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trouvée, il faut admettre qu'elle a été produite par un instrument tournant, suivant un procédé plus ou moins analogue à celui des bergers de la Lozère, rappelé à cette occasion par M. Prunières. - Mais est-elle réellement chirurgicale? C'est ce qui est bien loin

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FIG. 14. Fragment crânien de pariétal droit provenant du dolmen de l'Aumède (Lozère); coll. Prunières, gr. nat. ab, bord sagittal; be, bord coronal; aa', échancrure cicatrisée à bord perpendiculaire. Le reste de la circonférence du fragment est limité par des bords irrégulièrement cassés.

d'être démontré. Si nous avons pu établir que nos ouvertures elliptiques sont chirurgicales, c'est parce que nous avons pu en observer et en comparer un grand nombre, et parce que la constance de leurs caractères nous a révélé l'intervention d'un procédé méthodique. A n'en voir qu'une seule, nous serions restés dans le doute, car le hasard est grand, et les causes des perforations sont multiples et très-diverses. Or, la pièce dont il s'agit ne peut être comparée à aucune autre, puisqu'elle est unique dans son genre, et il est impossible de prouver qu'elle ne soit pas fortuite (1).

Il n'est donc, jusqu'ici, nullement prouvé que les trépanateurs néolithiques aient employé le procédé de rotation. Il est certain,

(1) On trouvera une discussion plus complète de ce fait dans les Bulletins de la Société d'anthropologie, 2a série, t. XI, p. 241, 4 mai 1876.

en tous cas, que ce procédé ne pouvait être que très-exceptionnel, et que le vrai procédé de ce temps-là était celui du raclage.

§ 6. SOLIDARITÉ DE LA TRÉPANATION CHIRURGICALE
ET DE LA TRÉPANATION POSTHUME.

J'ai déjà cité en passant plusieurs faits d'où il résulte que les sujets sur lesquels on pratiquait la trépanation posthume étaient choisis parmi ceux qui avaient subi autrefois la trépanation chirurgicale. Il n'est pas inutile, néanmoins, de réunir ici les preuves sur lesquelles repose cette proposition importante.

La plupart des fragments crâniens, plus ou moins travaillés, que nous désignons sous le nom de rondelles, et qui servaient d'amulettes, présentent sur l'un de leurs côtés un bord concave, régulier, falciforme, aminci en biseau, parfaitement cicatrisé, et qui a fait évidemment partie de l'ouverture d'une ancienne trépanation chirurgicale. Le reste de leur circonférence présente, dans une partie ou dans la totalité de son étendue, des indices certains de sections fraîches. Ce dernier caractère prouve que les rondelles ont été obtenues par la trépanation posthume, et l'autre caractère, celui du bord cicatrisé, prouve qu'elles ont été taillées dans le crâne d'un individu qui avait été trépané longtemps avant sa mort. Il y a, il est vrai, quelques rondelles dont le bord n'est nullement cicatrisé. Leur circonférence tout entière est taillée en plein dans l'épaisseur d'un os tout à fait normal. Mais ces cas sont incomparablement plus rares que les autres, et il est fort possible qu'ils n'en diffèrent pas essentiellement; car si l'on débitait en amulettes les parties du crâne qui entouraient les ouvertures cicatrisées, c'est qu'on attribuait aux parois de ces crânes des propriétés particulières, et, dès lors, il est permis de supposer que, tout en choisissant de préférence les bords des ouvertures, on pouvait quelquefois prolonger les sections posthumes sur d'autres parties des mêmes crânes.

Quoi qu'il en soit, la très-grande majorité des amulettes ont été taillées dans des crânes autrefois trépanés. C'est un fait tout à fait incontestable, et qui nous suffit parfaitement.

La démonstration de ce fait découle, d'ailleurs, bien plus clairement encore de l'examen des crânes soumis à la trépanation posthume; les pertes de substance qu'on y observe présentent ordinairement, dans une partie de leur étendue, un bord falci

forme, dû à une ancienne trépanation chirurgicale; leurs autres bords sont taillés par des sections posthumes.

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FIG. 15. Fragment de crâne provenant du dolmen des Aiguières (Lozère); collection Prunières. Gr. nat. Grande échancrure sur le pariétal gauche. La partie postérieure de l'échancrure a fait partie d'une ouverture de trépanation chirurgicale; sa partie antérieure est due à une trépanation posthume.

