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Le 5 novembre de la même année, Arnoul Boulin partit pour Beauvais et St.-Riquier afin d'y voir le chaires de ces églises.

Deux ans après, au mois de juillet 1511, Alexandre Huet s'unit à Arnoul Boulin pour aller étudier à Rouen les chaires de la cathédrale, comme on l'avait fait à Beauvais et à St.-Riquier.

La modestie et une honorable défiance d'eux-mêmes, autant que leur noble ambition, inspiraient à nos artistes ces laborieuses démarches. Ils se promettaient bien dé mieux faire que leurs maîtres, mais c'était en les prenant pour guides et en venant humblement s'instruire à leur école, et recueillir les fruits de leur expérience et de leur génie; semblables en cela à tous nos artistes du moyen-âge, architectes, maçons, peintres et sculpteurs des cathédrales qu'on avait toujours vus tendre au progrès par l'étude et l'estime du passé, et créer des œuvres d'une individualité propre, quoique appartenant par de nombreux caractères à une commune famille. Les anciennes stalles de St.-Riquier et de Beauvais n'existant plus aujourd'hui, nous ne saurions dire ce que les nôtres ont emprunté de ces sœurs ainées. Ce qui reste de la boiserie de Rouen nous permettra plus tard la comparaison de quelques sujets identiques à ceux qu'on trouve à Amiens.

Dans l'intervalle des deux importantes missions dont nous venons de parler, le Chapitre voulut avoir l'avis de deux religieux Cordeliers d'Abbeville, experts et renommés dans l'art de travailler le bois. Il les fit venir à Amiens au mois d'octobre 1510 et leur paya pour la consultation, y compris le voyage, vingt sols (1).

(1) Decourt, Mémoires chronologiques, etc., etc. D. Grenier,

C'est postérieurement à cette époque, c'est-à-dire au mois de décembre 1516, que l'on voit paraître dans les comptes du Chapitre le nom de JEHAN TRUPIN, simple ouvrier travaillant sous les maîtres, aux gages de trois sols par jour, et non pas, comme on l'a dit (1), directeur ou entrepreneur principal des travaux. Le nom de TRUPIN est le seul dont la boiserie se soit elle-même chargée de garder le souvenir. On le trouve inscrit sur une banderolle roulée au-dessous du museau de la 86. stalle, la dernière stalle-haute du côté gauche vers le Sanctuaire. Un peu plus bas, l'accoudoir du même siége représente un élégant ouvrier occupé à entailler une image. (pl. xv, n. 3.) Le rapprochement de cette figure et de ce nom qui n'est certainement pas sans dessein, autorise à conclure que Jean Trupin n'appartenait pas à la classe des simples huchiers ou bahutiers, mais à celle des tailleurs d'imaiges ou sculpteurs. Nous avons rencontré une seconde fois le nom de Jehan Trupin de ce même côté gauche des Stalles, qui est la por

Notes sur Clermont en Beauvoisis. Selon ce dernier auteur, les deux religieux étaient de simples frères convers. Decourt leur donne au contraire le nom de pères, et rien n'empêche qu'on ne suive son avis. Le religieux, pas plus que le chanoine, ne croyait déroger en aucune manière à la dignité de son état, en se rendant habile dans une profession mécanique dont l'exercice était profitable à la gloire de Dieu et aux intérêts de sa communauté. Dans le cours du x1. siècle, on voit un évêque d'Auxerre réserver plusieurs prébendes de son église en faveur des ecclésiastiques qui sauraient des métiers, l'une pour un habile orfèvre, l'autre pour un savant peintre, la troisième pour un vitrier adroit et intelligent. Les chanoines en firent à l'évêque leurs remercîments. (Lebœuf, hist. ecclés. d'Auxerre, tom. 1, p. 246.)

(1) Rivoire, Descript. de la cath. p. 182. M. Gilbert, id. p. 292. M. H. Dusével, Notice sur la cathéd. 2. édit. p. 86.

tion de l'œuvre échue à Arnoul Boulin sous l'autorité duquel il travaillait sans doute; mais cette fois le nom du savant ouvrier est accompagné d'un souhait que la postérité répète de bon cœur; sous l'appui qui sépare la 91. stalle de la 92., on lit:

JAN TRUPIN DIEU TE POURVOJE.

Aucun autre nom, parmi ceux des nombreux ouvriers employés par les deux maîtres, n'est venu jusqu'à nous (1). Les comptes des recettes et des dépenses de l'œuvre qui existaient autrefois parmi les titres du Chapitre, ne se trouvent plus au dépôt des Archives départementales qui a dû les recueillir avec les autres pièces. Leur perte infiniment regrettable nous prive d'une foule de renseignements curieux sur le nom, la qualité, la patrie du plus grand nombre des artistes, et nous empêche de suivre les phases diverses et probablement fort intéressantes de l'histoire d'une œuvre qui n'embrasse pas moins de douze à quatorze ans.

