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admissible qu'une opération de ce genre ne donnât d'autre résultat qu'une mort très-prompte ou bien une guérison définitive.

En second lieu, les ouvertures non cicatrisées et les ouvertures cicatrisées diffèrent entièrement les unes des autres par leur forme générale aussi bien que par leur étendue et par la direction de leurs bords. Les bords des ouvertures cicatrisées sont presque toujours taillés en un biseau très-oblique, presque tranchant; ceux des autres ouvertures, lorsqu'ils sont obliques, le sont toujours beaucoup moins, et il est certain que ce n'est ni la même opération, ni le même procédé qui pourrait donner lieu à des résultats aussi dissemblables. En outre, les ouvertures cicatrisées ont une forme elliptique et des dimensions assez restreintes, tandis que les ouvertures non cicatrisées ont des formes toujours irrégulières, festonnées ou anfractueuses, et des dimensions beaucoup plus grandes. Il est certain que ces deux espèces d'ouvertures sont dues à deux opérations complétement diffé

rentes.

En troisième lieu, et ceci est décisif, la plupart des rondelles et la plupart des ouvertures crâniennes présentent à la fois sur une partie de leur bord une section fraîche, c'est-à-dire sans la moindre trace de travail organique, et sur une autre partie de leur bord une section cicatrisée depuis un grand nombre d'années. Il est évident que ces deux résultats ne peuvent être attribués à une seule opération, mais à deux opérations différentes, séparées l'une de l'autre par un laps de temps très-considérable.

Ce dernier argument permet de réfuter, en outre, une autre hypothèse qui pourrait se présenter à l'esprit. L'étendue immense de certaines ouvertures crâniennes est tout à fait incompatible avec l'idée d'une opération pratiquée sur le vivant dans un but thérapeutique; mais on pourrait supposer que les sections fraîches sont l'oeuvre d'un tortionnaire chargé d'exercer une vengeance publique sur un condamné à mort, ou de faire périr dans un supplice atroce un prisonnier de guerre. Cette supposition permettrait même, jusqu'à un certain point, d'expliquer pourquoi l'on conservait si précieusement les fragments crâniens que l'on enlevait ainsi, car, jusqu'à la fin du dix-septième siècle, on a attribué à la substance du crâne humain des propriétés médicales particulières et on l'a employée contre certaines maladies de la tête, en choisissant de préférence « le crâne d'un jeune homme mort

de mort violente et qui n'ait pas été inhumé (1) ». Mais le fait que les individus dont on taillait le crâne en rondelles ou en amulettes étaient précisément ceux qui avaient été autrefois trépanés, prouve suffisamment que ce n'étaient ni des condamnés à mort ni des prisonniers de guerre.

Il faut donc reconnaître que les sections fraîches sont réellement posthumes, ainsi que M. Prunières l'a annoncé dès le premier jour, et il est extrêmement probable qu'elles se faisaient solennellement, au moment des funérailles.

§ 4. DE LA TRÉPANATION CHIRURGICALE.

Les crânes des individus qui avaient été soumis autrefois à la trépanation chirurgicale n'étaient pas nécessairement soumis à la trépanation posthume. Un certain nombre d'entre eux étaient déposés intacts dans le sol, soit que la famille s'opposât à cette mutilation, soit que la tribu fût déjà suffisamment pourvue d'amulettes. On a donc trouvé dans plusieurs sépultures néolithiques des crânes sur lesquels les ouvertures de la trépanation chirurgicale sont entières, et peuvent être étudiées d'une manière complète.

Ces ouvertures présentent les caractères suivants : leur forme, sans être géométrique, est assez régulière. Elles ne sont jamais rondes, et se rapprochent toujours plus ou moins de la forme d'une ellipse dont le grand axe est dirigé dans le sens de la longueur du crâne (voy. fig. 5); leurs dimensions, sans être fixes, varient peu; leur longueur est comprise entre 35 et 50 millimètres, et est en moyenne de 4 centimètres; leur largeur est ordinairement moindre de 6 à 10 millimètres ; leur bord, régulièrement aminci, toujours assez oblique, et ordinairement très-oblique, est taillé aux dépens de la face externe de l'os en un biseau aigu, quelquefois presque tranchant, dont la surface, bien lisse, est formée par une lame de tissu compacte qui, commençant brusquement sur la table interne du crâne, se continue insensiblement avec la table externe. Cette lame, intermédiaire entre les deux tables compactes de l'os, correspond nécessairement au diploé, et cependant on n'aperçoit aucune trace des cellules du tissu spongieux; on peut en conclure