Il n'est pas nécessaire, pour constater ce fait, d'avoir sous les yeux l'ouverture entière. Un simple fragment donne quelquefois

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FIG. 16. Crâne no 19 de la caverne de l'Homme-Mort (Lozère); coll, Prunières. Demi-nat. Le bord AB est falciforme et cicatrisé (trép. chirurg.); les bords AC, CC sont sciés ou coupés (trép. posthume).

une preuve décisive. Tel est celui qui est représenté figure 15. Il comprend une partie du pariétal gauche, du pariétal droit et

de l'écaille occipitale. La suture lambdoïde et la suture sagittale y sont très-visibles. Le pariétal gauche présente une large échancrure, limitée dans sa partie postérieure par un bord falciforme et cicatrisé, dans sa partie antérieure par un bord nettement coupé. Les cas où l'ouverture est entière sont plus rares. En voici deux, cependant. L'un (fig. 16) est le numéro 19 de la caverne de l'Homme-Mort. L'ouverture occupe la plus grande partie de la région temporo-pariétale, et empiète en outre sur l'écaille de l'os frontal jusqu'à la crête temporale, c'est-à-dire jusqu'à la limite du front proprement dit. En avant, en haut, en bas, la section

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FIG. 17. Crâne provenant de l'un des dolmens appelés Cibournios ou tombeaux des Poulacres. Donné par M. Prunières au musée de l'Institut anthropologique. Demi-nat. AB, bord cicatrisé (trép. chirurg.); BC, AD, bords sciés ou coupés après la mort (trép. posthume).

est posthume, avec des bords perpendiculaires ou peu obliques; mais en arrière l'ouverture est limitée par un bord falciforme et cicatrisé, qui a fait partie d'une ouverture de trépanation. L'autre crâne est plus curieux encore; c'est celui que j'ai déjà mentionné plus haut, et sur lequel la déviation de la suture sagittale a été constatée (voir p. 28, fig. 11). L'ouverture, ici, est vraiment immense (voir fig. 17).

Sur le milieu de sa partie supérieure existe un bord cicatrisé, tranchant, concave, long de 4 centimètres. Cette portion de l'ancienne ouverture chirurgicale a été seule conservée, le reste a été emporté par des sections posthumes multiples, qui ont dû

fournir un assez bon nombre d'amulettes, car la perte de substance est assez grande pour simuler l'ouverture d'un crâne taillé en coupe (la partie cicatrisée du bord paraissant préparée par un polissage posthume pour faciliter l'application des lèvres d'un buveur).

Dans les trois cas qui précèdent, on peut assister, pour ainsi dire, au travail de la fabrication des amulettes. Pourquoi l'opérateur a-t-il respecté une partie de l'ouverture chirurgicale? Est-ce seulement parce qu'il avait déjà satisfait à toutes les demandes d'amulettes, et qu'il jugeait superflu de pousser plus loin l'opération? ou est-ce qu'on voulait que le crâne conservât, dans une autre vie, le témoignage précieux et glorieux de l'ancienne trépanation? J'incline vers cette dernière supposition, mais elle ne serait valable que si les faits du même genre se multipliaient, et on conçoit qu'ils doivent se retrouver très-difficilement, car les crânes mutilés par d'aussi vastes pertes de substance se brisent aisément dans le sol; il est donc rare de pouvoir reconstituer l'ouverture entière, ce ce qui est nécessaire pour savoir si elle présente le caractère mixte constaté dans les trois cas précédents. Le plus souvent, il faut le dire, les traces de l'ouverture posthume ne se retrouvent que sur des fragments isolés, où l'on voit une échancrure marginale produite par section, les autres bords étant simplement brisés. Ces pièces, qui sont nombreuses, prouvent que l'on dépeçait souvent les crânes des morts; on ne peut avoir la preuve directe qu'elles proviennent d'individus trépanés pendant leur vie; mais cette preuve résulte de l'étude de certains cas où l'ouverture, entièrement conservée, est en partie coupée, en partie cicatrisée, et elle résulte surtout, comme on l'a vu plus haut, de l'étude des amulettes.

Je ne quitterai pas ce sujet sans rappeler que les ouvertures posthumes, quelque étendues qu'elles soient, ne dépassent jamais la limite du front proprement dit. Cette remarque ne repose pas seulement sur les cas où l'on a pu reconstituer l'ouverture complète, mais encore sur les cas bien plus nombreux où l'on n'a retrouvé que des fragments plus ou moins échancrés. Aucune de ces échancrures artificielles n'entame la partie de l'os frontal qui forme le front. Pourquoi évitait-on si soigneusement de mutiler le visage? N'était-ce pas parce que le mort était appelé à une autre vie, où il fallait qu'on pût le reconnaître ? Cette explication paraîtra plausible si je parviens à démontrer, comme

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