Page images
PDF
EPUB

vidu. C'est ce qu'on appelle de l'atavisme; il explique comment, à la surprise de tous, un enfant naît avec des yeux bleus, dans une famille dont tous les membres connus depuis plusieurs générations sont bruns. La variation, dans ce cas, n'est à proprement parler ni spontanée, ni accidentelle; ce n'est qu'une manifestation de la loi de concentration des caractères, ou, si l'on veut, de la simple loi d'hérédité; elle prouve que les caractères conservent longtemps leurs droits; c'est un retour partiel vers l'un des types qui ont figuré dans la généalogie plus ou moins éloignée du sujet, une réminiscence, un témoignage. Toute variation singulière éveille donc à juste titre la pensée d'un état semblable à une époque lointaine. On dit alors qu'il y a anomalie; mais dans la nature il n'y a rien d'anomal, ce n'est anomal que pour notre intelligence.

Les variations rares ou anomalies d'organes, soit externes, soit internes, soulèvent donc une grosse question de philosophie naturelle. Dans quelle étendue physiologique peuvent-elles se produire dans un groupe? Cette étendue correspond-elle d'une façon quelconque au plus ou moins de temps depuis lequel le groupe s'est définitivement constitué et ne mesure-t-elle pas son degré de fixité et de résistance? Mais avant de songer à la résoudre, il faut dresser le bilan de ces variations et connaître tous les intermédiaires entre elles et l'état typique ou normal. C'est ce que je me propose de faire pour un seul organe, dans un même groupe zoologique pour les anomalies de nombre de la colonne vertébrale et de ses annexes chez l'homme.

La littérature médicale est assez pauvre sur ce sujet. Les ouvrages classiques d'anatomie se contentent de dire, sans commentaire, que le nombre des côtes peut s'élever à treize, grâce à une côte surnuméraire formée aux dépens de la septième cervicale ou de la première vertèbre lombaire, ou descendre à onze par la soudure de deux côtes; qu'il y a tantôt quatre, tantôt six vertèbres lombaires au lieu de cinq; et enfin que le sacrum est à cinq ou six vertèbres. Mais aucune observation suivie n'en a été publiée, je ne connais qu'une description de ce genre par Humphrey, pour une paire de côtes cervicales supplémentaire. Un travail de M. Bacarisse sur le sacrum indique quelques-unes des anomalies de cet os, mais il en méconnaît la valeur. Rien, en tout cas, n'a été dit des phénomènes d'adaptation qui s'en suivent.

Je m'en tiendrai donc aux observations personnelles que m'ont donné l'examen de 350 squelettes et plus. La présentation que j'ai faite, il y a quelques mois, à la Société d'anthropologie, d'un squelette à onze côtes sans compensation, ce qui est un cas unique dans la science jusqu'ici, a été l'occasion de cette étude.

La première condition, pour constater une anomalie et en apprécier la portée, c'est d'être très-familier avec l'état normal et de se rendre compte de la constitution philosophique des parties. Je me suis donc appliqué tout d'abord à reconnaître aisément chacune des pièces isolées dont se compose la colonne vertébrale, et c'est par le résumé de ces recherches que je vais

commencer.

I. PARTIE ANATOMIQUE.

La colonne vertébrale, ou rachis, se divise en trois parties principales: 1° Une partie cervicale située en avant de la ceinture osseuse, par laquelle les membres antérieurs s'insèrent sur la colonne; cette insertion persiste dans les vertébrés les plus simples comme la tortue, où elle s'opère par deux ou trois vertèbres et disparaît dans les autres. 2° Une partie caudale située en arrière de la ceinture du même genre, par laquelle les membres postérieurs prennent leur point d'appui sur la colonne; cette insertion persiste dans tous les vertébrés ayant des membres postérieurs, et a lieu ordinairement par une à trois vertèbres. 3o Une partie intermédiaire, ou tronc, qui se subdivise, suivant le point de vue où on se place, en train antérieur et train postérieur; ou en région avec côtes ou dorsale, et région sans côtes ou lombaire.