(1) Nicolas Lemery, Traité universel des drogues simples, Paris, 1699, in-4°. Ce passage a été reproduit par M. Prunières dans son mémoire de Lille,

p. 629.

avec certitude que l'état lisse des bords de l'ouverture n'est pas la conséquence d'un travail de polissage. Le polissage n'aurait pu produire rien de semblable; il aurait abattu les petites saillies râpeuses des lamelles du tissu spongieux, mais il n'aurait pu effacer les ouvertures diploïques; il les aurait laissé persister sous l'apparence d'un crible irrégulier, comme on le voit sur

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FIG. 5. Trépanation chirurgicale sur le pariétal gauche, à 26 millimètres en arrière de la suture coronale. Collection de Baye (d'après un moule). Gr. nat.

quelques rondelles dont le bord a été réellement poli, notamment sur la célèbre rondelle de Lyon, représentée sur la figure 1; mais sur toutes les ouvertures à bords lisses (et j'ajoute sur la majorité des rondelles) la surface du biseau marginal est recouverte d'une lame compacte, qui est due à un travail de cicatrisation complétement terminé ; j'ai dû insister sur ce caractère, parce que c'est lui qui établit la distinction fondamentale des trépanations posthumes et des trépanations chirurgicales.

Autour de l'ouverture, le tissu osseux est revenu à l'état normal. En éclairant la cavité du crâne à l'aide du cranioscope, on voit que la table interne est aussi saine que l'externe. Il n'existe à ce niveau aucune déformation de la paroi crânienne; le bord du biseau n'est déjeté ni en dedans ni en dehors, et la courbure de la région n'est nullement modifiée.

Les ouvertures que je viens de décrire occupent des régions

très-variables; la plupart correspondent au pariétal, quelquesunes à l'écaille occipitale ou à la partie la plus élevée de l'écaille frontale. D'autres sont en quelque sorte à cheval sur une suture, de manière à empiéter, à peu près par moitié, sur les deux os voisins. M. de Baye a représenté dans son mémoire deux cas de ce genre sur le premier crâne, l'ouverture traverse la branche droite de la suture lambdoïde; sur le second, elle traverse la branche gauche de la suture coronale, entamant ainsi à la fois le pariétal et le frontal (voy. fig. 6). On en trouve un autre exemple

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FIG. 6. Trépanation chirurgicale sur la suture cornale. Collection de Baye
(d'après un moule). Gr. nat.

plus remarquable encore sur le n° 5 de la caverne de l'HommeMort. La perte de substance, située vers le milieu de la suture sagittale, entame profondément les deux pariétaux (voy. fig. 7). Il semble donc que le siége des ouvertures ne soit assujetti à aucune règle. Il y avait cependant une règle importante, et à laquelle aucun des faits que je connais ne fait exception : c'est qu'on respectait toujours la partie du crâne qui n'est pas recouverte de cheveux, celle qui constitue le front, et qui appartient au visage; je parle de la région appelée front dans le langage vulgaire, et non pas de l'os frontal des anatomistes, lequel, comme on sait, s'étend bien au-delà du front. Ce n'est pas que l'on craignît d'attaquer cet os, car je viens de citer un cas où il était profondément échancré. Si donc on évitait avec soin la région du front pro

prement dit, c'est parce qu'on ne voulait pas mutiler le visage. Cette règle était-elle absolue? Je n'ose pas encore l'affirmer, mais le nombre des cas de trépanations chirurgicales que j'ai étudiés est assez grand pour que je ne puisse pas attribuer au

FIG. 7. Crâne no 5 de la caverne de l'Homme-Mort (Lozère); trépanation chirurgicale sur la suture sagittale (M. Prunières). Demi-nat.

hasard l'intégrité, jusqu'ici constante, de la région du front; j'ajoute que, dans les trépanations posthumes, on respectait aussi cette région, alors même qu'on n'hésitait pas à produire sur le reste du crâne des pertes de substance d'une énorme étendue.

Telles sont les ouvertures que j'attribue à la trépanation chirurgicale. Il s'agit maintenant de fournir des preuves à l'appui de cette interprétation.

Que ces ouvertures soient antérieures, et même bien antérieures à la mort, cela ne peut faire l'objet d'un doute, puisque leurs bords sont complétement cicatrisés. Mais cela ne prouve rien encore, car le crâne de l'homme est exposé à des accidents, à des blessures, à des maladies capables de produire des perforations ou des pertes de substance de forme et d'étendue très

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