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Nord (1). Ainsi s'expliquerait peut-être comment Jacob Meyer (2) et J. Malbrancq (3) signalent la présence de Ruthènes ou de Russes, Ruteni seu Russii, à côté de Cimbres sur une partie de notre littoral septentrional. Ce Ruthenicum Littus, Russium Littus, encore appelé Ruthen par les pêcheurs de ces parages, aurait été compris entre Calais et Dunkerque, selon M. Am. Courtois, et aurait répondu au littoral de la terre de Merck ou du bas Calaisis (4), portion de l'ancien littoral saxon où la Notice des dignités de l'empire indique aussi la présence de cavaliers dalmates, également de race slave (5).

Ce pays des Ruthènes paraît avoir constitué entre le pays des Morins et la Flandre un pays distinct; on peut du moins le supposer d'après un passage extrait par M. Am. Courtois de la préface ou des prolégomènes du Cartulaire de Sithiu. Dans ce passage il est dit que la patrie ruthène ainsi que la Flandre voisine furent évangélisées par saint Bertin et ses compagnons (6).

D'ailleurs, tout en rappelant cette migration des Ruthènes des bords de la mer Noire aux bords de la mer du Nord, il faut remarquer que suivant certains historiens ou chroniqueurs, entre autres selon Orodoc, cité par Jacob Meyer (7), et suivant Jacques

(1) Sic quoque a Ponto Euxino Moldavi Valachiique et ceteræ Rutenorum gentes, ad mare usque Germanicum colonias suas habent. Al. Guagnin, loc. cit., p. 246.

(2) Cymbri, Ruteni seu Rusii, Sueviq. ac Frisii, Batavi, Franci,... Flandrias incoluisse putantur. Jacobi Meyeri Baliolani Flandricarum rerum tomi X, fol. 4. Antverpiæ, 1531, in-12.

(3) Dehinc ducto in Morinos exercitu, Goldnerum, Ruthenorum, Cimbrorumque ducem cepit. Malbrancq, De Morinis, t. I, p. 174, etc., 3 vol., 1639. (4) A. Courtois, Sur l'origine du mot Ruthen (Annales du comité flamand de France, t. VI, p. 387, etc., 1861-1862). - Voir aussi Derode, Hist. de Lille, t. I, p. 43, et les Ancêtres des Flamands (Ann. du comité flamand, t. VIII, chap. ш, p. 25, etc., 1864-1865.

(5) Equites Dalmatæ Marcis in littore Saxonico. Notitia Occidentis, cap. xxxvII, p. 108, édit. Ed. Böcking.

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Carthularium Sithiense, Proludia, publié par Guerard, p. 7, cité par Am. Courtois, loc. cit., p. 388.

(7) Scriptor Orodocus nomine nostros Ruthenos coloniam esse tradit Britannicorum. Nam Albianos Northwinthumbros ac Britannos fuisse con

de Guyse (1), les Ruthènes fixés sur notre littoral depuis le pays. des Morins jusqu'aux embouchures du Rhin seraient venus, non des côtes de la mer Noire, mais des îles Britanniques. Des insulaires ruthènes, depuis nommés Albanes (Ecossais Albanachs), Northumbriens et Cumbriens septentrionaux, c'est-à-dire des habitants du Northumberland et du Cumberland, enfin des Bretons, seraient venus anciennement se fixer sur cette partie du littoral continental.

Bien que, selon l'histoire légendaire de Vander Haer et le manuscrit d'Allard Tassart, rappelés par M. Vict. Derode et M Am. Courtois, ces Ruthènes ou ces géants reuses aient été fixés dans cette région maritime très-anciennement, avant la campagne de César chez les Morins (2), aucun document, aucun indice, sauf certaine conformité des noms, ne semble établir des liens de parenté entre ces Ruthènes de notre littoral septentrional et les anciens Rutènes du Rouergue, que les auteurs anciens, Strabon (3), Pline (4), disent habiter un pays argentifère situé près de la Narbonaise, à côté des Gabales et des Cadurciens.

Relativement à ces blonds Rutènes mentionnés par Lucain (5), stanter refert ab Rutheno suo duce ita dictos, ab illisque Morinorum urbem portusque et littora antiquitus occupata, ac jugiter possessa confirmat. Jacobi Meyeri Baliolani Flandricarum Annalium lib. I, p. 1, au verso. Antverpiæ, 1561.

(1) Rutheni qui et Albani, Northwint-Cambri atque Britones antiquitus exstiterunt... maritimas partes a portibus Gallicis et Morinicis usque ad Rhenicos portus occupantes, semper littora Oceania coluerunt. Jacques de Guyse, Hist. du Hainaut, texte et trad., t. I, p. 174, 2 vol. Paris, 1826.-Voir aussi Lefèvre, Hist. générale et particulière de Calais et du Calaisis, t. I, p. 7, 2 vol. 1766.

