Page images
PDF
EPUB

crosse tel que nous l'expose Hugues de Saint-Victor, écrivain du commencement du XIIe siècle. Guillaume Durand a exprimé la même idée dans les vers suivants, où il s'adresse au prélat portant la crosse :

Collige, sustenta, stimula vaga, morbida, lenta;

Attrahe per primum, media rege, punge per imum; c'est-à dire Rassemblez ceux qui errent, soutenez les infirmes et stimulez les paresseux; attirez par le sommet, gouvernez par la hampe, et aiguillonnez avec la pointe inférieure. Cette signification symbolique se trouve parfois inscrite sur la crosse elle-même. On lit sur celle de saint Saturnin, qui est conservée à Toulouse:

Curva trahit mites, pars pungit acuta rebelles;

Curva trahit quos recta regit, pars ultima pungit. 16. Chaussures liturgiques. Ces chaussures ont été, depuis les premiers siècles, un des principaux insignes des évêques et des abbés. Elles portaient le nom de sandales,

[ocr errors]

Empeigne et quartiers.

sandalia, et avaient des formes presque toujours identiques. Elles se composaient d'une semelle en cuir ordinaire, d'une empeigne A et de deux quartiers B. L'empeigne était en cuir et découpée très profondément de manière à former une languette a, lingua, et quatre appendices b, ligulae, en forme d'oreilles, à travers lesquels on faisait passer les cordons. Les six échan

crures c, formées par ces oreilles, ont fait donner à l'empeigne le nom de cuir fenestré, corium fenestratum, parce qu'elles affectent la forme de baies de fenêtre. L'empeigne et les quartiers étaient percés d'un grand nombre de petits trous. Ces trous ainsi que les échancrures de l'empeigne avaient une signification symbolique, comme nous l'apprennent le pape Innocent III (1198-1216) et Guillaume Durand. " Les sandales, disent-ils, sont garnies, par dessous, d'une semelle entière, et, par dessus, recouvertes d'un morceau de cuir échancré ou fenestré, parce que les

[graphic]

pieds des prédicateurs doivent être garantis par dessous, afin de ne pas être souillés par les choses terrestres, selon cette parole du Seigneur : Secouez la poussière de vos pieds, et ils sont découverts par dessus afin que la connaissance des mystères du ciel leur soit révélée, selon cette parole du prophète Enlève le voile qui est sur mes yeux, et je considérerai les merveilles de ta loi. Ensuite, comme en certaines parties les sandales ont des ouvertures, et en d'autres en sont privées, cela marque que la prédication de l'Évangile ne doit être ni faite ni cachée à tous. "

[graphic][subsumed]

Empeigne et quartier d'une chaussure liturgique du XIIe siècle, trouvée à Stavelot.

L'empeigne et les quartiers étaient ordinairement couverts de broderies en soie ou en or, et même souvent de cabochons et de pierres précieuses.

Les chaussures liturgiques découvertes à Stavelot, dont nous donnons la gravure à la page précédente, répondent complètement aux données que nous venons d'exposer. Elles datent du XIIe siècle, et se distinguent par une ornementation riche et du meilleur goût.

§ 10.

ABBAYES, MONASTÈRES ET CLOÎTRES DES CHAPITRES. Les ordres religieux se développèrent d'une manière prodigieuse pendant la période romane. Depuis son origine, au VIe siècle, jusqu'au concile de Constance en 1005, l'ordre de Saint-Benoît avait, à lui seul, fondé plus de quinze mille abbayes et monastères, presque tous situés dans l'Europe occidentale. Ces progrès rapides contribuèrent puissamment à la formation de l'architecture monastique.

