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devant un autel orné de courtines ou nappes frangées, le prêtre du Très-Haut offre le pain et le vin. Dieu paraît au-dessus de l'autel, tenant en main le globe terrestre surmonté de la croix. Le petit pain qui est épais et de forme ronde, le vin renfermé dans un calice pareil à ceux qui servent au sacrifice de la messe, la tonsure cléricale du pontife, la mitre déposée à ses pieds, la forme chrétienne de l'autel, tout annonce une intention positive, de la part des artistes, de fixer la pensée sur le sacrifice eucharistique de la loi nouvelle, dont l'église et les pères enseignent unanimement que celui de Melchisedech est la figure (1). Au portail St.Honoré (2), Melchisedech n'est pas à l'autel. Debout sur son piédestal, à l'ombre d'un magnifique dais, il tient simplement sur sa main droite le pain, et sur sa gauche le calice; mais il est paré de tous les insignes du pontife de l'Eglise chrétienne: la mitre, la chasuble, l'étole, la tunique et l'aube. Un même esprit a inspiré le latomier du XIII. siècle et le huchier du xvI. Voyez, au contraire, à la chapelle de Notre-Dame de Pitié, le basrelief en plomb doré, sculpté par Carpentier en 1758: plus d'autel, plus d'habits sacerdotaux, plus de calice; en revanche, du côté de Melchisedech, des corbeilles pleines de pain et d'énormes amphores de vin tenues par des suivants presque nus; du côté d'Abraham, tout l'appareil de la guerre y compris des chevaux impatients que contient avec peine un valet aux membres muscu

(1) Cs. S. Paul. Epist. ad Heb. c. VIII, et tous les Pères cités par Bellarmin lib. I de Missâ c. 8.

(2) V. le rapp. au Préf. de la Somme sur ce portail. Mém. de la Soc. des Ant. de Pic. tom. VI. p. 88.

leux. Assurément, le mouvement, la variété, le pittoresque, la vérité historique même peuvent se rencontrer dans l'œuvre moderne; mais la pensée réelle et capitale de la bible, nous ne la trouvons que dans l'œuvre ancienne.

Le sujet est complété, sur notre miséricorde, par la présence de Loth et d'Abraham. Un petit chien qui caresse l'un de ces deux assistants, et un arbre, remplissent le reste du tableau. Tous les personnages ont le vêtement long. Les manches fendues de Loth et l'escarcelle de Melchisedech sont à remarquer. Gen. XIV. 18.

3. APPARITION DE TROIS ANGES A ABRAHAM. Les trois

personnages de l'apparition que le texte biblique appelle des hommes, parce que sans doute ils en avaient pris la forme, étaient des anges selon St.-Paul (1). L'artiste les a vêtus de robes traînantes, et parés de longues ailes, d'une chevelure ondoyante et de toutes les graces de la jeunesse. Ils se pressent étroitement l'un contre l'autre, peut-être pour figurer par leur union l'unité de Dieu comme ils figurent par leur nombre, selon les Pères, la Trinité (2). Abraham, que nous reconnaîtrons toujours à son ample vêtement, à sa barbe fournie et longue et au chapeau à larges bords, est accouru au devant d'eux à l'entrée de sa tente qu'on voit dans le fond. L'arbre sous lequel il les invite à se reposer

(1) Epist. ad Heb. VIII. 2. XVI c. 29.

(2) Abraham tres vidit et Maxim. Arian. lib. II. n.

Cs. S. August. De civit. Dei, lib.

unum adoravit, dit St-Augustin, contr. 5, 6, 7.

n'a pas

un fils. C'est Gen.

été oublié. L'un des trois anges vient annoncer à Abraham que Sara sa femme aura par là que cette scène se rattache aux suivantes. XVIII. 2. 3. 10.

4. PROMESSES DE DIEU A ABRAHAM. Dieu couronné du nimbe et vêtu d'une longue robe flottante sans ceinture montre à Abraham, qu'il a fait sortir de sa tente, le firmament parsemé d'étoiles, et lui dit : Regarde et compte les étoiles, si tu peux. Il en sera ainsi de ta postérité. Abraham écoute à genoux la prophétie. La présence de Damascus, fils d'Eliézer son serviteur, rappelle la plainte du patriarche : Je mourrai donc sans enfants !... et le fils de mon serviteur sera mon héritier! Gen. XV. 2. 3. 5.