(2) César trouve « sur la marine plusieurs géants ou reuses, lesquels il a tous défaits. » Vander Haer (Hist. des chatelains de Lille, p. 25), cité par V. Derode, les Ancétres des Flamands de France, chap. m, § 1: les Russes, Reuses, Ruthènes, etc. Annales du comité flamand de France, t. VIII, p. 25, 1864-1865.

César « venit ad Morinos per nemus Ruthenorum quod nunc Flandria dicitur...» Allard Tassart, archiviste de Saint-Bertin, Chronica episcoporum et abbatium, manuscrit n° 732 de la bibliothèque de Saint-Omer, vers 1320, cité par Am. Courtois, loc. cit., p. 393.

(3) Ρουτηνοὶ δὲ καὶ Γαβαλεῖς τῇ Ναρβωνίτιοι πλησιάζουσι... παρὰ δὲ τοῖς Ρουτηνεῖς apropia. Strabon, Géogr., liv. IV, cap. 1, § 2, p. 158, coll. Didot.

(4) Rursus Narbonensi provinciæ contermini Ruteni, Cadurci... Pline, H. n., liv. IV, chap. xxxш, p. 204; texte et trad. de Littré.

(5) Solvuntur flavi longa statione Ruteni. Lucain, Pharsale, liv. I, p. 26, coll. Nisard.

blonds Rutènes desquels descendent vraisemblablement quelques blonds Aveyronnais actuels, assez nombreux dans certaines anciennes familles suivant M. Durand (de Gros), il semble également peu admissible de les rapprocher ethnologiquement des Ruthènes de la Hongrie et de la Gallicie, ainsi que le pense M. le baron de Gaujal (1). Car, bien qu'il puisse exister certaines homonymies entre Segodunum, Rhodez, Segodun, ancienne ville près de Nuremberg, et Segodin, sur les bords de la Theiss, et bien qu'on sache d'après Tite-Live, César, Tacite, Justin, que de nombreux habitants des Gaules sortirent de notre pays pour se porter en Germanie, dans le bassin du Danube (2), et voire même bien au delà, aucun document historique ne paraît mentionner les Rutènes au nombre de ces belliqueux émigrants des Gaules.

Pour compléter ce court exposé de peuplades de race sarmate ou slave qui, outre les Vandales précédemment étudiés par MM. Miller et Marcus, ont pu pénétrer dans notre pays aux titres divers de conquérants, comme les Alains et quelques Sarmates, de troupes mercenaires, comme les Theiphales et d'autres Sarmates, de colons, comme peut-être les Ruthènes de notre littoral septentrional, il reste encore à dire quelques mots des prisonniers slaves qui paraissent avoir été très-nombreux à la suite des guerres des Carlovingiens sur les bords de l'Elbe.

Les Slaves, Exλabqyol, qu'au sixième siècle Procope dit s'étendre vers le midi jusqu'en Illyrie, d'où ils faisaient des incursions en Hellade (3), ces Sclaves ne paraissent avoir constitué alors qu'un des nombreux peuples sarmates. Jornandès, qui donne aux Winides les immenses espaces situés au-delà des sources de la Vistule, considère les Sclavins comme une division de cette nation populeuse (4), tandis que depuis la dénomination de Slaves sem

(1) Baron de Gaujal, Etudes historiques sur le Rouergue, t. III, p. 117, 120, 128, Sur les Ruthènes de Gallicie et de Hongrie, 4 vol. 1858-1859.

(2) Tite-Live, liv. V, cap. xxxiv.-César, De Bello Gallico, liv. VI, chap. XXIV. - Tacite, De Moribus Germanorum, xxvII.-Justin, liv. XXIV, chap. iv, p. 195, coll. Dubochet, etc., etc.

(3) Σκλαβηνῶν δὲ πολὺς ὅμιλος Ιλλύριοις ἐπισκήψαντες. Procope, De Bello Gothico, liv. IV, § 25, t. II, p. 591; voir aussi liv. II, § 25, p. 254, et Anecdotes, chap. xvin, § 4, p. 218.

(4)... Winidarum natio populosa consedit. Quorum nomina... principaliter tamen Sclavini et Antes nominantur. Jornandès, De Getarum sive Gothorum origine, cap. v, p. 428; voir aussi cap. xx, p. 443.

ble avoir été appliquée à l'ensemble des anciens peuples sarmates, ainsi que l'indique Al. Guagnin (1). Vers le nord de la Germanie, selon cet auteur, et suivant Martin Cromer (2), outre les Vandales ou Wendes, les Slaves comprenaient de nombreux peuples, entre autres les Abodrites ou Obotrites, les Wiltzes on Welatabs, les Sorabes, souvent mentionnés par Eginhard (3) et par les chroniques de Saint-Gall (4) et de Saint-Denis (5) relatant les campagnes transalbiennes de Charlemagne.