Dès le viIIe siècle, on vit s'élever des établissements religieux, composés de nombreuses constructions, bâties et disposées avec art; on y trouvait des églises, des édifices pour le logement et les exercices des moines, des infirmeries, des écoles, des bibliothèques, des quartiers pour les étrangers, des granges, des jardins, des bâtiments destinés aux approvisionnements, enfin des habitations et des ateliers pour les corporations d'ouvriers que les abbayes avaient toujours à leur service (voyez ci-dessus p. 290). Tous ces anciens monastères ont été détruits ou complètement modifiés dans la suite des siècles. Mais nous connaissons leur disposition par le plan de l'abbaye de Saint-Gall, en Suisse, exécuté vers l'année 820. C'est un projet à l'état d'esquisse envoyé à l'abbé Gozbert, probablement par Éginhard, qui, après avoir dirigé les constructions de la cour sous Charlemagne, embrassa lui-même la vie religieuse. Quel que soit son auteur, ce plan présente le plus grand intérêt parce qu'il nous fournit des détails complets sur les grandes abbayes du IXe siècle. Voici une réduction du dessin, conservé jusqu'aujourd'hui dans les archives du monastère supprimé :

[merged small][merged small][ocr errors][graphic][subsumed][subsumed][ocr errors][ocr errors][ocr errors][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][subsumed][subsumed][ocr errors][subsumed][subsumed][merged small]

Plan de l'abbaye de Saint-Gall, en Suisse, dessiné vers 820.

L'église, qui occupe la plus grande place dans le plan, a deux absides opposées, une A à l'orient, et l'autre B à l'occident; on y voit le maître-autel dédié à la sainte Vierge et à saint Gall en d, l'ambon pour la lecture de l'Evangile en f, l'autel du Saint-Sauveur et de la Sainte-Croix en g, les fonts baptismaux et l'autel de Saint-Jean-Baptiste en h, enfin divers autels en i. C indique le cloître, à l'est duquel on

voit, en F, au rez-de-chaussée le chauffoir, et à l'étage le dortoir, au sud le réfectoire D et la cuisine E, à l'ouest le cellier N avec salle au-dessus pour la conservation des provisions de bouche. G est l'infirmerie; H, le quartier des novices; k, une salle pour les copistes avec bibliothèque au-dessus; 7, la sacristie; I, le quartier de l'abbé; K, l'école avec ses dépendances; L, le logement des hôtes de distinction avec écurie; M, le quartier des étrangers ordinaires et des pauvres ; O, le verger avec l'indication de la place de tous les arbres fruitiers; P, le jardin légumier où chaque plate-bande porte le nom du légume auquel elle est destinée; m, la maison du jardinier; Q, les poulaillers et les logements du chef de la basse-cour, avec un parc a pour les canards et un parc 6 pour b les poules; Y, la pharmacie et l'établissement pour l'opération de la phlébotomie; Z, le logement du médecin et un jardin pour des plantes médicinales; R, une grange et le fruitier; S, les logements des corporations d'ouvriers; T, la brasserie, la boulangerie et un moulin à bras; U, des écuries, des magasins pour les grains et les fours à torréfier les fruits; V, des étables et des logements pour les palefreniers, les bergers et les porchers; X, l'entrée de l'église ouverte au public; W, probablement la grange. Le plan est accompagné de légendes minutieuses; il ne donne pas seulement la destination, mais aussi la distribution intérieure de chaque édifice; il en indique les différentes places avec l'usage auquel elles doivent servir, l'emplacement des foyers, les dépendances et mille autres petits détails intéressants. Dans le dortoir et le réfectoire, par exemple, il marque la disposition des lits et des tables, et dans le cellier il détermine la place des petits et des grands tonneaux, minores et majores tunnae.

Les dispositions principales du plan de Saint-Gall se rencontrent dans presque toutes les abbayes élevées depuis le 1x jusqu'au xvIe siècle.

Les églises et les autres édifices qui composaient les abbayes romanes étaient construits dans le style du siècle et du pays où on les élevait. Peu de ces anciens monastères ont conservé leur aspect primitif; la plupart ont été rebâtis ou modifiés dans la suite des siècles.

« PreviousContinue »