Dom Grenier, Decourt et le P. Daire s'accordent à

(1) Derrière le lambris des Stalles, sur la pierre du mur de clôture, nous avons lu le nom de Vincent JACOB; l'absence de toute qualification ne permet pas d'affirmer que ce soit celui d'un ouvrier. - Nous voyons en 1530, un François DUPRÉ, menuisier, élever une chapelle de bois ou catafalque pour y placer le corps d'Adrien de Hénencourt. Le compte d'exécution du testament de l'illustre doyen, porte: « Item, le douzième dudit mois baillé a François » Dupré pour la chappelle de bois faite au cœur de l'église au-dessus » du corps dudit deffunct, aussi pour avoir mis les tables et bangs >> au palais et autres ouvrages par lui fait, payé comme appert par quictance, VII liv. 16 s. (Archiv. départ., titres du ch. arm. 1.TM liasse 44, n.o 17.) Si François DUPRE n'est pas du nombre de ceux qui ont travaillé aux stalles, il en est assurément l'élève.

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fixer au 10 février 1519 l'achèvement des travaux. Le Ms. des Chapitres généraux en recule le terme jusqu'à la St.-Jean 1522. D'un autre côté, les colonnettes qui font partie de la balustrade servant de clôture aux stalles du côté du Sanctuaire (pl. I. D et H.) portent, chacune sur un cartouche, la date de 1521. En présence de ces témoignages contradictoires considération que les Chapitres généraux ne font pas toujours preuve d'une grande exactitude, et que les balustrades où se trouve le millésime 1521 semblent n'avoir été ajustées qu'après coup à la tête des stalles, nous avait fortement inclinés à nous en tenir à l'assertion du P. Daire et des autres; lorsque la découverte d'une inscription postérieure à 1519, sur le mur de clôture du côté où s'appuient les lambris des hautsdossiers, nous a paru trancher la question en faveur de l'opinion contraire. A la hauteur d'un peu plus d'un mètre, au lieu qui correspond au bas-dossier de la 69. stalle, nous avons lu cette phrase malheureusement demeurée incomplète : L'AN MYLLE V. ET XXI LE DEUX. JOUR DE MAY FUT FRAPPE LE........ Gravée comme avec la pointe d'un outil, sur deux pierres contigues, elle est parfaitement lisible à l'exception du dernier mot. Or, est-il possible que cette inscription soit antérieure à la date qu'elle indique ou qu'elle n'ait été tracée sur le mur qu'après son revêtissement par le lambris des stalles? Nous ne le croyons pas. Le verbe fut, qui exprime un passé, ne permet pas la première supposition. La seconde ne serait vraisemblable qu'en admettant qu'en 1521 un intrépide curieux se serait glissé, comme nous, entre le mur et la boiserie et aurait laissé, dans l'inscription, le souvenir de sa périlleuse

traversée; mais qui ne voit toute l'invraisemblance d'une telle hypothèse? En 1521 qu'avait-on à voir derrière les stalles, lorsqu'à deux ans de distance on avait tout vu? La date de l'an mylle V. XXI, deux. jour de may, est donc antérieure à la pose des Stalles: elle existait non seulement à l'époque où furent établis les hauts-dossiers; mais elle a précédé la mise en place des siéges eux-mêmes, puisqu'elle atteint à peine la hauteur de leurs bas-dossiers. Il suit de là que nos Stalles n'ont pas été achevées, comme on l'a dit, le 10 février

1519.

Si cependant l'on tenait à concilier le témoignage de nos historiens avec l'opinion que nous venons d'établir, peut-être le pourrait-on faire en supposant que les Stalles furent en effet achevées le 10 février 1519, mais que pour des motifs dont nos annales n'ont pas gardé le souvenir, elles n'auraient été complètement mises en place dans le chœur de l'église que postérieurement au 2 mai 1521. Ce qui se passa à Rouen, où les chaires ne furent terminées qu'en 1469, quoique les mâçons aient commencé à les asseoir le 8 avril 1467, autorise cette conjecture.

Pierre Vuaille et Robert Lenglez, notaires du Chapitre, avaient été chargés de faire la recette et la dépense des deniers; l'œuvre achevée, ils présentèrent leurs comptes au Chapitre qui nomma pour les entendre quatre de ses membres, Antoine de Rocourt, seigneur de Boutillerie, licencié-ès-lois et en decret, le même qui fut maitre du Puy en 1511, Jean Fabry, Jean Faverin, dont le P. Daire nous a conservé la curieuse épitaphe (1) et Baudouin de Lagrenée. Le doyen du

(1) Hist. littér. de la ville d'Amiens,

pag. 532.

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