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tions de gisement tout à fait exceptionnelles, qu'un crâne d'enfant trépané à l'époque néolithique pourrait nous présenter des indices certains de cette opération. L'absence des crânes trépanés en voie de cicatrisation et de réparation s'explique donc d'une manière très-satisfaisante, elle devient un fait tout naturel, presque nécessaire, si l'on admet que la trépanation se faisait chez les enfants, tandis que ce fait serait vraiment étrange si les nombreux crânes cicatrisés que nous possédons avaient été trépanés dans l'âge adulte.

J'ai déjà dit que les ouvertures de trépanation empiètent quelquefois sur deux os contigus, et qu'elles traversent, par conséquent, une suture. L'oblitération de la suture, au moins dans la partie qui avoisine immédiatement l'ouverture, serait la conséquence nécessaire d'une pareille opération pratiquée sur un adulte. On sait qu'à cet âge les sutures sont très-serrées, qu'elles sont trèsdisposées à se souder, et que tout travail d'irritation de quelque intensité et de quelque durée suffit pour provoquer cette soudure. L'oblitération est inévitable surtout lorsque la suture est comprise dans une plaie osseuse qui guérit par suppuration, car les bords des deux os se touchent directement sans membrane intermédiaire, et ne peuvent pas se cicatriser isolément. Chez l'enfant, la membrane intermédiaire, dernier vestige de la membrane des sutures, est déjà fort mince, mais elle existe encore, puisque c'est elle qui fait les frais de l'accroissement des os en largeur; la cicatrisation isolée des deux os adjacents est donc possible, et elle est favorisée par la distension que l'accroissement continu du cerveau fait subir à la paroi crânienne. Cela posé, je connais trois cas où l'ouverture de la trépanation traverse une suture qui n'est nullement oblitérée. L'un des sujets n'est âgé que de ving-cinq ans environ, et toutes ses sutures sont encore ouvertes (voy. plus haut fig. 7, p. 16). Les deux autres sont plus âgés, et la persistance de la suture au niveau de l'ouverture de trépanation est d'autant plus remarquable, que les effets de l'oblitération sénile se sont déjà montrés sur d'autres sutures. J'ai déjà figuré plus haut l'une de ces deux pièces (voir fig. 6, p. 15); la ligne de la suture coronale se prolonge sur toute la largeur du biseau cicatrisé jusqu'à son bord tranchant. Il est donc certain que ces trois sujets ont été trépanés dans leur enfance.

A ces preuves indirectes je puis joindre une preuve directe que m'a fournie tout récemment l'étude de l'un de nos crânes

trépanés. Ce crâne était déposé depuis 1874 dans le cabinet du laboratoire, où il avait été examiné bien souvent par moi-même et par un grand nombre de personnes, sans qu'on eût remarqué qu'il était asymétrique; cette asymétrie, limitée à la région pariétale, ne frappait pas les regards, parce que le crâne est trèsincomplet; la région faciale manque, ainsi qu'une grande partie

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FIG. 11. Crâne perforé d'un dolmen dit Cibournios, donné par M. Prunières au musée de l'Institut anthropologique. (Demi-nat.)-AB, ligne médiane du crâne, marquée par un cordon passant en A sur la racine du nez, en C sur le bregma, en D sur le lambda, en B sur l'inion. E, apophyse orbitaire externe gauche; F, la droite, brisée à sa base. L'érosion posthume a détruit une grande partie de la face latérale droite. - ab, bord falciforme, cicatrisé, de la trépanation chirurgicale pratiquée dans l'enfance sur le bord sagittal du pariétal gauche. ac, bd, grandes échancrures de la trépanation posthume, pratiquée en avant et en arrière de l'ouverture cicatrisée. - La suture sagittale, au lieu de suivre la ligne médiane CD, a subi une forte déviation vers la gauche.

des deux régions pariétales, la droite s'étant détruite dans le sol, et la gauche ayant été enlevée par la trépanation chirurgicale et par la trépanation posthume. En outre, le sujet est très-avancé en âge; toutes les sutures sont plus ou moins soudées; la coronale

est tout à fait effacée; la lambdoïde seule est encore bien dessinée; quant à la sagittale, les sillons tortueux qui en indiquent la situation sont si peu profonds, que la mince patine noirâtre déposée à la surface du crâne suffisait pour les masquer entièrement. On n'avait donc pas pu s'apercevoir que cette suture était déviée. Mais il y a quelques jours, faisant exécuter, pour le présent travail, un diagramme de ce crâne, j'ai voulu déterminer le plan médian pour le présenter exactement au diagraphe, et j'ai été amené à chercher attentivement la situation de la suture sagittale; un lavage fait avec soin, à l'aide d'une solution alcaline, m'a permis de la retrouver presque tout entière. On voit maintenant (voy. fig. 11) que cette suture n'est pas droite; elle décrit, entre le bregma et le lambda, une courbe assez prononcée, dont la concavité est dirigée vers la ligne médiane, et dont la convexité est tournée vers le côté gauche, c'est-à-dire vers le côté trépané. Pour apprécier le degré de cette déviation, j'ai simulé une coupe médiane, à l'aide d'un cordon tendu de l'inion à la racine du nez, et passant par le lambda. J'ai reconnu ainsi que la partie moyenne de la suture est reportée à 12 millimètres à gauche de la ligne médiane.