Dans un vitrail de l'église St.-Patrice de Rouen, où nous avons rencontré le même sujet, la figure du CHRIST en croix se détache sur le ciel étoilé et précise le sens de la révélation faite à Abraham. D'après les Pères et l'Evangile lui-même (1), ce patriarche eut en effet le bonheur de reconnaître l'homme-Dieu parmi ses descendants, et de voir succéder à sa nombreuse postérité selon la chair une génération plus nombreuse d'enfants spirituels dont JÉSUS-CHRIST est le premier né.

5. ABRAHAM PART POUR LE SACRIFICE. Il marche en avant de l'âne qui porte le bois de l'holocauste divisé en deux faisceaux ou fagots pendants sur des cordes

(1) Abraham pater vester exultavit ut videret diem meum; vidit et gavisus est. Joann. VIII. 58. Cs. Cornel. à lapide, in Gen. XV. 5.

de chaque côté des flancs. Isaac son fils et les deux serviteurs qu'il a pris avec lui suivent derrière. Jeune homme de vingt-cinq ans, comme le disent la plupart des docteurs, Isaac est coiffé d'une toque de forme distinguée et vêtu d'une longue robe fendue sur le devant en forme de manteau. Outre l'habit long que nous lui avons vu, Abraham a la chape de voyage ou pluvial attachée sur la poitrine par un riche fermoir. Gen. XXII. 3.

6. ISAAC ALLANT AU SACRIFICE. Abraham marche le premier, portant le glaive à la ceinture et non à la main, comme le dit la lettre du texte. Appuyé sur son bâton de la main gauche, il tient de la droite une torche enflammée. Isaac, qu'il vient de charger du bois pour l'holocauste, le regarde et dit : « Mon père, voici le feu et le bois; où est donc la victime? Abraham répond: Mon fils, Dieu saura trouver la victime. Gen. XXII. 7. 8.

L'âne est

7. LES DEUX SERVITEURS RESTÉS A L'ÉCART. déchargé du fardeau. Un des serviteurs indique du doigt la scène qui se passe sur la montagne qu'on découvre au loin. Ils paraissent ne pas comprendre comment Abraham, qui se dispose à frapper son fils, a pu leur dire: Nous reviendrons bientôt. Gen. XXII. 5.

8. ISAAC SUR LE BUCHER. Abraham a élevé un autel et dressé le bûcher. Isaac est à genoux sur le bois, les mains jointes, les yeux voilés d'un bandeau, offrant à Dieu de bon cœur le sacrifice de sa vie Abraham le tient à la tête de la main gauche, et lève le glaive

de la main droite pour le frapper. Un ange descendant des nues saisit le glaive, et lui crie: N'étends pas la main sur l'enfant et ne lui fais aucun mal. Le patriarche se détourne pour l'écouter et aperçoit en même temps un bélier embarassé par ses cornes dans un buisson. Gen. XXII. 9.-12.

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9. ABRAHAM IMMOLANT LE BÉLIER. Le bélier est substitué à Isaac sur l'autel chargé de bois. Abraham l'offrant en holocauste au lieu de son fils va le frapper. Celui-ci à genoux derrière le Patriarche remercie le Seigneur du miracle par lequel il échappe à la mort. Peutétre aussi, dans la pensée de l'artiste, adore-t-il la victime sainte dont le bélier est la figure. Le bélier est suspendu aux broussailles comme Jésus-Christ à la croix et immolé en la place d'Isaac comme Jésus-Christ en la nôtre, disent tous les Pères (1). Gen. XXII. 13.

De toutes les figures de Jésus-Christ dans l'ancienne loi, il n'en est presque pas que les Pères, l'Eglise et l'iconographie du moyen-âge aient trouvée plus explicite et plus proche de la réalité, et qu'ils aient reproduite plus souvent et avec plus de complaisance que le sacrifice d'Abraham. Depuis le portail de Berthaucourt (Picardie) du x1.° siècle, jusqu'aux stalles du xvI., nous retrouvons plus ou moins détaillé ce fait saillant et sublime de l'histoire sacrée des premiers âges; et dans toutes les circonstances par lesquelles on l'a complété selon les lieux et les époques, c'est toujours Jésus-Christ qu'on y a vu avec le mystère de l'immolation volontaire

(1) S. Aug de Civit. Dei lib. XVI. c. 32. S. Ambros. de Abrah. lib. 1. cap. 8. n.° 77.

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