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toutes les basiliques du monde son front splendide et radieux, ne fut pas celui où s'éteignit dans les âmes l'ardent enthousiasme qui l'avait enfantée à une existence si glorieuse. Pour avoir perdu quelque chose, beaucoup peut-être, et du génie qui conçoit les grandes entreprises, et du courage qui les accomplit, les deux siècles auxquels le XIII. céda la place n'en furent pas moins envers elle des siècles amis et dévoués, tuteurs vigilants de sa gloire acquise, non moins que bienfaiteurs jaloux de l'enrichir d'une magnificence nouvelle. En 1288, après 68 ans de travaux, NotreDame était debout; mais il manquait à son majestueux portail ses deux tours; aux pignons inachevés de ses façades latérales, leurs roses; à beaucoup de fenêtres, leurs étincelantes peintures; à plusieurs arcs-boutants ou contre-forts, leurs élégantes aiguilles pyramidales; aux collatéraux de la grande nef la double ligne parallèle de leurs chapelles: ce fut la tâche du xiv. siècle. Le xv. ne resta pas en arrière c'est alors que d'importants travaux de consolidation réparent ou préviennent des accidents de nature à menacer la sûreté de l'édifice, que les grandes orgues répandent pour la première fois leurs sévères harmonies dans l'immensité du temple, que la charité des fidèles et du clergé prodigue au maître-autel, point central autour duquel rayonnent toutes les gloires de la basilique, les plus somptueuses richesses, tandis qu'au même temps une partie de la clôture du chœur reçoit de la libéralité d'un chanoine ses mémorables sculptures, et que la munificence d'un pieux pontife élève en avant le Jubé, l'un des plus beaux du royaume.

Héritier de ces merveilles exécutées pour ainsi dire

sous le feu des guerres civiles et étrangères dont le nord de la France était alors le théâtre, le xvI. siècle ne répudia pas l'esprit de zèle que lui avaient légué ses devanciers. Quoique sur le point de repousser les idées dont les arts s'étaient inspirés pendant plus de cinq cents ans, et de développer au sein de la société le germe des plus funestes révolutions, il sut encore aimer un instant d'un amour pur notre cathédrale, et à l'exemple encore d'un âge déjà moins apprécié, ce fut par un chef-d'œuvre qu'il lui paya sa dette, saluant en quelque sorte d'un dernier regard et d'un dernier hommage la foi qu'il allait battre en brêche et l'ère gothique si long-temps souveraine à laquelle il disait un long adieu.

Les stalles qu'on voyait à cette époque modestement assises de chaque côté du chœur, ne paraissaient répondre ni à la majesté de l'édifice, ni à la dignité d'un nombreux et puissant chapitre (1). Depuis surtout que le Jubé et les murs de clôture, élevés de plusieurs mètres au-dessus d'elles, présentaient la face

(1) Une exploration assez difficile que nous avons osé faire dans l'étroit espace que laissent entre eux les dossiers des Stalles et le mur sur lequel elles s'appuient, nous a mis à même de constater que la boiserie nouvelle occupe en hauteur et en largeur un espace bien plus considérable que sa devancière. L'enduit de matière et de badigeon revêtant la partie de cette muraille qui était alors apparente, ne prend naissance qu'à la hauteur d'environ 2 mètres du sol et marque évidemment la ligne où finissait autrefois un lambris qui ne peut avoir été que le bas-dossier des Stalles. On remarque également vers le milieu de la seconde travée du chœur, c'est-à-dire à moitié chemin de la ligne actuelle des Stalles, la désinence du mur brut caché alors par le meuble et le commencement du mur paré pour être vu.

humide et peu gracieuse de leurs parois, assez mal déguisées sous une couche de peinture monochrome dont ce qui reste aujourd'hui n'est pas de nature à donner une haute idée, il n'était personne qui n'appelât de ses vœux ces chaires à hauts dossiers et à dais pendants, si propres par leur riche lambrissage à faire oublier le vice des lourdes murailles de pierre. L'exemple de plusieurs églises voisines, qui montraient avec orgueil la parure nouvelle de leurs chœurs, n'était pas d'ailleurs sans action sur les esprits, et l'on ne peut douter que celui de l'église de Rouen n'ait contribué pour quelque chose à la noble et vive émulation qui anima sur ce point nos pieux ancêtres. On savait avec quelle persévérance et à travers quelles difficultés le zèlé chapitre de cette métropole venait de mener à bonne fin une entreprise de ce genre, et les vieillards de la ville d'Amiens n'avaient pas perdu tout souvenir de la présence parmi eux des députés normands, venus pour recruter dans les rangs de nos sculpteurs picards des aides nécessaires à l'œuvre de leurs stalles (1).

