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quité du biseau marginal, dont la coupe est représentée sur la figure 13, différencie entièrement cette ouverture de nos ouvertures néolithiques, dont la forme elliptique, je le répète, exclut complétement l'idée d'une perforation par rotation.

Le procédé de la section semble, au premier abord, plus acceptable. Les Kabyles de l'Algérie, qui pratiquent très-souvent la trépanation, se servent à cet effet de scies, à l'aide desquelles ils circonscrivent la pièce à enlever. M. le baron Larrey a montré, à l'Académie de médecine de Paris, les dessins de ces grossiers

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FIG. 13. A, coupe schématique de la perforation du crâne du Puy-de-Dôme.
B, id. d'une ouverture de la trépanation chirurgicale néolithique.

instruments (1). Je rappelle en outre que M. Squier a découvert, dans un ancien tombeau du Pérou, un crâne sur lequel la trépanation a été faite au moyen de quatre sections, qui se coupent à angle droit, de manière à circonscrire une pièce carrée (2). Les scies en silex de l'époque néolithique pouvaient, sans aucun doute, produire de pareilles sections, et nous savons, d'ailleurs, que c'était ainsi que l'on pratiquait la trépanation posthume. On a donc pu supposer que les trépanations chirurgicales se faisaient par procédé de la section. On est même allé plus loin: certaines rondelles bien régulières, comme celle de Lyon et la rondelle à trou de M. de Baye, ont des dimensions peu différentes de celles des ouvertures chirurgicales; d'après cela, quelques personnes se sont demandé si ces dernières n'étaient pas le résultat d'une opération destinée à tailler des amulettes dans le crâne de l'homme

le

(1) Voyez Amédée Paris, Mémoire sur la trepanation céphalique, pratiquée par les médecins indigènes de l'Aouress, Paris, 1873, brochure in-8° de 22 pages avec 1 planche.

(2) Broca, Cas singulier de trépanation chez les Incas, dans Bulletins de la Société d'anthropologie, 1867, p. 403-408, 2° série, t. II.

vivant. Le fait que la plupart des rondelles sont très-irrégulières réfute suffisamment cette hypothèse; mais cela ne préjuge en rien la question des sections.

Nous pouvons étudier tout à notre aise le procédé de la section sur les nombreux crânes qui ont été trépanés après la mort. Les sections sont tantôt rectilignes, tantôt curvilignes, mais jamais elles ne présentent la courbe rapide que nous observons sur les ouvertures chirurgicales. Cela se conçoit aisément. Les scies et les tranchants sont droits, et tendent, par conséquent, à produire des sections planes; la main qui les met en mouvement peut les forcer à tourner un peu et à décrire un arc de faible courbure; mais, lorsqu'on veut changer de direction pour contourner un segment, on est obligé d'abandonner le premier trait de section. et d'en commencer un autre, qui le coupe sous un angle plus ou moins ouvert (voir plus haut, fig. 4, p. 10). Les ouvertures faites par section sont donc polygonales. Elles ne peuvent être ni rondes ni elliptiques. Dans tout l'arsenal de l'anatomie et de la chirurgie modernes, il n'existe aucun instrument capable de détacher par section et d'enlever d'une seule pièce un segment elliptique, de manière à produire une perte de substance comparable à celles de nos crânes néolithiques. On pourrait, il est vrai, après avoir obtenu par section une ouverture polygonale, en retoucher et en arrondir les bords et en effacer les angles; mais la lime, le couteau, la scie qu'on emploierait pour cela devraient pénétrer dans le crâne et broyer la substance cérébrale à un degré tel que l'opéré n'y survivrait pas ; d'ailleurs, on aurait beau arrondir les bords, on n'effacerait pas la trace des sections qui, au delà de chaque angle, se prolongent sous la forme de rigoles ou de queues, dans les couches superficielles de l'os adjacent. Ces queues sont longues et profondes sur l'ancien crâne péruvien dont j'ai déjà parlé, et qui a été trépané par section; elles font entièrement défaut autour de nos ouvertures chirurgicales.

