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Dunning
Nijhoff

3-15-27
13603

DISCOURS

PRONONCÉ PAR M. A. BOUTHORS, PRÉSIDENT DE

LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE PICARDIE,
LA SÉANCE PUBLIQUE DU 2 JUILLET 1843.

DANS

MESSIEURS,

Dans une ville livrée presque tout entière aux opérations du commerce et absorbée par les préoccupations de la vie positive, l'existence d'une société vouée exclusivement à l'étude du passé et au culte des vieux souvenirs a quelque chose d'étrange et qui semble ne pouvoir s'expliquer. Tous ceux qui n'estiment le travail de l'intelligence comme le travail des bras qu'à raison des bénéfices qu'il procure, se demandent comment des hommes sérieux et réfléchis peuvent ainsi se passionner pour des ruines et dépenser, en stériles méditations, des loisirs qu'ils pour

raient mieux employer. D'autres, sans nous accuser de faire un mauvais emploi du temps, nous reprochent comme un détournement fait au préjudice d'objets plus utiles, les encouragements que la ville et le département nous accordent.

Avons-nous donc si peu de confiance en nous-mêmes que nous n'osions faire le public juge de l'utilité de nos travaux? j'ai pris à tâche et j'ai à cœur de démontrer que la Société des Antiquaires de Picardie n'est point une institution anormale dans la ville qu'elle a choisie pour siége de son établissement, et que les hommes qui l'ont fondée ont fait une œuvre dont l'importance sera de plus en plus appréciée par leurs concitoyens.

La cité moderne, dans les travaux d'agrandissement et de rénovation qu'elle accomplit sous nos yeux, découvre chaque jour de précieux vestiges de la cité d'autrefois. Les uns en attestent la splendeur sous la domination romaine, les autres témoignent de la puissance de ses évêques ou de l'état des citoyens avant l'érection de la commune. Tous ces débris serviront un jour à renouer la chaîne des temps et à marquer, de siècle en siècle, soit le progrès ou la décadence des arts que nos ancêtres ont cultivés, soit la transformation des lois et des coutumes qui les ont régis, soit la succession des jours heureux ou néfastes qui ont passé sur la cité antique et sur la ville du moyenâge.

Les lois, les mœurs et les arts se résument dans les monuments. Quiconque en veut approfondir l'histoire ne doit pas seulement s'en rapporter au témoignage des livres il trouvera plus de vérité et moins

de contradiction dans les bas-reliefs de nos vieilles

églises.

Il en est une, Messieurs, merveille de l'art ogival, qui s'élève au milieu de la cité moderne comme une éclatante manifestation de la pensée intime de la cité du x siècle. Tous ces groupes de personnages si divers qui festonnent les trois porches de la cathédrale d'Amiens, ne sont pas seulement une révélation des croyances religieuses, ils sont aussi l'expression des mœurs et des usages de ce siècle.

En veut-on la preuve? le tympan de l'entrée principale représente la grande scène du jugement dernier. Pourquoi cela? hâtons nous de le dire, un pareil sujet placé sur le seuil de la maison du seigneur avait une plus haute portée qu'on ne le pense. Au x1o siècle au xiio et au xш encore, la justice se rendait, le plus souvent, en plein air devant le portail des églises. Delà l'usage d'environner le siége du juge de sujets et d'emblèmes qui lui rappelaient l'étendue de ses devoirs, et de placer, au-dessus de sa tête, le souverain rémunérateur du bien et du mal, le dispensateur des peines et des récom~ penses de l'autre vie.

Pour bien comprendre la signification mystique de l'ornementation des temples chrétiens, il faut l'envisager sous un triple point de vue. L'agiographe doit tâcher d'en deviner la pensée religieuse, le dessinateur d'en bien saisir le caractère artistique, et l'archéologue d'en donner la description iconographique..

Si je ne craignais d'alarmer la modestie de ses auteurs, je vous parlerais ici du rapport que la Société vient d'adresser tout récemment à M. le préfet de la Somme, sur le projet de restauration des sculptures du

portail de la vierge dorée. J'en appelle au souvenir de ceux d'entre vous qui ont entendu la lecture de ce rapport, en est-il un seul qui ne soit convaincu de la justesse des observations qu'il renferme, et qui ne donne, dès à présent, l'approbation la plus formelle aux conclusions qui le résument. C'est qu'en effet, quand il s'agit de restituer à un monument religieux son caractère et sa physionomie primitive, le statuaire et l'archéologue restent frappés d'impuissance, si le prêtre et l'agiographe ne viennent à leur secours. Vous devez Messieurs, à la réunion de ces divers éléments d'appréciation, la mesure prise par M. le préfet de la Somine de n'autoriser la restauration des sculptures de la cathédrale d'Amiens, que sous la surveillance et d'après les indications de la Société. Ce fonctionnaire témoigne par là de sa haute confiance en vos lumières; prouvez lui donc, par l'efficacité de votre concours, que vous méritez les encouragements qu'il vous accorde.

Cette cathédrale si belle, si imposante dans son ensemble, si parfaite dans tous ses détails, donne une idée de la société contemporaine de sa construction. Jamais l'architecte qui l'a bâtie n'aurait pu réaliser la pensée de son œuvre, s'il n'avait eu pour auxiliaire de son gé nie le puissant levier des corporations. Les confrèries de maçons et de peintres lui ont prêté l'appui de leur coopération en fournissant, les unes les appareilleurs de pierres, les tailleurs d'images, les autres les coloristes, les enlumineurs de vitraux; les professions non mécaniques, celles qui n'étaient point appelées à mettre la main à son œuvre, en ont hâté l'accomplissement par leurs offrandes, et se sont imposé des sacrifices plus ou moins grands, selon l'intérêt plus ou moins vif qu'elles

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