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Pour atteindre sûrement son but, le Chapitre n'eut pas à rechercher au dehors les hommes dignes de sa confiance; l'habileté éprouvée des huchiers et des tailleurs d'imaiges amiénois lui parut offrir, sous le double rapport de la menuiserie et de la sculpture, toutes les garanties d'un bon et consciencieux travail. ARNOUL BOULIN, maître menuisier d'AMIENS, sollicita l'entreprise et l'obtint. Un devis fut dressé et un traité passé avec lui pour la construction de CENT VINGT STALLES dont les miséricordes, accoudoirs, panneaux, hauts-dossiers, dais, pendentifs et pyramides seraient richement historiés de sculptures. Il fut convenu que le principal entrepreneur gagnerait par jour sept sols tournois, y compris son garçon apprenti, et pour la conduite entière de l'ouvrage, douze écus par an, à vingt-quatre sols par écu. Le salaire des simples ouvriers ne devait être que de trois sols par jour. « Quant aux sculptures >> et histoires des sellettes, dit un Ms. de la Bibliothèque d'Amiens, le marché en fut fait à part avec >> Antoine AVERNIER, tailleur d'images, demeurant à » Amiens, moyennant trente-deux sols la pièce (1). »

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Le choix de la matière n'importait pas moins que celui des ouvriers. Rien ne fut négligé pour obtenir les plus belles qualités de bois. Le chêne et le chataignier furent tirés à grands frais de la belle forêt de Neuville-en-Hez, près Clermont-en-Beauvoisis (2). On assure

(1) Chapitres généraux de la cathédrale.

(2) La plus grande partie des bois qui ont servi à faire les Stales de l'église d'Amiens, proviennent de la forêt de Hez, dit D. Grenier dans sa notice manuscrite sur Clermont. -« Cette forêt >> produit quantité de chênes dont le bois est extrêmement beau et >> très-propre à la construction des bâtiments. On en a fait usage

même que l'on fit venir par St.-Valery et Abbeville le chêne de la Hollande, dont on s'est spécialement servi pour les bas-reliefs (1). L'état d'heureuse conservation dans lequel se trouve, après plus de trois siècles, la boiserie toute entière, témoigne assez du soin qu'on apporta dans un choix qui n'intéressait pas moins la durée de l'œuvre que sa perfection.

Il était, au reste, difficile qu'aucune des précautions propres à assurer le succès de ce grand travail fût omise ou négligée le Chapitre avait commis, pour le diriger et le surveiller, QUATRE CHANOINES, qu'il ne choisit sans doute pas parmi les moins capables et les

» pour la charpente du château des Tuileries, d'après une ordon»nance de Charles IX (vre vol. des ordon. de Charles IX, côté 23, » p. 115.) adressée au maître particulier de cette forêt qui lui en» joint de faire marquer et de délivrer aux officiers de la reine Ca»>therine de Médicis, vingt arpents de bois de haute-futaie, propre à » bâtir.» ( Mémoire sur Clermont envoyé à D. Grenier, le 17 décembre 1767, par M. Le Moine, valet de chambre du roi, publié par M. de Cayrol, dans le tom. 1er des mém. de la Société des Antiq. de Picardie, p. 274.)

M. Rivoire et M. Gilbert, dans leur description de la cathédrale, disent que le bois de construction des Stalles, fut aussi tiré de Neuville-en-Hainaut; cette erreur a pris naissance dans le Ms. d'un Sr. Bernard (Bibl. d'Amiens n. 510) lequel donne le nom de Neuville-en-HAINAUT près de Clermont-en-BEAUVOISIS à la forêt de Neuville-en-Hez. MM. Rivoire et Gilbert n'accordant pas assez de confiance au Ms. de Bernard pour admettre avec lui que le Hainaut soit en Beauvoisis ont restitué à la forêt de Neuville-enHez l'honneur d'avoir fourni le bois de nos stalles; mais pour ne pas donner à leur devancier un démenti trop absolu, ils ont supposé dans le Hainaut un second Neuville dont la géographie ne parle pas.

(1) Ms. appart. à M. l'évêque d'Amiens. Rivoire, id. p. 182.

la cath. p. 290.

