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taxée de fausseté par M. Prosper Mérimée, choqué du non-sens des mots arenæ ædificatæ de la version de M. Allou.

Personne ne porte plus de respect que nous à M. Prosper Mérimée, et n'admire davantage son esprit et son savoir; mais nous sommes persuadé aussi qu'il ne repousse pas une discussion consciencieuse, et qu'il ne désapprouvera pas les objections qu'on pourra lui faire. Nous nous permettrons donc de demander comment Beaumesnil, qui avait soixante ans lorsqu'il vint à Limoges, où il resta peu de temps, après avoir mené une vie nomade, se serait épris tout-àcoup d'un amour désordonné pour Limoges et le Limousin au point de se rendre faussaire et imposteur en fabriquant une inscription en faveur des arènes limousines? Quel intérêt avait-il à se rendre coupable de cette supercherie?

Beaumesnil était-il assez savant en archéologie, lui qui estropie les noms latins, qui écrit Sylvanus pour Silanus, Julius au lieu de Junius, Augustorum pour Augustoritum, et prend une monnaie franque mérovingienne avec des caractères latins pour une médaille gauloise à légende phénicienne, était-il assez savant pour composer une inscription latine? Car il faut une certaine connaissance de la numismatique et de la paléographie pour créer des médailles et des inscriptions fausses, comme on l'en accuse.

Beaumesnil, qui, par suite de son goût pour le dessin des monuments, parcourut la France et les pays étrangers, aurait eu de meilleures occasions de se livrer à sa fantaisie de créateur d'inscriptions.

Nous demanderons donc à M. Mérimée, et à vous, Messieurs, si, moyennant une meilleure lecture, et sans aucun changement notable dans son texte, cette inscription n'offrira pas les caractères de l'authenticité :

IMP. CAES. DIVO TIT. AEL. HADRIANO ANT.

DIVI TRAIANI PARTHICI MAX. FIL.

DIVI NERVAE NEPOTI AVG. PONT.

MAXIM. PP. TR. P. II. COS. I.
ARENAE LEMOV. AEDIF. LEG.
XX ET LEG. XIIII PER. P. M. II.
D. Do.

En développant l'abréviation ANT., sur laquelle MM. Duroux et Allou ont passé trop légèrement, nous joignons le nom d'Antoninus à son prénom Titus, qui ne fut jamais celui d'Hadrien, appelé Publius; en expliquant l'abréviation AEDIF. par le mot entier

ædificium, qui remplacera ædificatæ ou ædificatas, expressions si déplaisantes pour M. P. Mérimée; en interprétant aussi les sigles P. M. II., traduits jusqu'à présent par pedum mille duo ou duo millia pedum, traduction insoutenable; en l'interprétant, disons-nous, par per menses duos, ce que la science n'interdit pas, on pourra lire dans une version française l'inscription en ces termes : « L'empereur César» Auguste Titus-Ælius-Antonin, souverain pontife et père de la » patrie, a dédié au divin Hadrien (4), fils du divin Trajan, » Parthique et très-grand, petit-fils du divin Nerva, l'édifice de » l'arène de Limoges terminé par les légions XXe et XIIII dans » l'espace de deux mois, la première année de son consulat, la >> seconde de sa puissance tribunitienne » ce qui correspond à l'an 892 de Rome, 139 de Jésus-Christ. Ces deux légions, dont on sait les noms par d'autres sources, s'appelaient la Valeria Victrix, et la Martia ou Martiale, deux appellations familières au pays limousin.

On a voulu objecter que ces deux légions n'auraient pu, en si peu de temps, terminer ce grand travail. La réponse est facile: savonsnous à quel point d'achèvement Hadrien, qui régna 24 ans, le laissa à son fils adoptif et successeur? Rappelons-nous aussi que deux légions, fortes, à cette époque, de six mille six cents hommes chacune, pouvaient faire en deux mois bien de l'ouvrage. L'histoire nous aprend qu'Hadrien visita toutes les provinces de son vaste empire: les médailles en font foi; leurs légendes adventui et restitutori Galliæ, prouvent qu'il vint dans la Gaule. Nous avons vu qu'Antonin, gaulois d'origine, s'occupa tout particulièrement de fortifier et d'embellir les villes de son pays. Tout se réunit donc pour confirmer l'hypothèse qui attribue à ces deux empereurs la fondation et l'achèvement de l'amphithéâtre de Limoges.

