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Les tissus précieux que nous venons de décrire servaient à différents usages. Dès les premiers siècles, on décora les vêtements en laine blanche des prêtres et des diacres de bordures de pourpre ou de toute autre couleur écla tante; ces bordures furent remplacées dans la suite, sur les vêtements de prix, par des orfrois ou des praetextae de soie. Ce ne fut que plus tard, comme nous l'avons déjà dit, qu'on employa pour les vêtements eux-mêmes des étoffes de couleurs diverses.

Les basiliques des premiers siècles, celles mêmes qui furent construites par Constantin et ses successeurs, présentaient une grande simplicité dans leur décoration extérieure. A l'intérieur aussi l'ornementation architectonique leur faisait défaut; on s'efforça de dissimuler ce dénûment en plaçant des mosaïques à fond d'or dans l'abside et à l'arc triomphal. Mais la richesse de ces parties contrastait, surtout aux grands jours de fête, avec les parois non ornées de la basilique; on y suppléa en couvrant de tissus précieux les murs de l'abside sous les fenêtres, à l'endroit où se trouvait ordinairement la chaire de l'évêque; les cancels eurent leurs vela dorsalia; et, à partir du vre siècle, les colonnes mêmes et toutes les murailles étaient couvertes de tentures non moins précieuses, auxquelles on donna le nom de tegumenta et vestes ecclesiae. Les courtines du ciborium consistaient également en des tissus riches de soie (1).

Les étoffes précieuses avaient encore un autre usage. Avant d'être placés dans les châsses, les ossements des saints étaient entourés de peaux de chamois et enveloppés des tissus les plus riches en lin, en soie et en or. La plupart des étoffes anciennes qui ont été conservées jusqu'à nos jours, par exemple celles d'Aix-la-Chapelle, de Liége, et de Maeseyck, que nous avons décrites ci-dessus, ont été retirées de châsses de saints. La châsse de saint Servais, à Maestricht renferme aussi des tissus très remarquables. Voici ce que

(1) A la page 196 nous avons reproduit un passage d'Anastase contenant la description de tentures de ciborium. Voyez aussi la gravure de la p. 195.

nous lisons au sujet de son contenu dans le Beffroi (I, p. 353) : " Les précieux restes étaient enveloppés de 'draps de soie et de peaux de chamois. Un des paquets, accompagné d'une plaque de plomb portant une inscription du XIe siècle, renfermait une partie des pontificalia de saint Servais, parmi lesquels un morceau de soie précieuse de couleur pourpre, probablement la chasuble du saint. Au milieu des grands cercles qui ornent cette étoffe on voit deux figures de guerriers revêtus de manteaux et ayant une lance et un bouclier à la main, posés debont sur une colonne qui se termine par une tête d'animal. A chaque côté de la colonne se trouve un génie tenant une corne, et plus bas deux hommes presque nus, amenant chacun un bœuf par une corde. Les caractères de cette étoffe indiquent qu'elle remonte au ive siècle, et qu'elle a été fabriquée par des artisans de Byzance. Nous mentionnerons encore des morceaux de vêtements blancs et les sandales en cuir du saint. Dans un autre paquet contenant les cendres de saint Servais se trouvait une pièce de byssus (1) travaillée à l'aiguille, avec de grandes roues et des figures d'oiseaux, au milieu desquelles se trouve l'arbre de vie. Les reliques de saint Martin, accompagnées d'une inscription sur plomb du vin ou du Ixe siècle, étaient enveloppées de deux étoffes, l'une en soie pourpre impérial ornée d'un diaprage de grandes roues renfermant des plantes, et entourée d'une bordure ornée de grandes figures de lions; l'autre en lin blanc brodée à l'aiguille avec des lions et des oiseaux. "

L'art de fabriquer des tissus est resté stationnaire pendant plusieurs siècles, de sorte qu'il est difficile de déterminer, par la seule inspection d'une étoffe, l'époque où elle a été fabriquée. Tous les tissus orientaux portent le nom générique de pallia transmarina ou pallia saracenorum.

Quant à l'emploi des broderies dans les premiers siècles, il nous reste à faire remarquer qu'il est très probable que, dès le vie et le vie siècle, la plupart des sujets religieux étaient reproduits sur les ornements par la broderie et non

(1) On appelle byssus une étoffe de lin très blanche et très fine.

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pas par la trame de l'étoffe. C'est ce qui parait résulter des descriptions détaillées qu'Anastase nous fait de ces objets. Aussi voyons-nous que l'art du brodeur fut introduit dans l'Europe occidentale dès le vIIe siècle; et nous savons par l'histoire qu'il s'éleva vers ce temps à une très grande prospérité dans les Iles Britanniques, où il ne cessa de fleurir pendant les siècles suivants.

7. Diptyques. "Les diptyques (profanes), dit Labarte, remontent à une haute antiquité. Dans l'origine ils étaient formés de deux petites tablettes de bois ou d'ivoire se repliant l'une sur l'autre et dont l'intérieur présentait une tablette renfoncée enduite de cire sur laquelle on écrivait. De là le nom de dintʊya (1) et de pugillares qu'on leur donna, le premier à cause de leur double pli, le second en considération de leur petitesse, qui permettait de les renfermer dans la main. Ces tablettes étaient entourées de fils de lin sur lesquels on coulait de la cire que l'on imprimait d'un cachet. Elles servirent dès lors aux missives secrètes. Lorsqu'on eut ajouté d'autres feuilles à ces tablettes, elles prirent, suivant le nombre des plis, le nom de Tyα, пTARTU, etc. Les diptyques reçurent bientôt une destination plus intéressante. Au temps des empereurs, les consuls et les questeurs, pour consacrer le souvenir de leur élévation, envoyaient à leurs amis, ainsi qu'aux personnages d'un haut rang dont ils avaient obtenu les suffrages, et aux gouverneurs des provinces des diptyques d'ivoire dont les parties extérieures étaient sculptées en bas-relief. On y traçait ordinairement l'image du consul revêtu de tous les ornements de sa dignité, et tenant d'une main la mappa circensis, rouleau d'étoffe qu'il jetait dans l'arène pour donner le signal des jeux, et de l'autre le scipio ou sceptre consulaire qui était surmonté des figures des em péreurs régnants; on y voyait suivre assez souvent, dans le bas du tableau, une représentation des jeux du cirque dont

(1) Ce mot est dérivé de dig, deux fois, et nτvyn, pii, tablette, c'est-à-dire objet plié en deux. Les mots triptyque, pentaptyque et polyptyque, dérivés de la même racine ʊ, signifient des objets composés de trois, cinq ou un plus grand nombre de plis ou tablettes.

le consul avait gratifié le peuple lors de son installation. Les noms du consul et ses titres se trouvaient ordinairement inscrits au haut des tableaux... Une loi du code Théodosien (lex XI, tit. x1), de l'année 384, interdit à tout autre qu'aux consuls ordinaires de donner des diptyques d'ivoire (1).

Dès son origine, l'Église chrétienne eut des diptyques (2). C'étaient des tablettes ou des catalogues sur lesquels on inscrivait certains noms pour en conserver le souvenir, et les lire, du moins en partie, dans les réunions sacrées des fidèles. Il y avait plusieurs classes de diptyques: ceux des baptisés, où l'on inscrivait les néophytes; ceux des vivants, qui recevaient les noms du Souverain Pontife régnant, des évêques, des prêtres, des empereurs, des rois, des princes et des bienfaiteurs de l'Église; ceux des saints, dans lesquels on mentionnait les personnes qui avaient illustré l'Église par le martyre ou une grande sainteté de vie; enfin ceux des défunts, où se trouvaient les noms des évêques, des prêtres, des clercs et des simples fidèles décédés qu'on recommandait aux prières de la communauté chrétienne.

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Les noms étaient inscrits sur les deux faces intérieures du diptyque d'un côté les noms des vivants, de l'autre ceux des morts. Mais comme ces faces ne pouvaient contenir qu'un nombre très restreint de noms, on inséra, entre les deux tablettes, des feuillets de parchemin.

Les tablettes des diptyques les plus anciens ont ordinairement en longueur le double ou le triple de leur largeur (voyez la gravure de la page 245). Dans les diptyques plus récents leur forme se rapproche du carré.

Pendant les premiers siècles, l'Église chrétienne se servit souvent des riches diptyques consulaires pour y inscrire et renfermer ses catalogues sacrés; elle fit cependant, déjà à cette époque, confectionner aussi pour son usage des tablettes ornées de symboles exclusivement chrétiens. On peut donc, sous le rapport de l'origine, distinguer deux espèces

(1) Histoire des arts industriels, I, p. 195.

(2) La liturgie de saint Marc et celle de saint Denis l'Areopagite font mention des diptyques. Voyez GOAR, Euchologion, p. 143.

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de diptypes sacrés les diptyques consulaires convertis en ecclésiastiques, et les diptyques purement ecclésiastiques.

Il existe encore de nos jours un bon nombre de diptyques consulaires transformés en diptyques ecclésiastiques. On en trouve un catalogue exact dans l'Histoire des arts industriels de Labarte, I, pp. 198-205. Ils datent des Ive, ve et vie siècles.

On conservait autrefois deux de ces diptyques à Liége, l'un à la collégiale de Saint-Martin, l'autre à la cathédrale de Saint-Lambert. Le premier, qui date de l'année 449, représente le consul Flavius Astyrius, assis sur la chaise curule, tenant d'une main le scipio et de l'autre la mappa circensis, et ayant un licteur à chaque côté; les bustes de l'empereur et de l'impératrice que l'on voit souvent dans partie supérieure du diptyque, et les jeux du cirque qui occupent ordinairement le bas font complètement défaut. La première feuille est entièrement perdue, la seconde est conservée dans le musée de Darmstadt. Le diptyque appartenant à la cathédrale de Saint-Lambert et connu sous le nom de diptyque de Liége, diptychon Leodiense, est de Flavius Anastasius, devenu consul d'Orient en 517. Le consul y figure avec les attributs et les accessoires ordinaires énumérés ci-dessus, p. 242. Un des feuillets est perdu, l'autre a passé dans la Kunstkammer de Berlin. En 1659, on distinguait encore, au revers de la première feuille, un catalogue des saints, distribué sur quarante-deux lignes. La plupart des noms étaient ceux que l'on récite aujourd'hui dans le Communicantes du canon de la messe (1).

Les diptyques purement ecclésiastiques étaient en ivoire ou en métal. Ils avaient leurs faces extérieures ornées de sculptures ou de ciselures représentant le Christ et la sainte Vierge, des scènes empruntées à l'histoire de l'ancien et du nouveau Testament, ou des symboles chrétiens.

(1) Le diptyque de Saint-Martin a été publié par GORI, Thesaurus veterum diptychorum, II, p. 105, pl. XVIII; et WILTHEIM, Appendix ad diptychon Leodiense, Liége 1660, pp. 2 et 3; et celui de Saint Lambert par WILTHEIM, Diptychon Leodiense, Liége 1659; GORI, ouv. cité, I, pp. 1 et 263; et SALIG, De diptychis veterum, p. 1. La bibliothèque impériale de Paris conserve un diptyque du même consul Flavius Anastasius, entièrement semblable à celui de Liége; il a été reproduit par LABARTE, