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La maladie cessa brusquement son cours en janvier 1641.

A cette date se termine la chronologie des époques mémorables de ce fléau aussi remarquable par la gravité de ses symptômes, la persistance de sa durée, que par le sentiment de terreur qu'inspirait à nos populations une si grande destruction d'hommes.

DESCRIPTION GÉNÉRALE DE LA PESTE. La physionomie propre à chacune des épidémies dout je viens de rétablir l'ordre chronologique, offrirait d'insurmontables difficultés, si j'avais la folle prétention de vouloir la reproduire dans ses infinis détails. La tâche que je me suis imposée, d'en retracer les principaux traits à l'aide des matériaux épars, des fragments sans nombre que je suis parvenu à réunir, suffit à mes forces. Du reste, je m'empresse de le déclarer, la description qui suit appartient en grande partie aux médecins et aux annalistes contemporains de ces différentes époques. Tous, quoique sobres de détails nosographiques, sont parfaitement d'accord sur la présence, dans ces épidémies, de certains symptômes caractéristiques de la peste. Ainsi, dans les relations qu'ils nous ont laissées, ils emploicnt, pour indiquer la nature du mal, l'expression apostême, qui, dans le langage du temps, désignait une tumeur en général, et recevait les noms de bossc, bubon, fusée, lorsqu'elle siégeait aux émonctoires; ceux de charbon, anthrax, carbuncle, quand elle occupait d'autres parties du corps.

La peste est une maladie aíguë, contagieuse, trèscommune, appelée par Galien beste sauvage » qui promptement fait mourir plusieurs en un instant, et en même région. Son invasion a le plus souvent lieu vers la fin du jour ou dans la nuit; elle s'annonce par des symptômes, comme : fièvre, bubons, charbons, pourpre, revasseries délire, frénésie, sécheresse de la langue, soif vive, douleur mordicante de l'estomac, flux de ventre, vomissements, palpitations de cœur, pesanteur et lassitude de tous les membres, sommeil profond, hébétement des sens, hémorrhagie nasale, crachement de sang, douleur de côté, ou dans la région du foie et des reins.

Quelquefois elle débute tout à coup sans aucun signe qui lui soit propre, de telle sorte qu'un médecin arrivant près d'un malade ne peut assurer sans crainte de se tromper que celui-ci est atteint de cette maladie. Les bubons, signe caractéristique de la peste, sont en nombre parfois très-limité, mais il est rare qu'ils manquent. Ils apparaissent au pli de l'aine, au cou, à l'angle de la mâchoire, dans l'aisselle, exceptionnellement au coude, ou sous le jarret; leur développement est accompagné ou suivi, plus rarement précédé, de tumeurs gangréneuses, en nombre variable, à la face, sur les joues, au cou, au dos. Ils commencent par un petit point rouge qui s'agrandit, s'élève, se couvre de vésicules contenant une sanie rougeâtre, s'entoure d'une auréole rouge qui devient bientôt brune, puis livide, et se transforme en une escarrhe gangréneuse. C'est là le charbon de la peste, qui est quelquefois remplacé sur le cou et sur le dos par un véritable anthrax. Les bubons disparaissent

quelquefois brusquement; des pétéchies noires et livides se montrent sur toute la surface du corps, des ecchymoses, des hoquets, des vomissements, des déjections fétides et sanglantes, la décomposition des traits, l'affaissement du pouls, l'obscurcissement de la vue, l'étrangle ment de la voix, des phénomènes nerveux, convulsifs, variés, tels sont les symptômes qui précèdent la terminaison funeste qui arrive ordinairement dans les sept premiers jours de l'invasion.

Cependant, la mort ne procède pas toujours ainsi, elle est quelquefois subite; elle frappe au milieu de la santé la plus florissante, de la vie la plus active; assez souvent elle arrive en quelques heures, sans qu'aucun bubon ait paru; parfois le malade succombe après deux, trois ou quatre jours de maladie; la vie semble alors s'éteindre sans lutte et sans secousses.