Les mots ædificium arena ne plaisent pas à quelques personnes, qui n'en donnent pas la raison. Nous ne pouvons que leur indiquer les textes de Juvénal, d'Horace, de Martial, de Pline et de Florus, qui emploient le mot arena dans le sens d'amphithéâtre. Juvénal, en citant le monument de la ville d'Albe, l'appelle albana arena; Pline dit in arena mea. Les meilleurs dictionnaires anciens et nouveaux, depuis celui de Barbou de 1754, jusqu'à celui de MM. Quicherat et Daveluy, ainsi que leur Thesaurus poeticus latinus, s'accordent tous à donner arena comme synonyme d'amphitheatrum.

(4) Hadrien fut en effet déifié, et nous avons des médailles de sa consécration ou apothéose.

La date de l'amphithéâtre étant établie autant que les probabilités, après dix-sept siècles écoulés, peuvent permettre de le faire, nous passerons à la description de ce monument.

Un pieux et savant ecclésiastique, l'abbé Cluzeau, a conservé des dessins précieux, et fait, sur ce sujet, des recherches importantes; car c'est toujours par les clercs, comme on les appelait autrefois, que la science archéologique a été cultivée à Limoges avec le plus de zèle et d'intelligence. Aux noms des abbés Cluzeau, Nadaud et Legros, de dom Colomb, dom Duclou, dom Poncet, Vitrac, Devoyon, Masbaret, etc., nous pourrions joindre avec honneur ceux d'autres savants ecclésiastiques s'ils ne siégeaient tous les jours parmi vous. Les anciennes arènes de Limoges étaient construites, suivant la coutume romaine citée par Tacite, livre XXIII, hors de l'enceinte de la ville, à l'occident de la citadelle ou acropole, sur une éminence; les pierres de granit dont elles étaient bâties auraient été tirées, écrit l'abbé Cluzeau, de carrières situées entre Mortemart et les montagnes de Blond. Ce laborieux érudit compara les matériaux des démolitions faites par M. d Orsay avec les pierres qu'il reconnut aux lieux cités; il constata même qu'une route fut pratiquée exprès pour les transporter à Limoges.

Les fondements de l'amphithéâtre reposaient sur le tuf. Les murs en étaient bâtis en moellon et par assises dont les pierres ou cubes reposaient sur des couches de mortier. Nous avons pu voir nousmême, lors de l'ouverture de la rue de l'Amphithéâtre, le filet de mortier, légèrement saillant à l'extérieur, qui formait des lignes verticales et horizontales, soit que ce fût l'effet du temps, soit que les architectes romains l'aient ainsi voulu.

Le dessin de l'abbé Cluzeau donne à ce monument quatre étages en y comprenant le rez-de-chaussée. On a prétendu que des colonnes de serpentine de La Roche-l'Abeille décoraient l'extérieur des galeries: il n'a été trouvé que trop peu de fragments de cette sorte de marbre dans ces ruines pour pouvoir l'affirmer; peut-être aussi que ces colonnes, étant plus précieuses aux yeux des premiers démolisseurs, furent enlevées les premières, et employées dans d'autres constructions.

Tous les ordres d'architecture contribuaient à la décoration des 64 arcades ou arceaux supportés par 64 colonnes de cet édifice, où vingt-cinq mille spectateurs pouvaient être commodément assis, en calculant d'après les dimensions connues et le nombre des places d'anciens amphithéâtres également connu.

On n'a trouvé aucune trace de réservoirs d'eau qui en appro

chassent assez pour convertir au besoin l'arène en naumachie, oa pour alimenter le fossé dit euripe.

La porte libitinensis ou de mort devait être placée devant le chantier actuel de M. Chyboys, entrepreneur. La grande quantité d'ossements d'animaux qu'on y a trouvés, et le tombeau en forme de pomme de pin d'Ixter ou Ixtrus, présumé, d'après son nom, avoir été un gladiateur thrace, fortifient cette supposition. M. Chyboys croit son terrain riche encore d'antiquités dans les parties non fouillées. Comme tout fait supposer que la porte libitine devait être par le derrière du monument, la façade et la porte d'entrée devaient être au sud-est près de la maison du général Mourier: un dessin des ruines déblayées en 1830 nous donne une idée des constructions de ce côté. C'était non loin de là que s'élevait l'église de Notre-Dame des Arènes.