Dans la plupart des quadrupèdes, deux ou trois vertèbres ou davantage munies de côtes font partie du train postérieur, par exemple chez le chat. Chez les primates plus ou moins bipèdes, homme et anthropoïdes, la séparation en deux trains n'existe plus qu'à l'état de vestige, mais ce vestige est à la réunion des vertèbres avec côtes et des vertèbres sans côtes. Néanmoins, de part et d'autre se trouve constituée au milieu de la colonne dorso-lombaire une région mixte ou de transition plus ou moins accusée. Sa limite supérieure forme ce que M. Broca et d'autres ont appelé le noeud de la colonne, et sa limite inférieure répond

à la séparation du dos et des lombes. Elle comprend deux vertèbres chez l'homme, trois chez le chien et le chat, cinq chez l'hippopotame, six chez le tatou.

A ces diverses régions il faut ajouter les deux ou trois vertèbres sur lesquelles le membre inférieur prend son point d'appui et qui s'articulent à l'os iliaque sous le nom de sacrum vrai.

D'où, en allant d'avant en arrière chez les quadrupèdes et de haut en bas chez l'homme et les anthropoïdes, six régions: la première cervicale, la deuxième dorsale supérieure, la troisième dorsale inférieure ou de transition, la quatrième lombaire, la cinquième sacro-iliaque et la sixième caudale ou sacro-coccygienne, comprenant trente-trois ou trente-quatre vertèbres, non compris les trois crâniennes, savoir, chez l'homme : 7 cervicales, 10 dorsales supérieures, 2 dorsales inférieures, 5 lombaires, 3 sacro-iliaques, 2 sacrées libres et 4 ou 5 coccygiennes.

La vertèbre se compose d'un canal ou trou rachidien circonscrit en avant par le corps de la vertèbre, en arrière par les lames, et sur les côtés par les pédicules. A la jonction des lames et des pédicules est un épaississement en colonne qui supporte les apophyses articulaires supérieures et inférieures. Les lames, en se réunissant et se prolongeant en arrière, donnent lieu à l'apophyse épineuse. En avant du trou rachidien, à la rencontre du pédicule avec le corps, et en arrière à la rencontre du pédicule avec la colonne articulaire, prennent naissance les racines antérieure et postérieure de l'apophyse transverse. Des modifications que. subissent ces diverses parties dans chaque région, pour s'adapter aux fonctions à remplir, résultent les caractères qui permettent de reconnaître non-seulement la région à laquelle appartient une vertèbre, mais aussi l'emplacement approximatif ou précis qu'elle y occupe.

Ces caractères sont de deux sortes. Les uns résultent de la comparaison des vertèbres en place sur le squelette monté, de leur volume, de leurs gradations de forme; sans doute, on ne peut assigner à certaines pièces du centre des régions leur numéro, et cependant il est facile de s'apercevoir si le monteur en a oublié, ajouté ou interverti quelques-unes. Je n'en étais pas aussi convaincu lorsque eut lieu à la Société d'anthropologie la discussion sur mon squelette à onze côtes, aujourd'hui je n'en doute plus. Les autres caractères sont absolus. Etant donné une foule de

vertèbres provenant de plusieurs squelettes, mêlées sur une table, ils permettent de reconnaître pour le moins les 1°, 10°, 11° et 12° dorsales, les 1 et 5° lombaires, sans parler des régions cervicale et sacro-coccygienne.

Lorsqu'on examine la colonne vertébrale par sa face antérieure, l'attention est sollicitée d'abord par le volume des corps vertébraux. Le plus large est celui de la 5o lombaire, qui a 4 centimètres et est hors série sous ce rapport comme sous tant d'autres. Les trois suivants ont une largeur uniforme qui donne lieu à une colonne massive semblable à un fût bien cylindré. La 1re lombaire se rétrécit déjà, la 12° dorsale reprend un peu plus de largeur, puis, à partir d'elle, il y a diminution progressive jusqu'à la 5o dorsale; d'où la comparaison de cette portion avec une pyramide dont la base reposerait sur la colonne lombaire. De la 5 dorsale à la 1re dorsale, la largeur s'accroît enfin pour diminuer ensuite de la 1 dorsale à la 3° cervicale; ce qui produit un renflement fusiforme cervico-dorsal, dont la largeur maximum est de 28 millimètres à la 1re dorsale, et dont les extrémités ont 22 millimètres en bas et 18 en haut.