La suppuration des ganglions profonds du bassin entraîne la mort dans un temps ordinairement assez long. La peste peut se terminer par la guérison. Je dirai plus loin le nombre des sorties et des entrées au sanitas; le rapport des décès aux guérisons. Plusieurs épidémies indiquent qu'elle se montrait quelquefois tout à fait bénigne, surtout chez les individus qui avaient été déjà atteints.

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Quant au pronostic, tous les médecins reconnaissaient qu'il était très-difficile de rencontrer juste » dans la distinction des bons signes d'avec les mauvais, et cela pour deux raisons:

1° Parce que ce terrible mal ne donne point de trève; tous les temps s'y trouvant assez souvent confon

dus ;

2o Parce que tous ceux qui avaient eu à traiter la contagion ont observé que plusieurs ont guéri avec les plus mauvais signes, tandis que d'autres ont péri avec les signes les plus salutaires. »

Les signes sur lesquels on pouvait se croire mieux fondé à prédire le bon succès étaient; « l'égalité du pouls, son étendue raisonnable, quoique la fièvre fut d'ailleurs très-violente; la surdité, l'éternuement, une sueur de bonne nature, les parotides au déclin de la maladie, la sortie prompte et franche des exanthèmes et des bubons, leur suppuration louable, la prolongation de la maladie au-delà du premier septennaire.

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Lorsque certains sigues se manifestaient, il ne restait plus, dit, de Nancel, qu'à recommander son âme à Dicu, son corps au prêtre, ses biens aux pauvres, à ses parents, à ses amis, et le dernier recipe était appelez un notaire, deux ou trois témoins, un prêtre, qu'il ait l'eau bénite et l'huile de chrème consacrée, donnez ordre à vos affaires et allez à Dieu.

Je terminerai ce très-rapide aperça en faisant remarquer que, durant la constitution épidémique de 1580 à 1586, il n'y eut d'autres maladies, et que « si d'advanture il s'en trouva quelques autres, comme fièvres tierce, double tierce, etc., elles se tournèrent incontinent en peste.

Symptômes anormaux. Il est très-probable que dans les diverses épidémies de peste dont j'ai donné la chronologie il se produisit assez souvent des complications de symptômes ayant une certaine gravité: Je dési

rerais vivement les faire connaître, mais les historiens et les médecins se sont toujours montrés très-avares de détails. Toutefois, il est hors de doute que dans l'épi. démie du XIV siècle on observa l'inflammation gangréneuse des organes de la respiration avec douleur pongitive de la poitrine et crachement de sang. Il est établi aussi que la peste de 1565 se distingua des précédentes par des apostêmes derrière les oreilles, forme exanthématique ordinairement très-rare, plus rare que les pa

rotides.

Quant à celle qui régna de 1580 à 1589 elle fut trèssouvent accompagnée d'un abcès gangréneux de la gorge avec toux, crachement de sang et une violente douleur dans la poitrine. De Nancel rapporte qu'il a vu la langue se pourrir et tomber en lambeaux ; et des familles entières, composées de 5 à 6 personnes, succomber à la gangrène du gosier. >

On disait des individus chez lesquels on observait cette complication de symptômes, qu'ils avaient « la peste en la gorge. ›

Le samedi 8 octobre, une fille de bonne part et riche souffrait depuis la veille d'un mal de gorge très-intense. Appréhendant que ce ne soit la contagion, son père, obligé d'aller passer une partie de la journée à sa campagne de Joué, laisse auprès d'elle pour la soigner une servante dans laquelle il avait la plus grande confiance. Celle-ci, restée seule, ferme les fenêtres et la porte, profite d'un moment où la jeune fille dort et l'étrangle. Le maître rentre, s'informe de la santé de son enfant : la servante répond en pleurant qu'elle vient de succom

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