Ces Slaves firent-ils des incursions jusque dans les pays situés à l'occident du Rhin? On pourrait le supposer quand, dans Li Roman de Garin le Loherain publié par M. Paulin Pâris, il est parlé d'Escler et de Sarrasins assiégeant Metz (6).

En tous cas, un grand nombre de prisonniers sclaves ou slaves paraissent avoir été conduits en France à partir du règne de Charlemagne, car le nom d'esclave, synonyme de servus, semblerait dû à l'origine slave des prisonniers de guerre réduits en servitude. Suivant Reinaud, le mot esclave dériverait de Saclabi, dénomination par laquelle les Arabes désignaient tous les prisonniers d'outre-Rhin, qu'ils fussent Slaves ou Germains (7).

(1) Utebantur primis temporibus vetustissimi illi Sarmatæ sive Slavones, et qui in Polonia Russiaque regionibus postea sedes habuerunt, eorum posteri, prisca illa Slavonica lingua, quæ Sarmatis Rutenisque genuina. est. Al. Guagnin, Sauromatia Europæa, loc. cit., p. 249.

(2) Ac universe quidem eos populos Slavos seu Slavinos sese dixisse: a tinitimis vero cum Venedos seu Vinidas, tum Vandalos etiam... peculiariter vero, eos qui versus occasum Germanis erant viciniores, partim Sorabos, partim Obotritos, Lutitios sive Luzitios, Vinulos, Ranos, Vilzos, Rugios, Velatabos, Retarios, Licicavicos, Heveldos, Vuloinos etiam... Martin Cromer, Polonia, dans Respublica Poloniæ, p. 37, 1627.

(3) ...Sclavis qui nostra consuetudine Wilzi, proprie vero id est locutione, Welatabi dicuntur. Eginhard, Vit. Kar. Magn., t. I, p. 38, chap. xп, Opera omnia; texte et trad. de Teulet, 1840; voir aussi p. 211, ann. 789, et p. 312.

(1) DCCLXXXIX. Carolus Rex cum exercitu magno Francorum pervenit in Sclavos, hoc est in Wilica (Wilzos). Ex Chronico brevi S. Galli, p. 360 du tome V de Dom Bouquet, Rec. des hist. des Gaules.

...

(5) ses os assambla, si les livra à Challes son fils pour ostoier en Esclavonie, sour une gent qui sont apelez Sorabiens. Chronique de saint Denis sur les gestes de Charlemagne, liv. II, chap. m, p. 253 du tome V de Dom Bouquet, loc. cit.

(6)

ne se doutoient Sarrasins ou Escler

qu'on les peut de nules rien grever.

Li Roman de Garin Le Loherain, § 18, p. 59, lig. 7-8, édit. publiée par P. Pâris, 1833.

(7) Reinaud, Invasions des Sarrasins en France. p. 237. Paris, 1836.

De la fin du huitième au quinzième siècle, ces Arabes, principalement les Maures d'Espagne, venaient en France acheter un grand nombre de ces esclaves, en particulier des carsamatia, eunuques amputés de tous les organes génitaux externes, dont les habitants de Verdun faisaient un très-lucratif commerce, ainsi que nous l'apprend l'évêque de Crémone Luitprand en énumérant les dons qu'il était chargé d'offrir en 948 à l'empereur d'Orient Constantin VIII (1).

Telles sont les données fort minimes que j'ai cru utile de réunir sur les Sarmates et les Slaves venus anciennement dans notre pays. Quoique souvent mentionnés dans nos anciennes annales, on voit combien leur rôle fut de peu d'importance au point de vue de notre ethnogénie. Quelque limitées qu'aient été leurs petites immigrations, il m'a paru bon de les rappeler.

(1) Obtuli autem loricas optimas Ix... mancipia, quatuor carsamatia Imperatori nominatis omnibus pretiosiora. Carsamatium autem Græci vocant, amputatis virilibus et virga, puerum eunuchum; quos Verdunenses mercatores ob immensum lucrum facere solent, et in Hispaniam ducere. Luitprandi primum diaconi Ticinensis, demum episcopi Cremonensis Historia, liv. VII, cap. vi, p. 470, part. 1re du tome II de Rerum Italicarum Scriptores. Lud. Ant. Muratorio, Mediolani, 1725.

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