(1) On lit dans l'Appendice ajouté par M. A. Deville à la descript. des stalles de Rouen par H. Langlois « 1465, 19 novembre. Le chapitre trouvant que le travail avançait lentement prend le parti d'envoyer en Flandre et autres lieux, pour recruter des ouvriers, le Huchier Guillaume Basset, le même qui avait été chargé d'acheter du bois dans la forêt Lyons. Son voyage dura vingt jours. Le compte de la fabrique nous donne le nom des villes qu'il parcourut: « à Guillaume Basset, Huchier, pour avoir esté à Apville (Abbeville) à Montreuil-sur-la-Mer, à l'abbaye de Fécamp, à Hédin, à Brusselles en Breban, à Nivelle en Breban, à Lisle en Flandres, à Tornay, à Arras, à AMIENS et en plusieurs lieux, pour trouver et avoir des ouvriers de Hucherie, pour abrégier l'œuvre des chaëres, etc. >>

Il tardait à notre généreux chapitre d'entrer dans la même voie. Répondre au vou commun, c'était suivre l'élan de son propre zèle que la pénurie seule du trésor avait pu tenir un instant comprimé (1). La réali

(1) Des causes diverses, au nombre desquelles il faut mettre le fléau de la guerre, avaient tellement épuisé les ressources du chapitre au commencement du xv. siècle, qu'il se trouvait hors d'état de payer les chantres qui l'aidaient à faire l'office. En 1426, il sollicite du pape Martin V la permission de rendre amovibles douze chapelles et de les affecter à douze ecclésiastiques qui seraient tenus de prêter gratuitement leur concours dans la célébration de l'office canonial. (P. Daire. Hist. de la ville d'Amiens. Tom. II. p. 188.) Les statuts que ce même corps adressait aux curés de sa juridiction sous l'épiscopat de Jean Avantage en 1464, sont loin de supposer que ses finances aient été en meilleur état. Le 23. canon est ainsi conçu : « Nous ordonnons, sous une peine dont nous nous réservons le choix, >> que, tous les dimanches et fêtes solennelles, pendant la célébra>>tion des saints mystères, et aussi lorsque vous entendez les con>> fessions ou que vous recevez les testaments, vous avertissiez cha>> ritablement vos paroissiens de vouloir bien se souvenir dans leurs >> aumônes, legs et pieuses largesses de la fabrique de l'église » d'Amiens, laquelle église a malheureusement besoin de réparations >> qui doivent entraîner les plus grandes dépenses. » (Veter. script. ampliss. coll. Tom. VII. col. 1272.) Dans un titre de l'année 1480 par lequel le chanoine Pierre Roussel institue le chapitre légataire de deux maisons, le donateur déclare se décider à cet acte de libéralité par la considération que la fabrique de l'église est grévée de très-lourdes charges et qu'elle a besoin, pour les supporter, de sommes d'argent considérables. (Arch. départ. Titres du chap. d'Amiens, arm. 1., liasse 36.) Aussi, lorsqu'en 1485 le chapitre résolut de décorer avec plus de magnificence l'autel principal, fit-il un appel à la générosité du clergé et du peuple. Le corps de ville, les communautés et les particuliers l'aidèrent à l'envi de leurs largesses. Nous ne voulons pas manquer ici l'occasion de faire connaître à la fois et la nature des moyens auxquels l'ardente piété de ce temps-lå permettait de recourir, et les noms de plusieurs donateurs que le Ms. des Chapitres Généraux a sauvés de l'oubli : les PP.

sation de quelques économies jointe à l'espoir du concours individuel de chacun de ses membres, suffit donc pour lui donner la confiance dès les premières années du XVI. siècle, d'entreprendre la reconstruction des chaires du chœur, œuvre immense et presque téméraire si l'on réfléchit que, dans la pensée de tous, il ne s'agissait de rien moins que d'assurer à la nouvelle boiserie, sur celle des autres églises, la prééminence dont se vantait à bon droit la basilique elle-même, en présence de ses illustres rivales.

Cordeliers, 40 liv.

L'abbé de St.-Martin-aux-Jumeaux, 43 liv. Le prieur de Pas, 45 liv. Jean Charpentier, chanoine, 10

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liv. 10 s.

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Chaque chanoine nouvellement installé, 10 liv. se faisait aussi des oblations dans toutes les églises.

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Tant de libéralité dans le zèle spontané des particuliers ne suffisait cependant pas toujours à des entreprises qu'on tenait à rendre dignes, par leur grandeur et leur perfection, de la Basilique ellemême dont on les regardait comme le complément, et l'on fut encore obligé de faire entrer dans l'œuvre dont il s'agissait, de curieuses pièces d'argenterie du trésor, telles que la représentation en argent de la ville d'Amiens, donnée par Louis XI, à l'époque où il voua son royaume à la Ste-Vierge, plusieurs reliquaires précieux, des joyaux tirés de la châsse du chef de St-Jean, et le pignon de la même châsse qui était en partie d'or. (Chap. gén. Ms. de la bibl. d'Amiens.)

A une époque encore plus rapprochée de la date des Stalles, le chapitre fit des dépenses de nature à gréver de plus en plus son trésor. En 1497, il reconstruisit à neuf un des piliers de la croisée; la même année, des chaînes de fer retenues par des ancres furent placées dans les galeries intérieures, le long des murs latéraux du chœur et de la nef pour en empêcher l'écartement; enfin, cinq ans seulement avant l'entreprise des Stalles, en 1503, deux des piliers à gauche du chœur qui avaient été ébranlés par la reconstruction du pilier voisin, furent eux-mêmes rétablis ou consolidés à grands frais. (Descr. de la cath. d'Amiens, p. M. Gilbert, p. 301.)

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