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M. Gilbert, descript. de

au

moins zélés. Cette mesure offrait la garantie la plus certaine, non seulement de la vigilance et des soins qui présideraient à l'exécution de la partie purement matérielle de l'entreprise, mais surtout de la science, du discernement et de la sagesse qui en régleraient la partie morale, déterminant le choix des scènes à sculpter, leur composition, leur ordonnance, leur emplacement plus convenable, initiant les travailleurs sens véritable et plus élevé de la Bible ou des légendes, et portant quelquefois le simple savoir-faire de l'ouvrier jusqu'à la hauteur du génie et de la pensée mystique de l'exégète et du théologien. Nous ne savons guères maintenant comprendre l'idée de l'intervention du prêtre dans l'exécution des œuvres d'art religieuses, parce que nous ne savons que trop facilement nous contenter de nos monotones églises d'aujourd'hui et de leurs ameublements non moins insignifiants qui ont chassé les hystoires de Jésus-Christ et des Saints au profit de l'or faux et du clinquant; mais vienne le jour où le coup-d'œil qui élève un mur d'aplomb, et le ciseau qui profile hardiment une corniche, ne suffisent plus à l'exigence de notre goût plus éclairé; que nous comprenions enfin la nécessité d'animer nos portails des mystères de la foi, de donner à nos autels une autre parure qu'une menteuse imitation de marbre, de ressusciter les merveilles de l'orfévrerie sacrée ou de la sculpture sur bois; en ce jour, qui n'est peut-être pas éloigné, à qui reviendra le droit et le devoir d'inspirer ces sublimes travaux, si ce n'est aux hommes que leur vocation et leurs études rendent les dépositaires et les interprètes naturels de la science de la religion et de Dieu ? (1)

(1) Ces réflexions étaient écrites lorsque nous

avons été heureux

A nos yeux, les conducteurs de l'œuvre des Stalles, méritent une bonne part dans les éloges décernés aux artistes qui les ont sculptées; c'est leur intelligence qui s'est répandue sur elles, et leur a soufflé la vie. Le nom de ces hommes apppartient à l'histoire. Inscrivons donc JEAN DUMAS, JEAN FABUS, PIERRE VUAILLE et JEAN LENGLACHÉ (1).

:

Au mois de juillet de l'année 1508, l'œuvre était préparée. Le troisième jour de ce mois, sous les auspices de la Sainte-Vierge dont la solennité de la Visitation

d'apprendre que nous nous étions rencontrés dans cette opinion avec le Comité historique des arts et monuments. Monsieur Didron secrétaire du comité, après avoir entretenu l'assemblée de plusieurs détails concernant les stalles d'Amiens et annoncé avec bienveillance le travail que nous terminions alors sur ce sujet, s'exprimait ainsi; « Il est à remarquer qu'une commission permanente d'ecclésiastiques » fut chargée de diriger le travail des sculpteurs, et que deux ec>> clésiastiques, versés dans l'iconographie religieuse, furent appelés » pour visiter l'ouvrage au moment où on le commençait. On de» vrait aujourd'hui prendre exemple sur ce qui se faisait, même » encore au XVI. siècle, et demander l'avis du clergé, lorsqu'on » exécute dans les églises une œuvre d'art quelconque, surtout des >> sculptures et des peintures où tant de questions d'archéologic, » de théologie et d'histoire peuvent se trouver facilement compro» mises. »

M. le baron Taylor a ajouté: « qu'en Espagne actuellement en» core, une œuvre d'art ne s'exécute pas pour une église, sans qu'une » commission ecclésiastique ne donne son avis au préalable et ne » surveille les travaux pendant toute leur durée. » (Bulletin archéolog. 11 vol. n.o 7.)

(1) L'œuvre de la magnifique table d'autel dont nous avons parlé, avait été également placée sous la conduite d'un chanoine. C'était le chanoine Pierre BURRY, précepteur des évêques Jean et Louis de Gaucourt, et poète fort habile. Les deux orfèvres furent Pierre Famel et Pierre DEDURY.

avait été célébrée la veille, François de HALLUIN étant évêque d'Amiens, et Adrien de HÉNENCOURT, doyen du Chapitre, les travaux commencèrent dans la grande salle de l'évêché, qui devait servir d'atelier pendant toute leur durée. Un ouvrier bien inspiré, sans peutêtre se douter que la postérité lui devrait quelque reconnaissance de ce soin, nous a transmis, gravée sur la boiserie elle-même, la date précieuse de l'ouverture des travaux. Entre la 89. et la 90. stalle, on fit de chaque côté de l'appui qui les sépare :

1508.

Envisagée de plus près, l'entreprise ne tarda pas à s'agrandir au-delà de tout ce qu'on avait pressenti. C'est dans la crainte qu'elle n'excédât les forces d'un seul maître d'ouvrage et pour hâter des travaux qui menaçaient d'ètre longs, que le 10 septembre 1509, ALEXANDRE HUET, menuisier d'Amiens, fut associé au premier entrepreneur, aux mêmes conditions que lui, tant par jour que par an (1).

Le travail fut aussitôt réparti entre les deux maîtres. Alexandre Huet dut s'occuper des chaires du côté droit de l'église, Arnoul Boulin de celles du côté gauche (2). Il en résulta une vive émulation qui tourna certainement au profit de l'œuvre.

(1) Decourt, Mémoires chronologiques pour servir à l'hist. d'Amiens, tom. I. p. 17. Ms. de la bibl. royale. M. Didron, sur notre demande, ayant eu l'extrême obligeance de faire extraire de ces mémoires le texte relatif aux Stalles d'Amiens, nous avons pu rectifier des erreurs avancées ou admises par plusieurs écrivains, et faire connaître quelques détails historiques ignorés jusqu'ici et qui ne sont pas sans intérêt.

(2) Chap. génér. de la cathéd.

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