des noirs de l'extrême Orient, connus sous le nom de Négritos.

Un fait bien frappant est celui-ci : les singes anthropomorphes africains (gorille et chimpanzé) sont dolichocéphales comme le sont les nègres africains (1) et les Bochimans (2); tandis que les anthropomorphes de l'extrême Orient sont brachycéphales comme le sont les Négritos des îles Andaman, de l'intérieur de la presqu'île de Malacca et de certaines parties de la Malaisie (3). Si nous admettons que la dolichocéphalie très-caractérisée et la brachycéphalie également caractérisée sont irréductibles l'une à l'autre, c'est-à-dire qu'elles sont primitives dans différents groupes humains, nous devons admettre en même temps qu'il a coexisté des primates précurseurs de l'homme brachycéphales et des primates dolichocéphales. Le fait des singes anthropomorphes à tête allongée (gorille et chimpanzé) et des anthropomorphes à tête courte (orang et gibbon) nous confirme pleinement dans cette manière de voir.

En ce qui concerne la capacité du crâne, il est hors de doute que la cavité crânienne du précurseur immédiat de l'homme à l'époque tertiaire était moins considérable que ne l'est la capacité du crâne des différentes races humaines.

D'après le mode de cubage si rigoureux dû à M. Broca (4), tandis qu'un nombre considérable de crânes d'Européens cubent plus de 1500 centimètres, les crânes des nègres d'Afrique n'atteignent très-souvent que le chiffre de 1 400 et parfois même ne s'y élèvent point (par exemple ceux des Achantis). Les Australiens arrivent à peine à 1300, les Australiennes à 1 180.

D'après M. Topinard, le crâne du gorille mâle cube 530 centimètres (5); celui du gorille femelle, 470; celui de l'orang mâle,

(1) Indice céphalique d'environ 73, soit 73 de largeur pour 100 de longueur.

(2) Indice de 72 à 73.

(3) Indice de 82 environ.

(4) Instructions craniologiques et craniométriques, p. 97. Paris, 1876.

(5) Moyenne prise sur seize spécimens. L'Anthropologie, p. 48. Paris, 1876.

440; celui du chimpanzé mâle, 420 (1). Il est évident que l'homme même le plus inférieur est grandement supérieur à son voisin actuel dans la série des êtres par la quantité de sa matière pensante; mais la valeur de ce fait peut être réduite à une juste proportion, si l'on compare entre elles les boîtes osseuses les plus volumineuses et les boîtes osseuses les moins capaces que l'on ait rencontrées dans l'humanité. Il faut se rappeler également que « les capacités crâniennes de quelques-uns des singes inférieurs descendent au-dessous de celles des singes les plus élevés, presque autant que ces dernières s'éloignent de celles de l'homme » (2).

Certains cranes appartenant aux différents âges de la pierre ont donné, il est vrai, un fort indice cubique, mais M. Broca a démontré que cette capacité considérable était due uniquement à l'œuvre de la sélection naturelle. La lutte pour la vie était bien autrement dure à cette époque qu'elle ne l'est aujourd'hui, et ceux-là seuls avaient chance de parvenir à leur développement complet qui l'emportaient sur les autres hommes par l'ensemble de leurs qualités.

D'autre part, M. Broca a suffisamment prouvé que, dans le cours des âges, et sous d'heureuses influences, la capacité crânienne peut s'augmenter et s'augmente en effet d'une façon notable (3). M. Vogt, de son côté, semble admettre que la capacité crânienne des nègres esclaves est moindre que celle des nègres indépendants (4); ce fait peut servir de corollaire frappant au fait précédent.

Quoi qu'il en soit, sans prétendre que le crâne du primate précurseur de l'homme cubât aussi peu que celui du gorille, nous pouvons supposer qu'il cubait moins que ne cube actuellement le crâne de la femme australienne.

Un des caractères qui surprennent le plus à la première inspection du crâne d'un gorille mâle est la crête verticale dont il se trouve pourvu. Cette crête atteint, dans son plus fort développement, jusqu'à 3 et 4 centimètres de hauteur. L'orang, lui aussi,

(1) Moyenne prise sur sept spécimens.

(2) Huxley, De la place de l'homme dans la nature, traduit par E. Dally, p. 201. Paris, 1868.

(3) Mémoires d'anthropologie, t. I, p. 348. Paris, 1871.

(4) Leçons sur l'homme, p. 115. Paris, 1865.

présente, lorsqu'il est adulte, une crête verticale, mais beaucoup moins prononcée. Les attaches musculaires s'y implantent avec force.

Nous ne trouvons, dans aucune race humaine, une véritable crête; cependant la conformation de la voûte crânienne des Esquimaux et des Australiens peut laisser supposer chez les différents primates qui les ont précédés une certaine disposition en crête. En principe, chez le gorille et chez l'orang, cette crête s'arrête (ou commence) au bord antérieur de la suture sagittale; chez l'homme, elle peut se prolonger sur l'os frontal, «<< en simulant une suture médio-frontale synostosée en relief» (1). M. Topinard pense qu'il a existé jadis en Océanie une race actuellement éteinte dont le sommet du crâne était disposé en toit; on en trouverait çà et là des vestiges non douteux. Nous ajouterons, d'autre part, que le relèvement des crêtes temporales est très-manifeste dans certaines races, par exemple chez les NéoCalédoniens. Le musée de la Société d'anthropologie possède un crâne du Turkestan qui, sous ce rapport, est un phénomène des plus curieux.