Ce n'est pas seulement la forme générale de ces ouvertures qui est incompatible avec le procédé de la section; la disposition trèsoblique de leurs bords ne l'est pas moins. Une scie, même médiocre, peut pénétrer dans les os du crâne suivant une direction quelque peu oblique, mais la plus parfaite de nos scies d'acier glisserait sur la table externe, ou la râperait seulement, si on lui donnait le degré d'inclinaison qui correspond à la grande obliquité du biseau de nos ouvertures de trépanation; car la scie n'attaque pas l'os

REVUE D'ANTHROPOLOGIE. -T. VI. 1877.

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d'un coup soudain, violent, rapide, irrésistible, comme le fait le sabre d'un ennemi furieux.

Nous pouvons donc conclure en toute assurance que les trépanations néolithiques n'ont pu être faites ni par le procédé de la rotation ni par le procédé de la section. Il ne nous reste plus, dès lors, que le procédé du raclage.

C'est par le procédé du raclage que les habitants de certaines îles de la mer du Sud pratiquent la trépanation (1). Ils se servent aujourd'hui pour cela d'éclats de verre; mais, avant de connaître le verre, ils employaient probablement des outils en silex. Cette opération peut être qualifiée de barbare; elle a pourtant été longtemps usitée dans la chirurgie d'Europe. Le trépan exfoliatif n'en était, à vrai dire, qu'un dérivé; et les rugines, les râpes, les grattoirs, remplaçaient souvent l'exfoliatif. Un auteur du dix-septième siècle conseille encore de traiter l'épilepsie par l'application d'un «< cautaire» ou fonticule, obtenu « en descouvrant l'os, voyre, en râppant, en emportant la première table, comme on le faict ordinairement (2). »

L'opération du raclage peut être aisément répétée sur un cadavre quelconque, à l'aide d'un éclat de verre, et elle donne des ouvertures exactement pareilles à celles de la trépanation néolithique, quant à leur forme, quant à leurs dimensions et quant à l'obliquité de leurs bords. La forme est celle d'une ellipse dont le grand axe est dirigé dans le sens du raclage; les dimensions pourraient être rendues très-grandes; mais, si l'on veut éviter d'entamer le cerveau, il faut ne pas dépasser l'étendue des trépanations néolithiques; les bords, enfin, sont disposés régulièrement en un biseau presque tranchant, dont l'obliquité est précisément celle que nous observons sur la plupart de nos ouvertures cicatrisées et de nos amulettes à bords cicatrisés. Ce résultat est d'autant plus significatif qu'il ne peut être obtenu par aucun autre procédé. L'opération, il est vrai, est longue et laborieuse, elle dure près d'une heure lorsque le crâne est dur et épais, et quoique l'exemple des insulaires de l'Océanie montre qu'elle n'excède pas la limite de la patience d'un opérateur et du courage d'un opéré,

(1) Bulletins de la Société d'anthropologie, 1874, p. 494.

(2) Jehan Taxil, Traité de l'épilepsie, maladie vulgairement appelée au pays de Provence la goutette aux petits enfants, Lyon, 1603, un gros vol. petit in-8°, p. 227.

on conçoit que la barbarie et la difficulté de ce procédé aient été invoquées comme une objection contre ma manière de voir.

Mais cette objection disparaît si l'on admet, conformément aux preuves que j'ai déjà exposées, que la trépanation fût pratiquée presque exclusivement sur les enfants, dont le crâne, beaucoup plus tendre et beaucoup moins épais, se laisse aisément et rapidement perforer par le raclage. En moins de cinq minutes, on obtient une ouverture régulière, elliptique, dont les dimensions sont relativement les mêmes que celles de nos ouvertures cicatrisées, quoiqu'elles soient absolument moindres, à cause de la petitesse du crâne et de la plus grande rapidité de sa courbure. Il est très-facile de ménager la dure-mère, et de se convaincre que l'opération, faite sur le vivant, aurait peu de gravité (1). Que l'on fasse ensuite intervenir, par la pensée, d'abord le travail de cicatrisation, puis le travail de l'accroissement du crâne, et l'on comprendra que cette ouverture deviendrait, à l'âge adulte, entièrement pareille, sous tous les rapports, à celles de nos trépanés néolithiques (2).

(1) J'ai présenté à la Société d'anthropologie, dans les séances de novembre 1876, des crânes d'adulte et d'enfant trépanés par raclage avec un éclat de verre. Les deux opérations avaient été faites avec le même morceau de verre. Sur l'adulte, dont le crâne était excessivement épais, l'opération avait duré cinquante minutes, y compris les temps de repos exigés par la fatigue de la main. Sur l'enfant, qui était âgé de deux ans, tout avait été terminé en quatre minutes.

