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dans le crâne malgré l'obliquité du coup et pour en enlever tout un segment. Mais, pour que cet effet soit possible, il faut que la région crânienne correspondante présente un certain degré de courbure; si elle était aussi peu convexe que la région temporale, la lame pourrait bien pénétrer dans le crâne, mais ne pourrait

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FIG. 10. Perte de substance pénétrante du vertex, produite par un coup de sabre. La surface de section est plane. La suture sagittale, accusée par une saillie longitudinale en avant de la section, est complétement oblitérée. Musée de l'Institut anthropologique; crâne donné par M. de Khanikof. Gr. nat.

pas ressortir du même côté de manière à abattre un copeau. C'est donc seulement sur le vertex, sur le front, sur l'occiput et sur les bosses pariétales qu'on observe ces grandes pertes de substance traumatiques. Or, nos ouvertures de trépanation occupent souvent la région plate des tempes; elles y sont même plus fré

quentes que partout ailleurs. Celles-là ne sont évidemment pas traumatiques, et on peut déjà en conclure que les autres, qui leur sont semblables en tout point, ne sont pas dues non plus à des blessures de combat. Mais il y a plus: même dans les régions du crâne où les coups de tranchant peuvent produire des pertes de substance pénétrantes, les ouvertures diffèrent entièrement de celles que j'étudie.

Voici, par exemple (fig. 10), un crâne dont le vertex a été enlevé par le sabre d'un cavalier tartare. La section est plane et assez régulièrement elliptique; elle a détaché un segment qui, mesuré sur la table externe, a 75 millimètres de longueur sur 61 de largeur, et cependant l'ouverture de la table interne n'a'que 15 millimètres de longueur sur 11 de large. Le bord est donc extrêmement oblique; il forme un grand biseau dont la largeur varie entre 35 et 25 millimètres. Cette largeur et cette obliquité du biseau sont incomparablement plus grandes que les dimensions de nos ouvertures de trépanation, et l'on conçoit, en effet, qu'à moins de détacher la plus grande partie de la voûte du crâne, un plan de section doit être extrêmement oblique et parcourir dans l'épaisseur du diploé un trajet très-long avant d'atteindre la table interne. Il suffit donc d'examiner, au point de vue des conditions mécaniques, les ouvertures de nos crânes néolithiques, pour reconnaître qu'aucun coup de tranchant ne pourrait les produire.

Cette conclusion deviendra bien plus nécessaire encore si nous nous reportons à l'époque où l'on ne possédait que des armes de pierre. Ce que ne peuvent faire nos tranchants d'acier, ne pouvait, à plus forte raison, être produit par le tranchant épais des haches polies. Celles-ci ne pouvaient pénétrer dans le crâne que dans une direction peu oblique; dès lors elles ne pouvaient en ressortir à quelques centimètres plus loin en coupant un copeau régulier. Tout au plus pouvaient-elles commencer la section d'un fragment en faisant sauter le reste par éclat, mais l'ouverture qui en résultait ne pouvait être que très-irrégulière.

A cette démonstration péremptoire on peut ajouter un argument tiré d'un fait que j'ai déjà signalé. Les blessures de guerre peuvent atteindre toutes les parties de la tête, mais elles ont un siége de prédilection, c'est la région frontale, qui fait face à l'ennemi. On n'a pas oublié pourtant que nos ouvertures de trépanation respectent toujours cette région. On ne supposera pas, sans doute, que des guerriers furieux eussent de pareils scru

pules, tandis que ce respect pour le visage humain s'explique tout naturellement de la part des opérateurs, à une époque où l'on n'osait pas même prolonger jusque sur le front proprement dit les trépanations posthumes.

La même remarque peut être présentée à ceux qui, tout en reconnaissant que nos ouvertures sont chirurgicales, pensent qu'elles ont pu être motivées, comme la plupart des trépanations modernes, par des fractures ou par des maladies des os du crâne, car la région frontale n'y est pas moins exposée que les autres.

Enfin, si les preuves qui précèdent pouvaient laisser subsister quelque incertitude, l'étude des pratiques superstitieuses qui suivaient la mort des individus trépanés suffirait, je l'espère, pour lever les derniers doutes. J'en parlerai tout à l'heure, mais je dois compléter auparavant l'exposé des faits qui concernent la trépanation chirurgicale.

Parmi les crânes trépanés qui sont assez complets pour se prêter à la détermination du sexe, il en est plusieurs qui sont incontestablement féminins et d'autres qui sont incontestablement masculins. L'opération se faisait donc indistinctement sur les deux sexes. Cette remarque sera utilisée plus loin. En voici une autre qui est beaucoup plus importante: elle concerne l'âge où l'on pratiquait la trépanation. J'ai lieu de croire que l'on ne trépanait que les enfants.

