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le zorzico et chante le Garnicaco arbola, accompagné de la tibia, le Galicien dansera, accompagné de la cornemuse, la monotone muñeira, saturée de mélancoliques souvenirs des raparigas enamourées. Parmi les Aragonais, la jata et la rondalla, avec l'aide du pandero, dessineront le caractère viril et martial des indigènes; pendant que l'Andalous, bercé des influences et des souvenirs de l'Orient et de l'Occident, exécute, aux sons de la guitare, ces bals de charme suprême qui mêlent les enivrantes séductions des danses des almées et des bayadères aux raffinements déli⚫ cats d'une civilisation idéaliste et chevaleresque. Le sentiment de l'art trône dans la vie andalouse, comme en Grèce ou dans les environs du golfe de Naples : l'habit, le chant, la parure, le décor de la maison, le mobilier, la tournure du langage, les jeux, même l'amour, la passion, les vices et la lutte, affectent des traits particuliers qui ne se reproduisent dans aucune autre contrée péninsulaire. Le costume andalous, pittoresque, serré, d'une grande élégance, demande, dans les deux sexes, une grâce, une distinction dans les mouvements et les actions, que ne peuvent atteindre les plus privilégiés des autres Espagnols.

Dans la Galice, à Zamore, à Salamanque, dans les abruptes montagnes des Asturies, entre les Charros, les Passiegos et les Maragatos, l'artiste reste surpris devant la richesse de la couleur et de la forme, et cependant il n'y a rien de comparable aux lignes sculpturales de la figure du majo andalous, svelte, équilibrée, d'un rhythme olympien comme une statue de l'antique.

Dans les formes du culte, il n'existe pas non plus une complète unité. On voit, dans le Nord et l'Occident, les églises presque dépourvues d'images; elles sont vulgaires et même laides. Dans le Midi, le culte iconitique est presque toute la religion. Supprimez les chants liturgiques, les manifestations extérieures, plastiques, sonores, visuelles; supprimez la mythologie dévote et naïve qui peuple les champs, les forêts, les fontaines et les montagnes de génies tutélaires, et vous aurez porté un coup terrible à la piété. L'Andalous est l'adorateur passionné de la forme et du réel, et de cette prédisposition émanent les tendances fortement anthropomorphiques de ses rêves, de ses métaphores et, en général, de toutes ses pensées, de tous ses sentiments.

Même dans l'étroit district de la pathologie, un esprit scrutateur découvrira des prédispositions et immunités régionales: la pellagre paraît être particulière aux Asturies et à certaines con

trées aragonaises, et pour n'être pas diffus, je dirai seulement que la nostalgie est le fléau du Galicien que la lutte pour l'existence pousse au dehors de sa terre natale.

En résumant les données que j'ai l'honneur de mettre sous les yeux de la section, mon idée ressortira clairement. Je crois qu'il est déjà opportun de généraliser et méthodiser les recherches d'anthropologie sociale. Sans les secours, sans les lumières qu'elle doit nous offrir, la crise des peuples ibériques, par exemple, restera sans explication sérieuse et scientifique devant l'homme réfléchi. Il faut, par une méthode analytique a posteriori, démêler les éléments de toute nature qui se cachent dans l'organisme des nationalités, avec le but d'expliquer et leur passé et leur présent de toute nature, en vue de préparer l'avenir.

Les dissemblances ethnologiques sont, sous certains rapports, funestes aux progrès des institutions modernes; mais, quand je fais cette déclaration, je ne crois pas qu'on puisse les faire disparaître, dans la juste mesure, par la politique artificielle des métaphysiciens idéologues, ce ne sera qu'avec l'aide de la science réaliste et positive, franchement dévouée, non à la cause des dynasties, mais à celle de l'homme et de l'humanité. Trois siècles de politique unitaire n'ont pas réussi à unifier les pensées et les aspirations des Espagnols. Un homme illustre, président de l'Académie royale de l'histoire à Madrid, ex-ministre, ex-amba ssadeur, disait au Sénat espagnol il y a peu de jours: « Nous n'avons ni unité de race, ni unité de territoire, ni unité de langue, ni unité de législation..... (1). »

Mais pourquoi ce phénomène ? Pourquoi la monarchie et la religion ont-elles échoué dans leur commune entreprise d'unifier les peuples péninsulaires?

Répondre à d'aussi intéressantes questions, à des questions aussi vitales, tel est le but pratique, telle est la raison d'être de cette nouvelle branche d'étude de la science anthropologique.

(1) Antonio Benavides. Séance du 17 juin 1876.

REVUE D'ANTHROPOLOGIE. T. VI. 1877.

