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est un riche résumé des observations consciencieuses, savantes et réfléchies auxquelles M. le comte Odart a consacré plus de quarante ans de sa vie avec une persévérance et un zèle qui lui font le plus grand honneur. Ils prouvent qu'il était pénétré de l'importance de son sujet et qu'il savait de quelle utilité pouvaient être pour la France ses investigations minutieuses et ses expériences multipliées. Ainsi donc, pour être vraiment compétent dans l'appréciation d'un pareil travail, il aurait fallu étudier la Vigne avec autant de soin et aussi longtemps que l'auteur lui-même. Disons d'abord qu'il a réuni à la Dorée, en Touraine, des plants des vignobles les plus renommés de Bordeaux, de Reims, de l'Espagne, de l'Italie, de l'Asie Mineure, de la Perse, etc. Cette collection, où les espèces les plus estimées sont par dizaine, cinquantaine et souvent plus, est le fruit de longues recherches, d'un temps infini, de frais considérables, et a été l'objet constant d'observations incessantes, d'expériences spéciales et comparatives, et a dû donner lieu à la constatation de faits utiles ou intéressants. Ajoutez à cela les voyages faits par M. le comte Odart dans les contrées vinicoles de l'Europe, et les résultats qu'il a obtenus de la mission que lui avait confiée, à ce sujet, le ministre de l'agriculture en 1859.

Il serait difficile, vous en conviendrez, de rencontrer un homme qui, placé dans des circonstances aussi favorables et doué d'une sagacité égale, ait pu acquérir assez de science pour juger de pareils travaux

auxquels s'attache la confiance que commande le concours des conditions heureuses dans lesquelles ils se sont produits. Ne vous étonnez pas, d'après cela, si je viens, sans rougir, proclamer mon insuffisance, moi qui connais à peine les principaux cépages cultivés dans nos jardins.

Si la faculté de juger avec l'autorité du savoir m'est interdite, il me reste tout entière celle de sentir, et, avant d'aller plus loin, qu'il me soit permis de remercier l'auteur pour l'œuvre utile dont il a doté la France, et qui sera longtemps la source la plus féconde de renseignements précieux pour les œnologues et les viticulteurs.

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Après avoir donné une preuve de piété fraternelle en plaçant son livre sous l'invocation de la mémoire d'un frère chéri et vivement regretté, M. le comte Odart, ancien élève de l'école polytecnique, jette, dans son introduction, un coup d'œil rapide sur les travaux analogues au sien, qui ont marqué dans les temps modernes. Il insiste ensuite, avec toute raison, sur l'influence des cépages relativement à la qualité des vins. Cette influence est en effet incontestable, et toutes considérations étrangères, comme le climat et lesol, ne la modifient que relativement, c'est-à-dire qu'elles restreignent, ou exaltent les bonnes qualités d'un cépage, mais que celles-ci ont toujours une supériorité marquée, si on les compare à celles de tous les autres cépages placés dans les mêmes conditions. La conclusion naturelle est que leur choix pour la plantation d'un vignoble est d'une importance extrême.

Il combat ensuite, avec beaucoup de soin, l'opinion soutenue par des hommes d'un savoir digne de confiance, qui pose en fait que le climat peut affaiblir et annuler même les caractères distinctifs de chacun des cépages introduits dans un pays, pour leur faire revêtir ceux des plants qui y sont anciennement cultivés; en sorte qu'on ne pourrait plus les distinguer les uns des autres après plus ou moins de temps, dont la durée, il est vrai, n'a jamais pu être limitée par aucun. On conçoit que la réfutation de cette opinion était la clef de voùte de l'entreprise de M. le comte Odart; car à quoi bon peupler certains vignobles des cépages qui donnent les meilleurs vins des crus les plus renommés, si ces cépages devaient se transformer en ceux de ces localités? Sans nier d'une façon absolue la possibilité de quelques modifications, l'auteur leur accorde des limites fort étroites, et, après une discussion fondée sur des faits, il soutient que notre climat est assez favorable à la Vigne pour que cette influence soit plus souvent bénigne que maligne, et surtout qu'elle est loin d'avoir toute l'action qui leur a été attribuée.