Tous les chirurgiens qui ont étudié les plaies des os du crâne savent avec quelle lenteur elles se cicatrisent chez les adultes. La plaie extérieure peut se cicatriser assez promptement, de manière à recouvrir solidement les os, mais ceux-ci n'arrivent que très-lentement au terme définitif de la guérison complète. Le travail de réparation dont ils sont le siége s'accompagne d'une ostéite qui se propage bien au-delà des bords de la plaie, et qui, dans une étendue souvent très-grande, amène la dilatation des canalicules vasculaires des deux tables crâniennes. Ces canalicules, dont les ouvertures ne sont normalement visibles qu'à la loupe, deviennent assez larges pour apparaître sous l'aspect de porosités très-manifestes. Il s'écoule d'abord de longs mois avant que le tissu de formation nouvelle, qui constitue la cicatrice osseuse, soit parvenu à l'état de lame compacte; puis il s'écoule encore plusieurs années avant que les canalicules dilatés reviennent à leur calibre normal, c'est-à-dire avant que les traces de l'ostéite traumatique soient effacées autour de la cica

trice. Ce dernier résultat est même assez rare lorsque la blessure osseuse a eu lieu dans l'âge adulte; mais il s'observe, au contraire, habituellement lorsqu'elle a été faite, pendant l'enfance ou l'adolescence, sur des crânes qui sont encore en voie d'accroissement.

Or, sur les nombreuses ouvertures de trépanation et sur les amulettes, bien plus nombreuses encore, que l'on a recueillies jusqu'ici, non-seulement la cicatrice est toujours achevée et parachevée, mais encore le tissu des deux tables compactes de l'os adjacent est revenu à son état le plus normal, — et on peut en conclure que toutes ces trépanations ont été pratiquées trèslongtemps avant la mort. Sous ce rapport, il n'y a pas de différence entre les crânes des individus déjà âgés et ceux des sujets plus jeunes; l'un de nos crânes trépanés provient d'une femme âgée de moins de vingt-cinq ans (la dent de sagesse est encore en voie d'évolution), et les traces de l'ostéite traumatique sont aussi complétement effacées chez elle que chez d'autres trépanés qui ont vécu jusqu'à la vieillesse. Si l'on songe maintenant que le rétablissement parfait de l'état normal, quoique possible à tout âge, n'est habituel que lorsque la blessure osseuse a précédé la fin du travail d'accroissement du crâne, on est conduit à présumer que ces opérations ont dû être pratiquées pendant l'enfance ou l'adolescence.

Ce n'est jusqu'ici qu'une présomption, mais voici quelque chose de plus significatif :

La trépanation, considérée en soi, est loin d'avoir la gravité que paraissent lui attribuer les statistiques modernes; si cette opération est le plus souvent suivie de mort, c'est parce que la plupart des individus qu'on y soumet aujourd'hui sont atteints de fractures du crâne compliquées d'accidents cérébraux et que leur état est déjà presque désespéré; quant à l'acte opératoire en lui-même, il n'a qu'une gravité modérée. En supposant donc que la trépanation néolithique fût faite avec beaucoup de prudence et de méthode, elle pouvait être peu dangereuse, puisqu'elle se pratiquait dans des conditions toutes différentes.

Mais il n'est pas possible qu'elle ne fût jamais mortelle, et, en tous cas, elle ne préservait pas les opérés des chances communes qui pouvaient les atteindre, en pleine santé, quelques mois ou quelques années après leur guérison. Ceux qui mouraient ainsi avant l'époque très-tardive où l'état des bords de

l'ouverture et celui des os environnants devenaient définitifs, étaient inhumés comme les autres, et cependant leurs crânes ne se retrouvent pas dans les sépultures néolithiques. Cela prouve que ces crânes se sont détruits dans le sol, ou du moins que l'altération moléculaire posthume a dénaturé la région opérée à un degré suffisant pour faire disparaître entièrement les bords de l'ouverture artificielle, et avec eux les traces de l'opération. Ce résultat s'expliquerait bien difficilement si les trépanations avaient été pratiquées sur les adultes, dont les crânes sont à la fois durs et épais, car leur dureté résiste à l'érosion posthume, en même temps que leur épaisseur rend le biseau de la section large, distinct et difficile à effacer. Mais tout s'explique parfaitement si les sujets opérés étaient des enfants. On sait que les crânes des enfants se détruisent dans le sol beaucoup plus rapidement que ceux des adultes, et qu'il est très-rare de les retrouver intacts dans les anciennes sépultures, à moins que le sol ne soit d'une sécheresse exceptionnelle.

Il y a tel dolmen où, parmi de nombreux crânes d'adultes en assez bon état, les crânes d'enfants sont à peine représentés par quelques débris (qui quelquefois même font entièrement défaut). On peut aussi se convaincre que la plupart de ces crânes ont été détruits dans le sol. Cela diminue déjà singulièrement la chance de retrouver des crânes d'enfants d'une catégorie déterminée; mais la chance diminuera bien plus encore s'il s'agit d'une catégorie exposée tout particulièrement à l'érosion posthume. Or, les crânes des enfants trépanés sont précisément dans ce cas. D'autre part, le bord de l'ouverture, taillé en un biseau très-oblique, est incomparablement plus mince que tout le reste du crâne; c'est donc sur ce bord que les agents physico-chimiques de l'érosion. posthume produisent leurs premiers effets. En second lieu, quelque oblique que soit le biseau, il n'occupe qu'une largeur médiocre, puisque la paroi crânienne est fort mince. Sur les crânes d'adultes, ce biseau est beaucoup plus large, et permet encore de reconnaître les caractères de l'ouverture de trépanation, quand même l'érosion en aurait détruit le bord tranchant dans une largeur de plusieurs millimètres; mais sur les crânes d'enfants il suffit d'une action érosive très-légère pour dénaturer entièrement les bords de l'ouverture, et pour donner à celle-ci toute l'apparence d'une perte de substance produite exclusivement par l'érosion. Ce ne serait que par hasard, à la faveur de condi

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