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Il existe, ainsi que je l'ai déjà dit, un quatrième fragment de musique grecque; nous le devons à Kircher, qui l'a découvert dans la bibliothèque de St-Sauveur en Sicile. Ce sont les huit premiers vers de la première pythique de Pindare. Cette musique est notée avec les caractères qu'Alypius attribue au mode lydien; la mélodie est fort simple, elle ne parcourt que six sons, preuve évidente de l'ancienneté de ce morceau, qui fut vraisemblablement composé avant l'invention de la lyre à sept cordes. On peut voir par la copie ci-jointe la traduction en notes modernes que M. Burette a faite de ce fragment, et certainement on n'attribuera pas à une pareille musique l'enthousiasme qu'excitait Pindare lorsqu'il chantait ses vers. Rien de saurait mieux prouver que les grands effets de l'art tenaient chez les anciens à son alliance intime avec la poésie, aux beautés de cette langue grecque dont l'accent, perdu pour nous, faisait une musique ravissante de la déclamation notée; et comment croire, en effet, que ces Grecs. dont nous connaissons les tragédies et les statues, nous soient restés fort inférieurs dans celui de tous les arts qui leur semblait le plus important? Mais comme le beau simple était pour eux le sublime, il est probable qu'en musique, ils le faisaient consister uniquement dans l'énergie, la noblesse et la vérité de l'expression, et que tout ce qu'on pouvait y ajouter leur paraissait superflu ou mème défectueux. Ainsi, ce qui chez les modernes constitue la musique, à l'exception de l'harmonie, tenait chez les Grecs à la poésie. La mélodie suivait les vers plutôt qu'elle ne les accompagnait, et le rythme n'avait point d'autres règles

puisque les mesures de la musique répondaient aux pieds des vers. Aussi les notes n'avaient-elles que deux valeurs, une pour la longue syllabe, une pour la syllabe brève.

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Cette observation sur le rythme suffit pour faire juger combien la note était esclave du mot; ils nous montrent la musique intimement unie à la poésie, et se confondant en quelquè sorte avec elle, au point qu'on ne sait plus à laquelle doit rester le nom de mélodie, et l'on ne doit pas oublier ici que les instruments mêmes se trouvaient soumis au joug du poëte, puisqu'ils n'accompagnaient jamais le chant qu'à l'unisson et à l'octave.

Les Grecs se servaient de trois sortes d'instruments, savoir :

Des instruments à vent, comme la flûte, le cor, la trompette;

Des instruments à cordes, comme là lyre ou cythare, la harpe, le psaltérion;

Des instruments à percussion, comme la cymbale, le tambour de basque.

De ces trois sortes d'instruments la flûte fut inventée la première; on en forma d'abord de tuyaux de roseaux, des os des animaux, et par la suite, on en travailla aussi de buis, de branches de laurier, de cuivre, d'argent, et même quelquefois d'or, selon qu'on cherchait à les rendre ou plus harmonieuses ou plus propres à la magnificence. On en donne l'invention à Hyagnès et à Pan. Ces flûtes n'étaient pas toujours droites, elles étaient quelquefois recourbées; elles eurent trois trous dans le

commencement, et par la suite elles en eurent jusqu'à sept et dix.

Les lyres, depuis quatre jusqu'à dix cordes, étaient toutes à peu près de la même forme, et on les tenait à la main. La plus siugulière était celle de Pythagore Zacynthien; elle était semblable au trepied de Delphes, c'est pourquoi on l'appelle trepied. Pythagore s'en servait comme de trois lyres, les pieds étaient posés sur une base unie et égale, et telle qu'une chaise qu'on tourne comme on veut. Les trois espaces étaient tendus de cordes qui aboutissaient à une pièce de bois, et il devait y avoir au bas, des chevilles pour les accorder. Tous les poëtes jouaient de la lyre et s'en accompagnaient lorsqu'ils chantaient leurs vers; car tous les vers se chantaient, et de là vient le début de nos poèmes, ou, comme le dit Rousseau, l'habitude de dire encore: Je chante, quoiqu'on ne chante plus. Le plus célèbre de ces poëtes, le divin Homère s'accompagnait de la lyre lorsqu'il allait chantant de ville en ville son Iliade et son Odyssée. La lyre de Pyndare est connue de l'univers entier. Hésiode ne put être admis dans les jeux pythiques, parcequ'il n'était pas capable de s'accompagner lui-même sur la lyre; enfin tout ce qui était poésie chez les anciens, depuis l'hymne adressé aux Dieux jusqu'à la joyeuse chan. son de table, nécessitait l'emploi de cet instrument.