(2) Pendant l'impression de ce travail, j'ai découvert, sur un crâne remarquable dont j'ai déjà parlé, la preuve directe que la trépanation chirurgicale avait été faite par le procédé du râclage. Ce crâne est celui qui a été représenté sur la figure 8 (voy. plus haut, p. 19). La trépanation, pratiquée pendant l'enfance sur la partie supérieure et interne du pariétal gauche, avait atteint le bord sagittal de cet os sans entamer le pariétal droit, et on a vu plus haut que, l'accroissement marginal du pariétal gauche ayant été arrêté à ce niveau, tandis que celui du pariétal droit se faisait sans obstacle, la suture sagittale avait subi une déviation de 12 millimètres vers la gauche. C'est ce qui résulte de la comparaison de la suture et de la ligne médiane du crâne, sur la face convexe des os. Or, du côté de la face concave, la déviation est beaucoup moindre; elle est à peine de 6 millimètres. Sur cette face, la suture sagittale, comme d'ailleurs toutes les autres sutures, est entièrement effacée; mais l'empreinte du sinus longitudinal supérieur, et la double série d'empreintes des glandes de Pacchioni, permettent de retrouver la ligne d'union des deux pariétaux et de reconnaître, par conséquent, la position qu'occupait la suture sagittale avant l'époque où elle a subi la soudure sénile. Cela posé, si, au niveau du point

Je crois donc pouvoir conclure que la trépanation se faisait par le procédé du raclage; la grande facilité de ce procédé et son peu de gravité, chez les enfants, contrastent avec la difficulté et le danger qu'il devait présenter chez les adultes, et expliquent pourquoi les sujets opérés étaient des enfants.

N'existait-il pas d'autre procédé que celui du raclage? Je n'oserais pas l'affirmer. M. Prunières a recueilli une pièce, jusqu'ici unique, qui l'a conduit à penser qu'on employait aussi quelquefois le procédé du forage par rotation. Voici cette pièce (fig. 14). C'est un fragment de pariétal, sur le bord sagittal duquel existe une échancrure entièrement cicatrisée, formant un arc de cercle bien régulier. Les bords de cette échancrure ne sont nullement obliques; ils sont perpendiculaires à la surface de l'os, comme ceux des ouvertures produites par nos trépans modernes. L'échancrure représente environ le quart d'une ouverture ronde, qui s'étendait, à travers la suture sagittale, sur le pariétal du côté opposé, et qui, à en juger d'après la partie qui a été retrouvée, devait avoir de 20 à 23 millimètres de diamètre. Cette ouverture se distingue donc complétement des autres par ses dimensions, qui sont beaucoup plus petites, par sa forme, qui est ronde, et par ses bords, qui sont perpendiculaires; et si elle est chirurgicale, si, en outre (ce qu'on ignore), elle était aussi ronde et aussi régulière dans la partie perdue que dans celle qui a été re

où la suture sagittale présente, sur la face externe, une déviation latérale de 12 millimètres, on applique l'une des extrémités d'un compas d'épaisseur à pointes aiguës, sur le trajet profond de la suture sagittale, on voit que l'autre pointe du compas, abaissée sur la face convexe, vient se placer, non pas sur le trajet superficiel de la suture, mais sur le milieu de l'intervalle de 12 millimètres qui existe entre celle-ci et la ligne médiane, représentée sur la surface du crâne par un trait de crayon. Ainsi, tandis que, du côté de la table externe, le pariétal droit a empiété de 12 millimètres sur la moitié gauche du crâne, il n'a empiété que de 6 millimètres du côté de la table interne; cela prouve que l'accroissement marginal du pariétal gauche, supprimé dans les couches superficielles de cet os, par suite de la trépanation, a continué, en partie du moins, dans les couches profondes. Par conséquent, la perte de substance chirurgicale qui, sur la table externe, s'étendait jusqu'à la suture sagittale, s'était arrêtée, sur la table interne, à une distance notable de la suture, laissant subsister une marge suffisante pour faire les frais du travail d'accroissement. Il est clair maintenant que l'opération n'a pu être faite que par le procédé du raclage, car aucun autre procédé n'aurait pu produire, sur le crâne mince d'un enfant, une section aussi oblique.

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