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portaient à l'achèvement de telle ou telle partie de l'édifice.

Or, un monument dont les merveilles sont le résultat de l'association des corps de métiers, doit nécessairement porter le cachet de son origine, et l'étude de ses bas-reliefs doit fournir des documents à l'histoire de notre industrie nationale.

Dans le soubassement du grand portail, on voit une suite de bas-reliefs qu'encadrent des médaillons quadrilobés rangés sur deux lignes parallèles. Les uns représentent les douze signes du zodiaque avec la personnification des travaux de l'année correspondant à chacun de ces signes. Les autres montrent l'opposition des vertus et des vices. Tous ces symboles dont la pensée religieuse nous sera bientôt dévoilée, ont besoin aussi d'être étudiés sous un autre rapport, car il est évident qu'ils font allusion aux mœurs et aux arts de la cité picarde au commencement du XIIIe siècle. Là on retrouve le type perdu des costumes, des meubles, des instruments et des constructions que l'artiste avait sous les yeux. Chaque classe de la société bourgeoise y figure avec le caractère qui la distingue, chaque profession s'y montre avec l'attribut qui lui est propre.

Sur le mur extérieur du côté droit de la grande nef, on remarque un homme et une femme debout, paraissant vérifier le contenu d'un sac placé devant eux. L'inscription mise au bas de ce sujet fait connaître qu'il est mémoratif de la fondation d'une chapelle, dans cette partie de l'église, par des paysans des environs d'Amiens, en reconnaissance des avantages que leur procurait la culture de la guède ou pastel, plante tinctoriale que remplace aujourd'hui l'indigo et qui fut, pour no

tre ville, pendant le x le xiv et le xv siècle, l'objet d'un commerce d'exportation considérable.

L'histoire de l'industrie au moyen-âge offre cette particularité remarquable que la première page est écrite sur la pierre et la seconde dans les livres. La science iconographique est nécessaire pour en commencer l'étude, mais il faut être paléographe pour la poursuivre avec succès.

Le dépôt des titres de l'hôtel-de-ville d'Amiens est peut-être l'un des plus riches de France en documents relatifs à l'ancienne organisation des classes laborieuses. C'est la certitude de trouver là ce qu'il eût peut-être vainement cherché ailleurs, qui a déterminé M. Augustin Thierry à y venir puiser les documents du premier volume de l'Histoire du Tiers-État. Cet ouvrage embrassera, dans son ensemble, l'état politique, administratif et industriel de la ville d'Amiens, pendant toute la période du moyen-âge; mais, Messieurs, malgré les fastueuses promesses de son programme, il laissera encore quelque chose à faire à ceux qui viendront, après M. Augustin Thierry, compulser nos archives. Il y a telle partie de nos titres municipaux dont on ne peut bien apprécier toute l'importance qu'en les soumettant à un travail préalable de rapprochement et de comparaison. Par exemple, les registres aux comptes, les rôles des cens, des aides et autres contributions semblables qui se levaient au XIV et au XVe siècle, sont dépositaires d'une foule de secrets historiques qu'on n'y découvre pas parce qu'on néglige les travaux préparatoires qui seuls peuvent les faire apparaître et les rendre saillants à tous les yeux.