Les joueurs de flûte célèbres faisaient des fortunes immenses. Plutarque parle des grandes richesses de Théodorus, maître de flùte renommé qui fut père d'Isocrate l'orateur. Lucien rapporte qu'un certain Isménias de Thèbes acheta une flute à Corinthe trois talents, ce qui

fait 16,500 fr. de notre monnaie; beaucoup d'autres gagnaient et dépensaient des trésors. Il fallait, au reste, que les joueurs de flûte fussent en bien grand nombre dans la Grèce; car, non-seulement ils étaient nécessaires dans les temples où ils jouaient pendant les sacrifices dans l'orchestre des théâtres et dans toutes les cérémo nies publiques, mais on les voit encore appelés aux noces, aux fêtes et aux festins comme personnagesobligés.

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Parmi les jeux institués en Grèce, il y en avait dans plusieurs villes dont l'objet spécial était la poésie et la musique. On les appelait jeux pythiques, parce qu'ils se célébraient en l'honneur d'Apollon et de la victoire reme portée par ce Dieu sur le serpent Pithon: tels étaient ceux de Delphes, de Milet en Ionie, de Thessalonique, etc. C'est dans ces jeux pythiques que Simonides, Alcée, Sapho, Corinne, Pindare, en un mot tous les poëtes venaient disputer la couronne. Sapho y fit entendre le mode lixo-lydien qu'elle avait inventé, et que les poëtes tragiques adoptèrent comme le plus lamentable.

Ce n'était pas seulement dans les temples, dans les eux publics et sur les théâtres que la musique charmait l'antiquité; chez aucun peuple, l'usage des chansons ne fut plus répandu que chez les Grecs ; ils en avaient sur tous les sujets, pour toutes les circonstances; à table, dans les premiers temps, tous les convives chantaient ensemble les louanges des Dieux, et ces chansons étaient de véritables cantiques. Dans la suite, les couvives channtaient successivement, chacun à son tour, tenant une branche de myrthe, qui passait de la main de celui qui venait de chanter dans celle de celui qui allait chanter.

Mais quand la musique se fut perfectionnée chez les Grecs, qu'on employa la lyre dans les festins, il n'y eut plus que les gens habiles qui furent en état de chanter à table, du moins en s'accompagnant de la lyre. Les autres convives, contraints de s'en tenir à la branche de myrthe, donnèrent lieu au proverbe grec, qu'un homme chante au myrthe, pour faire voir qu'il est ignorant.

Ces odes, accompagnées de la lyre, s'appelaient scolies leurs sujets se tiraient-non seulement de l'amour et du vin, mais encore de l'histoire, de la guerre, et même de la morale. Nous pouvons juger des premiers par les 70 odes d'Anacréon qui nous restent. Les Grecs avaient aussi des chansons pour les diverses professions; telles étaient les chansons des bergers, dont une espèce, appelée bucoliasme, était le véritable chant de ceux qui, conduisaient le bétail, tandis que le chant bucolique, ou ce que nous appelons la pastorale, n'en offrait qu'une agréable imitation; telles étaient les chansons des moissonneurs, des meuniers, des nourrices, etc. Pour des occasions particulières, ils avaient le chant des noces, qui s'appelait hyménée, épithalame; le chant de Datis pourles réunions joyeuses, l'ialème et le linos pour les cérémonies funèbres et les événements malheureux.

Enfin, il y avait encore des hymnes ou chansons en l'honneur des Dieux et dés héros, telles que les jules de Cérès et de Proserpine, la philélie d'Apollon, les upinges de Diane, etc.

Les anciens étaient trop passionnés pour la musique, et trop persuadés de l'influence qu'elle exerçait sur le

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