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d'émail. La fusion et le polissage s'opéraient de la même manière que pour les émaux cloisonnés. Dans les émaux champlevés les plus soignés, des filets de métal viennent comme dans les émaux cloisonnés, former à la surface de l'émail les principales lignes du dessin; mais ces filets, au lieu d'être rapportés par la soudure sur le fond de la plaque, sont pris aux dépens mêmes de cette plaque et font corps avec elle; en d'autres termes, ils sont épargnés par l'émailleur qui a taillé le métal. Après avoir poli la plaque émaillée, on dorait les parties du métal qui affleuraient la surface de l'émail. Les meilleurs émaux champlevés furent fabriqués au XIIe et au XIIIe siècle. Dans ceux du XIIe siècle, les carnations (c'est-à-dire les parties apparentes des chairs, telles que les têtes, les mains et les pieds) sont, comme dans les émaux cloisonnés, en émail de couleur rosée. Dans ceux du XIIIe et du XIVe siècle, au contraire, les carnations et souvent même les figures entières sont gravées ou ciselées, et l'émail ne sert qu'à colorer les fonds et encadrer les figures; il ne remplit alors qu'un rôle secondaire. Les émailleurs occidentaux du XIIe siècle imitèrent plus ou moins servilement les émaux cloisonnés, tandis que ceux du xii1o, abandonnant les traditions anciennes, exprimèrent les carnations et même les figures entières d'abord par des traits entaillés sur le métal et niellés d'émail, et plus tard aussi par des ciselures en ronde bosse.

Au xr et au XIIe siècle, il existait en Occident deux grandes écoles d'émailleurs, dont les productions présentent des caractères propres qu'il est intéressant de connaître. On avait en France l'école limousine, établie à Limoges, et en Allemagne l'école rhénane, dont le centre était à Cologne. Une fabrique de cette dernière école se trouvait aussi dans le diocèse de Liége, probablement à Maestricht. Les émaux liégeois ou maestrichtois ne constituent qu'une variété des émaux rhénans. Voici les principales différences qui existent entre les émaux champlevés limousins et rhénans. Dans les émaux limousins le bleu lapis et le vert tendre dominent, tandis que dans les émaux rhénans le vert nuancé, le gris bleu et le bleu pâle forment les couleurs principales. Les émailleurs rhénans se servent de quelques couleurs qui leur sont pro

pres le beau bleu turquoise, le blanc très : le pur, rouge. purpurin très vif et le noir. Les tons sont plus harmonieux en Allemagne, plus criards en France. Les émaux champlevés rhénans, dit Labarte, ne diffèrent pas essentiellement des émaux de Limoges; nous allons cependant chercher à déterminer le caractère qui leur est propre, en reconnaissant toutefois que l'examen attentif d'un grand nombre de monuments est la seule manière d'apprendre à les reconnaître. Dans les figures de grande proportion entièrement exprimées en émail, les traits du dessin sont découpés sur le cuivre avec plus de soin que dans les émaux du même genre sortis de l'école de Limoges, et avec l'intention évidente d'imiter autant que possible le cloisonnage des Grecs; aussi les traits épargnés sur le métal sont-ils tranchés très nettement sans bavure ni guillochis. Dans les anciens émaux, les émailleurs rhénans affectionnent les sujets où se trouvent un assez grand nombre de personnages. Sauf les carnations, qui sont rendues sur le plat du cuivre par une fine gravure dont les intailles sont toujours niellées d'émail, le surplus des figures et les accessoires sont exprimés le plus souvent en couleurs d'émail. Au contraire, lorsque les Limousins veulent rendre des scènes un peu plus compliquées, ce qui est fort rare, les sujets sont toujours gravés sur le plat du cuivre; le fond seul, en ce cas, est émaillé. Des inscriptions gravées en creux et remplies d'émail accompagnent presque toujours le sujet dans les émaux rhénans. Elles sont ordinairement composées de vers latins. Dans l'école de Limoges, les inscriptions sont très rares et se bornent à quelques mots. Chez les émailleurs rhénans, le dessin des fleurons, entrelacs et ornements, épargnés sur le cuivre, est remarquable par le bon goût et la grande variété des motifs ; ils sont, sous ce rapport, bien supérieurs aux limousins. Histoire des arts industriels, III, p. 471 et suiv.

On donne le nom de nielle à l'ornementation obtenue par une gravure fine faite sur métal et remplie d'un émail noirâtre, formé d'argent, de plomb et de soufre. Les nielles sont donc un véritable émail. On s'en servait principalement pour remplir les intailles des gravures au moyen desquelles

les émailleurs du XIIIe siècle rendaient les carnations et souvent aussi les figures entières. Le trésor des Sœurs-deNotre-Dame, à Namur, renferme plusieurs objets d'orfévrerie avec des nielles du plus beau travail. Ces objets ont été fabriqués par le célèbre frère Hugo, moine de l'abbaye d'Oignies, qui vivait au commencement du XIII° siècle.