REVUE PRÉHISTORIQUE

I

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Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques (8o session) à Budapest, par Cazalis de Fondouce. Toulouse, 1876, 64 pages, in-8°. -Catalogue de l'exposition préhistorique des musées de province et des collections particulières de la Hongrie, par Joseph Hampel. Budapest, 1876, in-8°, 460 pages et supplément de 11 pages, 178 gravures dans le texte. 2 fr. 50. Antiquités préhistoriques de la Hongrie, par Joseph Hampel et Alexandre Beszédes, Esztergom, chez A. Beszédes, 1876, in-8o, 4re livraison, 12 planches et 27 pages de texte non numérotées. - L'esposizione di oggetti preistorici che ebbe luogo à Verona dal 20 felbrajo al 3 aprile 1876, par Giovanni Omboni. Venise, 1876, in-8°, 16 pages. Exposition rétrospective de Reims, temps préhistoriques, époque gauloise, par H.-A. Mazard. Paris, 1876, in-8°, 13 pages.— Das prähistorisch-ethnographische Staatsmuseum in Rom, par Senoner. Vienne, in-8°, 2 pages. Discours prononcé à l'inauguration de la statue d'Arcisse de Caumont le 15 juillet 1876, par Léon Palustre. Tours, in-8o, 12 pages. — Etudes paléoethnologiques, par Aug. Nicaise. Tours, 1876, 22 pages, in-8°. — L'archéologie devant l'histoire et l'art, par A. Nicaise. Chalons-sur-Marne, 1876, 14 pages in-8°.—Archéologie celtique et gauloise, mémoires et documents relatifs aux premiers temps de notre histoire nationale, par Alexandre Bertrand. Paris, 1876, chez Didier et Ce, in-8°, xxxII et 464 pages, 80 figures dans le texte et 10 planches.

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Le reporter par excellence et le plus exact des Congrès paléoethnologiques, M. Cazalis de Fondouce, vient de publier le compte rendu de la session de Budapest. Comme ses précédents, ce compte rendu est complet, clair, net et précis. Il contient un habile résumé de tout ce qui s'est fait et dit. La question principale traitée en Hongrie a été celle du bronze. . Puis sont venues, par ordre d'ancienneté, la question des incisions et entailles sur des ossements fossiles tertiaires présentés par M. Giovanni Capellini; celle de la trépanation préhistorique, admirablement exposée par M. Paul Broca; enfin la question des Bohémiens ou Tsiganes, qui malheureusement n'a pas été aussi étudiée qu'elle aurait dû l'être.

M. Cazalis de Fondouce précédemment dans ses comptes rendus se servait du nom de Congrès international d'archéologie et d'anthropologie préhistoriques. Cette fois il a interverti l'ordre des deux mots anthropologie, qu'il a mis le premier, et archéologie, qu'il a relégué au second rang. Ce n'est peut-être que la traduction inconsciente d'une opinion qui gagne du terrain et tend à s'implanter dans le groupe des savants qui suivent les réunions du Congrès. Le préhistorique tout d'abord dominait et l'anthropologie n'était qu'un accessoire. Mais cet accessoire peu a peu a pris de l'importance, et maintenant se présente non en maître, mais en bon camarade traitant d'égal à égal avec le préhistorique. Le Congrès international tend à devenir de plus en plus un congrès d'anthropologie et d'archéologie préhistorique ou paléoethnologie.

Une grande et brillante exposition préhistorique et un peu aussi historique a eu lieu à Budapest, pendant le mois de septembre, à l'occasion de la huitième session du Congrès international. Le Catalogue donné par M. le docteur Joseph Hampel se vendait 2 fr. 50. Il montre combien la Hongrie est riche en collections publiques ou particulières. Plus de quatre-vingts étaient représentées à l'exposition. Un catalogue est toujours très-aride; pour le rendre plus intéressant, l'auteur a eu l'heureuse idée d'y intercaler 178 gravures sur bois, qui pour l'étranger sont le grand attrait du livre.

Comprenant très-bien l'importance des figures, M. le docteur Joseph Hampel s'est concerté avec un habile photographe, M. Al. Beszédes, e. ils ont publié ensemble les objets les plus remarquables de l'exposition. Je n'ai entre les mains que la première livraison, mais elle est des plus intéressantes. Les douze planches photographiques, reproduites par un procédé particulier désigné sous le nom de procédé albertotypique, contiennent 329 objets : silex, obsidiennes, instruments en os, haches polies en pierre, pierres à aiguiser, marteaux et casse-tête en pierre avec un trou pour le manche, poteries, marteaux-haches en cuivre, haches de diverses formes, pointes de lance, spires diverses, épées, tous ces derniers objets en bronze, enfin la curieuse trouvaille de Hajdu-Boszœrmény, composée de deux épées, trois vases et un casque en bronze. On annonce une seconde livraison, également de douze planches, avec un exposé succinct sur les temps préhistoriques de la Hongrie. Le prix est de 20 francs.