Or, cette partie moyenne (plus rapprochée, toutefois, du bregma que du lambda) correspond précisément à l'ouverture de la trépanation chirurgicale; les bords antérieur, postérieur et inférieur de cette ouverture ont été emportés par la trépanation posthume, mais le bord supérieur est intact; il est long de 40 millimètres, et représente un peu moins du tiers d'une ellipse; il est falciforme, parfaitement cicatrisé et aminci en un biseau tranchant, large de 10 à 13 millimètres. La base de ce biseau décrit ainsi une courbe beaucoup plus grande que son bord libre, et elle vient toucher en haut la suture sagittale, qui est heureusement très-visible à ce niveau. La trépanation a donc été faite sur la partie supérieure du pariétal gauche, de manière à atteindre le bord de cet os, sans entamer le pariétal droit, et il est tout à fait évident que la déviation de la suture a été la conséquence de l'opération. Cela prouve, sans réplique, que le sujet a été trépané à une époque où le travail de croissance des os du crâne était encore très-loin de son terme. On sait que ces os s'accroissent presque exclusivement par leurs bords; le bord du pariétal gauche, atteint par la trépanation, a donc cessé de faire les frais du travail d'accroissement, et le bord du pariétal droit, n'étant plus arrêté par la résistance de l'os voisin, a pu se pro

longer sur la région gauche du crâne. Nous avons ainsi la preuve irrécusable que la trépanation a été faite dans le jeune âge (1).

Mais cette asymétrie ne s'est produite qu'à la faveur d'une circonstance toute spéciale: si la perte de substance avait entamé le bord du pariétal droit, ou si elle s'était arrêtée à quelque millimètres du bord du pariétal gauche, le travail d'accroissement n'aurait pu nuire à la symétrie du crâne.

Il résulte des faits que je viens d'analyser que les sujets opéré étaient presque toujours des enfants. Je n'en conclus pas que la trépanation ne fût jamais pratiquée chez les adultes. Elle pouvait l'être à titre d'exception; cela me paraît même assez probable, car les opérateurs de ce temps-là devaient être tentés quelquefois d'agrandir le domaine de leur art. Mais ce qui me paraît résulter de l'ensemble des faits connus jusqu'ici, c'est que la trépanation se faisait, sinon toujours, du moins presque toujours, à l'âge de l'enfance. On va voir que cette notion jette le plus grand jour sur toute l'histoire des trépanations néolithiques.

§ 5. DU PROCÉDÉ DE LA TRÉPANATION NÉOLITHIQUE.

Les procédés à l'aide desquels on peut pratiquer méthodiquement des ouvertures sur le crâne se réduisent à trois : la rotation, la section et le raclage.

J'ai déjà dit que, depuis les temps les plus reculés, les chirurgiens grecs ouvraient le crâne à l'aide d'un instrument tournant, appelé le trépan. L'origine de cette opération était déjà oubliée au temps d'Hippocrate, au cinquième siècle avant notre ère. Le trépan était un instrument métallique : il supportait tantôt une couronne dentée en scie, qui enlevait une rondelle en une seule pièce, tantôt une sorte de rabot tournant, appelé l'exfoliatif, qui enlevait l'os couche par couche. Le trépan à couronne n'a pu être construit qu'après la découverte des métaux; mais le trépan exfoliatif pouvait très-bien dater de l'âge de la pierre, car une armature de silex, mise en rotation par la main ou par un archet, aurait toute la puissance nécessaire pour creuser un trou dans la paroi du crâne. Ce procédé de rotation à la main est encore employé par les bergers de la Lozère pour trépaner les moutons atteints de tournis. Il a été décrit par M. Prunières (2). Le ber(1) Bulletins de la Société d'anthropologie, séance du 7 décembre 1876. (2) Prunières, Sur les crânes perforés et les rondelles crâniennes, dans Association française, volume de Lille, 1874, p. 623.

ger, assis, fixe entre ses genoux la tête du mouton, applique sur le crâne de l'animal la pointe de son gros couteau, et imprime au manche un mouvement de rotation en le roulant entre ses mains. Rien de plus simple, comme on le voit; et il est clair que cet instrument grossier pourrait très-bien être remplacé par un outil de silex. La trépanation par rotation ou par térébration était donc certainement à la portée des opérateurs néolithiques.

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FIG. 12. Le crâne perforé du Puy-de-Dôme.

Mais ce procédé ne peut produire que des ouvertures parfaitement rondes, tandis que nos ouvertures chirurgicales sont elliptiques. En outre, les bords des ouvertures de trépan sont perpendiculaires à la surface des os, tandis que ceux des nôtres sont taillés en un biseau toujours assez oblique. Ce dernier caractère distinctif n'est sans doute pas absolu, car un trépan exfoliatif de forme évasée, comme le couteau des bergers de la Lozère, donne une perforation à bords un peu obliques; c'est ce que l'on peut voir sur un crâne qui a été trouvé dans les fouilles pratiquées au sommet du Puy-de-Dôme, et qui est probablement le crâne d'un moine du neuvième siècle (voir fig. 12); mais la faible obli

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