Cette question le conduit à examiner celle de la prétendue dégénération des espèces fruitières cultivées depuis longtemps. Cet examen, qui occupe les pages 52 à 40, est digne de toute l'attention des horticulteurs, et principalement des pomologistes, qu'il intéresse à un haut degré, et il en résulte pour l'auteur la conviction que cette dégénération n'existe pas, et que les exemples cités à l'appui ont été mal interprétés et ont des causes différentes.

Si cette dégénération était réelle, il faudrait donc abandonner la multiplication par boutures, par marcottes et par greffes, et s'en tenir uniquement au semis.

Ici, M. le comte Odart aborde la proposition faite au congrès viticole d'Angers, et accueillie par lui, d'améliorer nos vignobles par le semis des pepins de Rɛisin. Il s'étonne qu'une pareille proposition ait pu paraitre rationnelle, et il en attribue le succès à l'intérêt général qu'inspirait son auteur, l'un des horticulteurs le plus distingués, M. Vibert enfin, dont, à une précédente séance, vous avez entendu les observations sur ce sujet, observations que vous avez fait insérer dans vos Annales.

Il rappelle rapidement les gains obtenus de semis depuis un demi-siècle. Il cite la Vigne aspirante née du Bourdelas, dans le jardin du chevalier de Jansens, à Chaillot, qui, malgré sa vigueur de végétation et l'excellence de son fruit, ne se trouve plus même au lieu de sa naissance; le Raisin-fraise, communiqué par M. Legrandais à la Société d'agricuture d'Angers, et dont il ne reste que la mention de la réception de ses boutures par cette Société; le merveilleux Raisin Van Mons, vanté par Bosc pour le volume de ses fruits gros comme une Prune de Reine-Claude, et mûrissant à Louvain dans la première quinzaine d'août, et que Van Mons, en personne, a déclaré n'avoir jamais connu; enfin, le Raisin monstrueux de De Candolle, que l'abbé Minalo affirme être une espèce ou variété cultivée dans le canton de Biella, et

qui, dans le jardin de la Société d'horticulture d'Angers, se montre vert et acerbe au 14 octobre.

Il parle des semis de M. Vibert; il rend hommage à son savoir et à son zèle persévérant; mais il craint que tant d'efforts restent sans récompense. Il pense que ce savant horticulteur se trompe en attribuant la paternité de son petit Muscat hâtif au Frankenthal, qu'il qualifie de gros et fade, et ne voit dans ce gain qu'une variété sauvage de muscat. Il prétend que les Vignes de semis conservent les principaux caractères de leurs types, et il s'appuie sur les faits cités par l'Espagnol D. Simon, qui a vu, dans l'Algaida, des forêts impénétrables de Vignes sauvages, où quelques cépages parfaitement caractérisés se propageaient spontanément, puisqu'on en trouvait d'identiques de tous les âges, sans qu'aucun d'eux démentît sa race et perdît les formes et qualités qui le caractérisaient. Toutefois, il n'est pas l'ennemi systématique des semis; il reconnaît qu'on peut en obtenir quelques variétés supérieures à celles qui existe, mais il regarde ce moyen comme incertain et d'une lenteur désespérante, surtout pour arriver à déterminer les bonnes qualités vinifères d'un cépage nouveau, et il ne croit pas' exagérer en estimant à vingt-cinq ans le temps nécessaire à cette appréciation. Pour prouver, dit-il, qu'il n'y a pas d'opposition sytématique de ma part dans mon opinion peu favorable sur la propagation de la Vigne par semis, je me permettrai d'indiquer un mode d'expérimentation sur lequel une longue vie d'observation peut appeler l'attention. Je crois qu'on aurait la chance la plus sûre d'obtenir

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