En fait d'expositions rétrospectives, nous avons à citer une brochure de M. Mazard, dernier écho de l'exposition de Reims, dont nous avons déjà parlé dans une de nos précédentes revues. On y entend encore résonner, à propos de certains méfaits préhistoriques, le cri: Couvrons Monseigneur!... Vous vous souvenez que l'archéologie préhistorique avait été passablement sacrifiée à l'exposition de Reims, on avait cru y voir une influence cléricale. Sur le simple énoncé de ce fait, la plupart des organisateurs et des rapporteurs se sont dévoués pour couvrir Monseigneur!...

Il nous faut aussi citer un excellent compte rendu de l'exposition d'objets préhistoriques de Vérone par le professeur Giovanni Omboni. L'auteur a surtout envisagé la question au point de vue de la distribution géographique des objets.

Non-seulement les expositions se multiplient, mais encore les musées d'antiquités préhistoriques se développent, et, symptôme excellent, ces développements dans un pays sont donnés comme exemple dans les pays voisins. C'est ainsi que M. Senoner a fait une très-in téressante communication à la Société d'anthropologie de Vienne sur le Musée international préhistorique et ethnographique de Rome, création due aux démarches et aux bons soins de M. Pigorini.

Cet élan des générations nouvelles vers l'archéologie a fait élever une statue à Arcisse de Caumont, le fondateur de la Société française d'archéologie. A l'inauguration de cette statue, qui a eu lieu à Caen (Calvados), le 15 juillet 1876, M. Léon Palustre, directeur actuel de la Société, a prononcé un excellent discours.

M. Auguste Nicaise, président de la Société d'agriculture, sciences et

arts du département de la Marne, a aussi prononcé un très-bon discours en séance publique, à Chalons, le 23 août 1876. L'orateur a montré combien l'archéologie est un puissant auxiliaire de l'histoire et de l'art. Le même auteur a eu la bonne idée de réunir en une brochure sous le nom d'Etudes paléoethnologiques différentes notes qu'il avait précédemment publiées sur les principales stations de la pierre dans la Marne, sur une hache en bronze des alluvions de la Marne, et un rapport sur une carte archéologique du département.

Un autre recueil de notes et mémoires beaucoup plus considérable vient aussi d'être publié par M. Alexandre Bertrand. Sous le titre d'Archéologie celtique et gauloise, cet auteur a rassemblé de nombreux et importants travaux parus de 1861 à 1876 dans des recueils divers. La réimpression de ces mémoires, dont plusieurs épuisés depuis longtemps sont souvent demandés, serait déjà à elle seule une excellente chose. Mais M. Bertrand a fait mieux encore au lieu de grouper ces travaux par ordre chronologique, il les a classés méthodiquement et en a composé un tout au moyen de notes additionnelles et surtout en faisant précéder chaque article d'une introduction ou préambule, comme il l'appelle lui-même.

De tous les mémoires réunis dans le volume dont nous nous occupons, le plus remarquable sans contredit est le plus ancien : Les monuments primitifs de la Gaule, monuments dits celtiques, dolmens et tumulus. Ce mémoire est daté du 31 décembre 1861. C'est lui qui a fait la réputation de l'auteur. Il est toujours très-recherché, fort demandé. Ce travail a jeté le plus grand jour sur la question des dolmens; il est même, on peut le dire, la base essentielle de cette question. Dans ce travail M. Bertrand a suivi la méthode d'observation; c'est pourquoi son œuvre est si bonne, si sérieuse, si importante. Malheureusement, dans la plupart des autres travaux, surtout dans les préambules, l'auteur abandonne cette méthode pour se jeter dans les déductions, les dissertations et le dogmatisme; aussi l'ensemble laisse beaucoup à désirer. Il s'y trouve même de fréquentes contradictions à la Chabas, que le brillant du style ne masque pas toujours suffisamment. Il nous suffira d'en citer un exemple qui porte sur le fond même de la question. On lit, page 74: « L'âge de la pierre polie aurait donc commencé, en Gaule, longtemps après Ménès et n'aurait pris fin qu'à peu près à l'époque de Salomon. Ne sommes-nous pas là en pleine histoire, et n'est-ce pas trop isoler la Gaule du reste du monde que de donner à ces temps relativement si rapprochés de nous le nom de temps antéhistoriques? Pourquoi l'étude de ces temps relèverait-elle plutôt des naturalistes que des érudits? »

Cent dix pages plus loin, après ce qui concerne l'âge de la pierre, nous trouvons :

«Nous n'avons point donné de nom particulier à la période des temps primitifs de la Gaule, dont nous nous sommes occupé dans notre première partie. Nous ne connaissons point de textes anciens qui se rapportent à cette époque reculée. Les peuplades habitant alors l'ouest et le nord de l'Europe sont restées innommées. »>

Que peuvent faire les érudits devant ce manque de textes et même de noms? Il faut bien qualifier ces temps d'antéhistoriques, ou préhistoriques, puisque M. Bertrand avoue lui-même que « la première période histo

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