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RAPPORT

SUR L'ACCROISSEment du musée D'ANTIQUITÉS D'AMIENS, DEPUIS LE 25 JUILLET 1842, JUSQU'AU 2 JUILLET 1843.

Lu dans la séance générale du 2 juillet 1843,

Par M. Ch. DUFOUR, Membre résidant.

MESSIEURS,

Vous n'auriez rempli qu'une partie des devoirs que vous imposent vos statuts, si, pendant l'année qui vient de s'écouler, vous vous étiez seulement occupés de décrire les monuments historiques de l'ancienne province de Picardie ou de faire luire le flambeau de la critique sur quelque point obscur de ses annales. Notre institution a été conçue dans un but plus large et plus libéral, et, après ces travaux que j'appellerai intellectuels, il vous restait à remplir une autre tâche non moins utile, celle de recueillir ces précieux vestiges des temps reculés qui, sous le rapport de l'art ou de l'histoire, méritaient d'être religieusement conservés, et qui, suivant la pensée d'une femme dont les ouvrages ont jeté le plus vif éclat sur la littérature moderne, font vivre le passé sous la poussière qui les a ensevelis (1). (1) Mme de Stael. Corinne, pag. 87, édition Charpentier.

Après le compte rendu que vient de vous présenter M. le secrétaire perpétuel sur les travaux de l'année, je dois donc appeler votre attention sur les principaux objets entrés, depuis notre dernière séance générale, dans le Musée d'antiquités, que vous avez fondé à

Amiens.

-A l'époque où les Galls ignoraient encore l'art de travailler les métaux, ils étaient réduits à se créer des moyens d'attaque et de défense avec les corps durs qu'ils trouvaient sous la main; c'est ainsi que le besoin les amena à se forger avec le silex des cassetêtes, des couteaux et des pointes de flèche (1) de la nature de celle que nous a dernièrement offerte M. Houbigant, maire de Nogent-les-Vierges et dont notre musée ne possédait encore aucun échantillon.

-

Au mois de mai dernier, un ouvrier occupé à extraire de la tourbe dans la propriété de MM. Mancel frères, au Plainseau, sentit quelque résistance dans un terrain spongieux qui, ordinairement, livre à son lou chet un passage facile. Après bien des efforts, il parvint à l'enfoncer et grande fut sa surprise lorsqu'il ramena à la surface du sol, non point cette terre bitumineuse qui fait la richesse de notre vallée, mais des lingots de bronze, des haches, des épées courtes, des flèches, des bracelets, des anneaux et une foule d'objets de même métal. On comprend, pour l'histoire locale, toute l'importance d'une semblable découverte ; car ce dépôt nous révèle qu'avant la fabrique de boucliers établie par Jules-César dans Samarobrive i existait déjà dans cette cité un atelier pour la fa

(1) Voir l'histoire des Gaulois, par M. Amédée Thierry, tom 1er, page 3, 2e édition.

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brication des armes. Aucune autre conjecture ne saurait être formée sur cet enfouissement, puisque le bronze s'est présenté à nos yeux dans ces différentes conditions à l'état de lingot, à l'état de bavure, à l'état de rebut et à l'état de perfection. D'ailleurs la plupart de ces objets étaient encore revêtus d'une couche de limaille qui ne pouvait provenir que de la fusion, et qui atteste que sortis du moule, l'ouvrier n'avait pas eu le temps de les travailler de nouveau.

Les détails dans lesquels il me faudrait entrer pour rechercher l'époque précise de la fabrication de ces armes excéderaient les bornes du rapport que j'ai à vous présenter; et comme en archéologie, j'en conviens tout le premier, les digressions ne peuvent être qu'arides, je me bornerai dès à présent à émettre l'opinion que je me propose de démontrer un jour que ces armes sont, quant à leur forme seulement, antérieures à l'invasion romaine dans la seconde Belgique. Après avoir signalé l'importance de cet enfouissement, je dois remercier MM. Mancel de l'empressement qu'ils ont mis à déposer dans notre collection un échantillon de cha cune des espèces d'armes recueillies, et de nous avoir rendu facile auprès des ouvriers l'acquisition du surplus de cette découverte, qui fera époque dans les annales de notre musée.

- Une autre découverte, qui n'est pas non plus sans importance, a été faite au mois de février dernier dans l'enclos des dames du Bon-Pasteur au Blamont. Les terrassements que l'on Υ exécutait ont mis au jour deux sarcophages de plomb, renfermant l'un, le squelette d'un enfant qui, d'après les observations de MM. Rigollot et Andrieu, n'avait pas dépassé sa quinzième

année; l'autre, celui d'une femme, sans doute sa mère, que la mort, après une séparation cruelle, aura rapprochée pour jamais de l'objet de sa tendresse.

Le couvercle du premier, dont la longueur ne dépasse pas 130 centimètres, est décoré d'une double bordure en grains d'orge au milieu de laquelle on remarque en relief, trois X (chi) séparés l'un de l'autre par des traits verticaux. Le couvercle du deuxième sarcophage, long de deux mètres, diffère du premier, seulement en ce que la lettre grecque n'est figurée qu'aux 3/4, le trait supérieur de droite paraissant n'avoir jamais été tracé mais malgré cette lacune, il n'est point douteux que sur ce monument aussi, on n'ait voulu marquer l'initiale du mot xpires; sans doute une main peu habile aura mal combiné les espaces à observer entre le caractère grec et les traits verticaux dont il est effectivement trop rapproché.

Les premiers chrétiens au III. et IV. siècle de notre ère étaient dans l'usage de décorer leurs tombeaux de signes conventionnels dont le sens mystérieux n'était connu que des adeptes de la foi nouvelle. A cette époque, le paganisme bien qu'expirant avait encore ses croyants, et leur esprit de persécution obligeait les néophytes à désigner les monuments de leur culte par des symboles consacrés. Les plus universellement adoptés, ceux que l'on rencontre le plus fréquemment dans les catacombes de Rome, cette nécropole du christianisme, étaient l'A et l', le principium et finis de l'Ecriture-Sainte et le monogramme du Christ.

C'est ce dernier qui est représenté sur les sarcophages que nous essayons de décrire, et auprès desquels ont

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