Le plan géométrique lithographié par M. Tripon pour son Historique monumental n'offre pas les dimensions exactes de notre amphithéâtre. Son grand diamètre était de 138 mètres 20 centimètres; le petit, de 116 mètres 40 centimètres. La circonférence, mesurée suivant le parement extérieur du mur, présente une étendue de 398 mètres 60 centimètres.

Nous n'indiquons que comme chiffre approximatif les 260 mètres 60 centimètres de périmètre, dont le grand axe serait de 94 mètres, et le petit, de 74 M. Tripon les a fournis : ils seraient susceptibles de modification si l'on pouvait jamais reconnaître par des fouilles nouvelles les constructions formant l'ellipse intérieure de l'arène proprement dite.

Nous croyons avoir atteint l'exacte vérité en fixant à 64 le nombre des colonnes qui soutenaient les arcades ou portiques de la façade, qu'on avait porté jusqu'à 76. Deux plans manuscrits de l'abbé Cluzeau indiquent, l'un 68, et l'autre 72 colonnes. Le docte abbé, qui a donné le plus d'explications sur ce monument, n'a jamais positivement établi le nombre des colonnes: l'amphithéâtre de Nimes n'en comptait que 60, et contenait 17 à 20,000 spectateurs.

Ces arènes, qui donnèrent leur nom à un faubourg, à une place, à un cimetière, à une église de Limoges et à un hôpital, subsistèrent entières jusqu'au règne de Louis I, fils de Charlemagne : elles avaient probablement été réparées au ve siècle, sous Honorius, dont on trouva 36 quinaires d'argent, au revers Gloria Romanorum, au milieu du Creux des Arènes, lorsqu'on en arracha les vieux arbres pour y planter les tilleuls actuels. Un denier d'or de ce mème empereur a été découvert, dans les fondations de St-Martial, parmi des matériaux

provenant de ces arènes; une grande partie des quinaires d'argent ont été déposés au médaillier de votre musée.

Louis-le-Pieux ou le Débonnaire, roi d'Aquitaine, puis de France, et empereur d'Occident, permit, en 801, aux moines de St-Martial d'enlever les pierres de l'antique édifice pour bâtir leur basilique (St-Sauveur), ce qui commença sa ruine; il en restait des traces assez considérables en 1568, époque où on les rasa à fleur de terre pour en enlever les matériaux; il resta néanmoins, du côté du Reclusage, un pan de muraille de la hauteur d'une pique. Ces vestiges s'appelaient alors Saints-Vieix-Miars, et l'on y voyait des fosses et cavernes, sans doute les carceres ou loges qui avaient servi à renfermer les bêtes destinées aux jeux. Dans la direction du cimetière des Arènes aux Carmes, « deux loges bâties à chaux et à ciment » aussi dur qu'un rocher conservaient encore les traces de crochets » et anneaux de fer ».

Le père Cellerier, des Feuillants de Limoges, avait communiqué à Beaumesnil des dessins précieux et curieux dont il avait fait des copies. L'un de ces dessins, d'environ 27 centimètres de longueur, représentait ce qui restait de l'amphithéâtre en 1594: il était exécuté à la plume avec une encre roussâtre, et lavé grossièrement au bistre; on y voyait quelques piliers en ruine couverts de gazon, et disposés sur une couche ovale, avec ces mots, écrits par derrière: Vestige de notre arène en mil cinq cent nonante et un. Il est fâcheux que ce dessin ne soit pas orienté par rapport à la ville.

Un autre dessin porte la date de 1593, avec ces mots au verso : Les arènes de notre ville de Lymoges, creusées au milieu pour y tenir plus à plein le marché du bétail : fait par moy, 1593.

Par une singularité qui ne peut s'expliquer que par une erreur de date, ce dessin, postérieur à l'autre de deux ans, représente les piles des arceaux et les trois étages des galeries qui n'étaient point apparentes sur le premier.

Le P. de St-Amable dit que de son temps la pluie qui tombait dans le Creux des Arènes ne laissait aucune trace, ce qui faisait supposer l'existence en dessous de profonds souterrains conduisant au pont de La Roche-au-Goth; il donne dans ses Annales (T. I, p. 20) un dessin très-grossier de ce qui restait de l'amphithéâtre en 1660. La planche de cuivre gravée s'est retrouvée. Beaumesnil reproduisit le même dessin sur une échelle plus grande en le datant de l'an 1713. L'an 1665, les trésoriers des maréchaux de France de la généralité de Limoges, faisant paver le chemin de Montmallier au-dessous du cimetière des Arènes, firent arracher avec beaucoup de peine les

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