Le filigrane est un ouvrage d'orfévrerie formé de minces fils métalliques contournés les uns sur les autres, et soudés avec tant d'adresse qu'ils présentent la forme non pas d'une corde mais de petits grains de métal juxtaposés et adhérents les uns aux autres. Les artistes du moyen âge se servaient de filigranes pour décorer de rinceaux des plaques métalliques pleines; les orfèvres modernes, surtout ceux de Gênes, produisent par le simple enlacement de filigranes des pièces d'orfévrerie travaillées à jour d'une très grande beauté.

2. Calices et patènes. On conserva, pendant la période romane, l'usage des calices ordinaires et ministériels. Voyez ci-dessus pp. 216 et sv.

1o Les calices ordinaires du VIIIe et du Ixe siècle ont Fig. 1.

Fig. 2.

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Calice de Tassilo, duc de Bavière. Calice dit de Saint-Remi, à Reims.

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souvent, comme ceux de la période latine, la coupe profonde et étroite, le pied petit et relié à la coupe par un simple nœud sans tige. Tel est le calice de Tassilo, duc de Bavière, qui date de l'année 780 environ (fig. 1). Il est en cuivre doré et décoré d'ornements gravés; les médaillons de la coupe et du pied sont niellés sur argent; le tout est d'un travail rude et barbare. Dès le IXe siècle on rencontre des calices à coupe évasée et peu profonde; ils sont parfois munis d'anses comme les calices ministériels. La fresque du Ixe siècle dont nous avons donné une gravure p. 375 nous montre saint Clément célébrant les saints Mystères avec un calice ansé de cette forme. Les calices du xre et du XIIe siècle ont généralement la coupe et le pied très larges, le noeud épais et la tige courte; quelquefois même celle-ci manque totalement. Le calice du XIIe siècle, dit de Saint-Remi et conservé dans le trésor de la cathédrale de Reims (fig. 2), nous offre un des plus riches modèles de ce genre. Il est en or pur, orné d'émaux, de filigranes et de pierres précieuses. Sur le pied on a gravé l'inscription suivante: QVICVMQUE. HVNC.

CALICEM. INVADIAVERIT. VEL. AB. HAC. ECCLESIA. REMENSI. ALIQVO. MODO. ALIENAVERIT. ANATHEMA. SIT. FIAT. AMEN.

On trouve, principalement en Allemagne, des calices du XIIe siècle qui ont l'extérieur de la coupe entièrement cou vert de médaillons, d'émaux, de pierreries et de filigranes; ces ornements ne sont interrompus que sur un petit espace semi-circulaire, nécessaire au prêtre pour appliquer au calice la lèvre inférieure pendant la communion.

Les mystères de la vie et de la passion du Sauveur, et surtout le crucifiement, sont les sujets que les artistes du XII et du XIIIe siècle aiment à reproduire sur les médaillons dont ils décorent la coupe et le pied de leurs calices.

Les inscriptions que l'on rencontre sur quelques calices romans rappellent le nom du donateur, demandent une prière pour son âme, ou renferment un anathème contre celui qui détournerait le calice de sa destination.

Dans les tombes des évêques et des abbés on trouve souvent des calices funéraires en plomb ou en tout autre métal

de vil prix; ils ont la forme des calices ordinaires, mais ne portent régulièrement aucune espèce d'ornement.

2o Les calices ministériels conservèrent pendant la période romane la forme qu'ils avaient précédemment. Leur décoration était la même que celle des calices ordinaires. Les anses dont ils sont munis ont la forme de feuillages, de dragons ou d'animaux fantastiques. Voici un calice ministériel du XIIe siècle appartenant à l'abbaye de Wilten

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Calice ministériel du XIIe siècle, à l'abbaye de Wilten, dans le Tyrol dans le Tyrol. Sur les médaillons de la coupe on a représenté des scènes de la vie du Sauveur, dans ceux du pied les quatre vertus cardinales et des sujets tirés de l'histoire de l'ancien Testament; sur le nœud on voit les personnifications des quatre fleuves du paradis.

Anciennement les fidèles communiaient en buvant du calice même les uns après les autres; plus tard on introduisit l'usage du chalumeau pour la distribution de la sainte Eucharistie sous l'espèce du vin. "Vers le xe siècle, dit Texier, les fidèles qui vinrent recevoir la communion burent le vin, non plus à même le calice, mais en humant, au moyen d'un chalumeau ou tuyau, le liquide consacré. Ces changements ne semblent avoir eu pour but que d'éviter les profanations,

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