Une notice fort remarquable, insérée dans la Biblio

thèque de l'École des Chartes (livraison de novembre et décembre 1842) due à l'érudition du jeune savant à qui M. Augustin Thierry a confié la mission difficile de rassembler les matériaux de son important ouvrage, prouve que M. Martial Delpit, son auteur, a fait une appréciation intelligente des anciens comptes de la ville d'Amiens, dans leurs rapports avec le système financier de cette cité; mais on n'y voit pas qu'il les ait étudiés dans leurs rapports avec l'état des personnes, du commerce et de l'industrie. Cependant cette étude devait avoir pour conséquence de lui fournir l'un des éléments les plus essentiels de l'Histoire du Tiers-État, c'est-à-dire une donnée exacte sur l'importance relative de chacune des branches de l'industrie locale. Il manquera donc quelque chose à l'histoire du Tiers-Etat, pour ce qui concerne la ville d'Amiens, jusqu'à ce qu'on se soit livré, sur les titres que nous venons d'indiquer, à un travail analogue à celui de M. H. Géraud sur le rôle de la taille de Paris, sous Philippe-le-Bel. Ce travail qui consiste à écrire chaque article de recette et de dépense sur un bulletin séparé et à grouper ensuite les énonciations et les chiffres de chaque bulletin dans un ordre d'idées déterminé, ce travail dont un de nos collègues a déjà fait l'application au rôle de l'aide levée à Amiens en 1388, pour le passage de la mer, ce travail, disons-nous, qui doit jeter de si vives lumières sur la partie de notre histoire locale que nous connaissons le moins et que nous devrions le mieux connaître, la Société des Antiquaires de Picardie, si elle y était encouragée, n'hésiterait pas à l'entreprendre, car pour elle c'est un devoir de suivre avec persévérance l'accomplissement de la tâche qu'elle s'est

imposée par ses statuts, et elle n'a pas, comme les élèves de l'École des Chartes envoyés à Amiens par le ministre de l'Instruction publique, à invoquer, pour excuse, la brièveté du temps qu'elle peut consacrer à ces recherches.

Quand il plaira à l'administration de la ville d'Amiens de soumettre ses archives à un système d'exploration raisonnée et de vous appeler, Messieurs, sur ce terrain, pour la seconder dans cette patriotique entreprise, j'aime à croire que le zèle et l'intelligence des pionniers de la science paléographique ne lui feront point défaut et que la Société, dans cette circonstance, saura lui préter le concours le plus efficace comme le plus désintéressé.

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« L'histoire municipale du moyen-âge, a dit M. Augustin Thierry, dans ses Considérations sur l'histoire » de France, peut donner de grandes leçons au temps présent... Toutes les traditions de notre régime admi»nistratif sont nées dans les villes. Elles y ont existé long-temps avant de passer dans l'état. Les grandes ‣ villes, soit du Nord, soit du Midi, ont connu ce que » c'est que travaux publics, soin des subsistances, répartition des impôts, rentes constituées, dette ins» crite, bien des siècles avant que le pouvoir central »> eût la moindre expérience de tout cela... La vie des municipalités a formé les vieilles générations politiques du Tiers-État. L'égalité devant la loi, le gou » vernement de la société par elle-même, sont des règles » que pratiquaient et maintenaient énergiquement les grandes communes. Nos institutions présentes se trou>> vent dans leur histoire et peut-être aussi nos insti

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>>tutions à venir. »

Ces éloquentes réflexions de l'auteur des Récits Mérovingiens, outre qu'elles résument parfaitement l'état des grandes villes au moyen-âge, prophétisent des réformes politiques qui semblent sur le point de se réaliser. N'avons-nous pas vu dernièrement des pétitionnaires proposer d'assujettir à un droit de mutation la transmission des rentes sur l'état? Eh bien ! Messieurs, cette prétendue nouveauté n'est qu'une timide imitation de ce qui se pratiquait à Amiens au xv. siècle. Les emprunts que la ville contractait sur émission de rentes viagères, étaient une de ses principales ressources. Indépendamment du capital dont elle achetait la propriété, en servant une rente viagère proportionnée à la durée probable de la vie du titulaire, c'est-à-dire, de celui sur la tête duquel elle était assise, elle forçait le bénéficiaire à subir une retenue annuelle du vingtième de la rente: mode d'impôt que nous ne connaissons pas encore, mais qui menace d'atteindre les charges soumises à un cautionnement.

Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Cette vérité proverbiale peut être appliquée à certains réformateurs politiques du XIX. siècle. Est-il un seul des mille et un systèmes électifs créés ou proposés par eux depuis cinquante ans dont on ne trouve l'analogue dans la constitution des échevinages? Élection à deux degrés, renouvellement partiel, liste de candidats, votes par tourbes, scrutin secret, toutes les combinaisons possibles en un mot, n'ont-elles pas été essayées avant nous par les communes du moyen-âge?

Mais, entre toutes ces communes, la commune d'Amiens se distinguait par le mécanisme ingénieux de son organisation municipale. Toute la société bourgeoise

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