Ce relèvement est dû au grand développement du muscle temporal, dont les deux fosses d'insertion se creusent et arrivent à n'être plus séparées que par une crête, au lieu de l'être par une surface plane. De ce fait, soit dit entre parenthèses, nous pouvons conclure assez logiquement aux instincts voraces des individus ainsi caractérisés.

En somme, nous pensons qu'on trouve ici dans la série des anthropomorphes et des hommes tous les intermédiaires possibles, et nous pouvons constater dans toutes ses formes le développement plus ou moins exagéré de la fosse temporale.

Ajoutons enfin que tous les gorilles mâles, ainsi que le prouve un crâne appartenant au laboratoire d'anthropologie, ne présentent pas la crête verticale bien accusée. Peut-être n'y a-t-il là que des variations individuelles, mais cependant nous ne serions pas surpris qu'il y eût plusieurs races de gorilles.

Nous pouvons dire d'une façon générale que les sutures crâniennes du primate qui nous occupe étaient beaucoup plus simples que ne le sont ces mêmes sutures dans les diverses races

(1) Topinard, l'Anthropologie, p. 225.

humaines. En principe, moins une race humaine est élevée, plus ses sutures crâniennes sont simples. Les dentelures sont d'autant plus compliquées que l'on s'élève davantage dans la série des êtres (1). Dans un grand nombre de crânes préhistoriques (Néanderthal, les Eyzies, etc.), cette simplification des sutures est évidente.

Il faut noter, d'autre part, que l'ossification des sutures est d'antant plus précoce que la race de l'individu est moins élevée. M. Broca a constaté que chez des nègres les sutures de la voûte du crâne étaient presque entièrement refermées à l'âge de trentecinq ou quarante ans (2). Il est avéré que chez certains individus très-supérieurs la fontanelle antérieure ne s'est oblitérée qu'à une époque fort tardive. Gratiolet dit très-formellement que <«< dans les races les moins perfectibles les sutures sont plus simples et s'effacent de très-bonne heure; elles disparaissent quelquefois plus ou moins complétement chez des sujets de trente à quarante ans. Elles persistent beaucoup plus tard dans les races supérieures (3).

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Ajoutons enfin, avec Gratiolet et M. Broca, que les sutures crâniennes s'oblitèrent dans les plus basses races de l'humanité comme elles s'oblitèrent chez les anthropomorphes, c'est-à-dire d'avant en arrière; tandis que dans les races les plus hautes l'ossification a lieu d'arrière en avant. Ce fait, à la vérité, a été mis en doute, mais l'expérience démontre qu'il est parfaitement exact (4). Il semble difficile que le primate précurseur n'ait point partagé sous ce rapport le sort des races humaines inférieures et des singes anthropomorphes.

Nous pensons également que sa suture coronale, ou suture transverse antérieure, devait être, comme celle des anthropomorphes et des individus appartenant aux races humaines inférieures, beaucoup plus rapprochée de la face qu'elle ne l'est dans les races supérieures (5).

Cela nous amène à parler du front. La comparaison des races

(1) Gratiolet, Bulletins de la Soc. d'anthrop, de Paris, 1860, p. 53. - Broca, Mémoires d'anthropologie, t. II, p. 187. Schaaffhausen, Congrès d'anthropologie, deuxième session, p. 413. Paris, 1868.

(2) Op. cit., t. II, p. 168.

(3) Bulletins de la Soc. d'anthrop., 1860, p. 563.

(4) Broca, op. cit., t. II, p. 187, 210.

(5) Gratiolet, op cit., 1861, p. 255.

supérieures de l'humanité avec les races inférieures dit assez clairement que le front du primate précurseur devait être peu développé. Le gorille a fort peu de front; le chimpanzé en a davantage et, sous ce rapport, se rapproche plus de l'homme (1).

La question des sinus frontaux est assez obscure. Chez beaucoup de mammifères ces sinus sont fort peu développés. L'orang et le chimpanzé en sont toujours pourvus (2). On a dit que le gorille n'en possédait point, mais cela est inexact. M. Broca a constaté sur un gorille adulte des sinus frontaux immenses, occupant toute la région sourcilière et s'étendant jusqu'à la fosse temporale, dont ils n'étaient séparés que par une lame transparente (3). Chez l'Australien, ils paraissent faire défaut, soit en partie, soit même en totalité. C'est là un fait curieux et dont l'explication nécessite sans doute des recherches ultérieures. Nous doutons qu'il se confirme. Au simple point de vue rationnel, il est assez difficile à admettre. Il ne faut pas confondre, en effet, dans un seul et même ensemble, la question des arcades sourcilières avec celle des sinus frontaux. Les arcades peuvent être médiocrement développées, et il peut cependant exister à côté d'elles des sinus véritablement considérables. En somme, il nous semble assez vraisemblable que ces sinus avaient une importance réelle chez le précurseur de l'homme.

Quant au renflement qui se présente très-souvent (surtout dans les crânes d'individus mâles) entre les crêtes sourcilières, et auquel on donne le nom de glabelle, nous ne pensons pas qu'il ait présenté quelque chose de particulier chez l'ancêtre immédiat de l'homme.

Il en est autrement des arcs sourciliers. Leur saillie a dû être considérable. Chez tous les singes anthropomorphes ces arcades sont fortement projetées; nombre de très-anciens crânes préhistoriques (Néanderthal, Eguisheim, Engis, Gibraltar, etc.) sont très-curieux sous ce rapport, et souvent les crânes d'Australiens et de Néo-Calédoniens actuels ne leur cèdent en rien (4).

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