La hauteur des corps vertébraux varie suivant d'autres lois. De 27 millimètres aux trois dernières lombaires, elle diminue régulièrement jusqu'à la 4o cervicale, qui n'a plus que 11 millimètres, la diminution la plus marquée se produisant en passant de la 2o à la 1 dorsale.

La relation de la largeur à la hauteur est peut-être plus utile à connaître. Leur rapport est de 149 à la 5o lombaire, de 143 à la 1re lombaire, de 133 à la 10° dorsale, de 124 à la 5°, de 122 à la 1 et enfin de 175 à la 3 cervicale, ce qui veut dire qu'il diminue de bas en haut jusqu'à la limite supérieure de la région dorsale pour s'accroître ensuite.

La largeur, en somme, subit seule une modification en passant des lombes au dos, la partie qui nous intéresse le plus.

Le second caractère à constater sur la colonne vertébrale, vue par devant, est sa longueur mesurée au ruban en suivant ses courbes, et mieux encore le rapport de ses deux régions principales, la dorsale et la lombaire. Les mesures suivantes ont été prises du bord supérieur de la 1 dorsale au bord supérieur de la 1 lombaire, et de ce point à la base du sacrum, ou angle sacro-vertébral. Lorsqu'il existait une tendance à la formation

d'un angle au niveau de la 4° lombaire (faux promontoire), je n'en ai pas tenu compte.

Dans une 1 série de 13 colonnes libres et sans disques, la longueur dorsale moyenne a été de 241 millimètres et la longueur lombaire de 14 centimètres; d'où le rapport de 632 pour le dos et de 367 pour les lombes au total = 100.

Dans une 2° série de 44 colonnes montées et munies de leurs disques, la longueur dorsale a été de 279 millimètres, et la lombaire de 195 millimètres; d'où le rapport de 587 pour la première et de 411 pour la seconde à leur total = 100.

Il va s'en dire que les mesures absolues n'ont qu'une médiocre valeur, et que les rapports doivent leur être préférés. Or ils se confirment sensiblement dans les deux séries, en sorte qu'on peut admettre que la longueur de la région dorsale est à la longueur de la région lombaire comme 60, en chiffres ronds, est à 40, c'est-à-dire comme 3 à 2. Ces chiffres trouveront leur utilité plus tard, lorsqu'il s'agira de dire ce que produit l'addition ou la soustraction d'une vertèbre dans une région.

Lorsqu'on examine la colonne vertébrale par sa face postérieure au contraire, les accidents susceptibles de distinguer les vertèbres les unes des autres se présentent en foule. J'y décrirai tour à tour au milieu la série des apophyses épineuses; sur les côtes les gouttières vertébrales, destinées aux muscles interépineux, simples à la région dorsale, doubles à la région lombaire, et la série des tubercules mamillaires qui les divisent à la région lombaire; et en dehors la série des apophyses transverses, dont les sommets déterminent la largeur maximum du rachis dans toute son étendue.

Les apophyses épineuses se décomposent par leur forme et leur direction en quatre groupes, non compris les vertèbres cervicales, que je laisserai du reste de côté en général. Dans le premier, formé par les 3 ou 4 premières dorsales, elles sont longues et épaisses, et font avec le corps de la vertèbre un angle de 140 degrés environ. Dans le deuxième, formé des 5o, 6o, 7°, 8° et 9° vertèbres, les apophyses sont longues, grêles, imbriquées, et font avec le corps vertébral un angle de 100 à 115 degrés. Dans le troisième, tout de transition, les apophyses se raccourcissent, augmentent de hauteur, ont encore un bord supérieur oblique en bas, mais un bord inférieur presque horizontal; leur angle

« PreviousContinue »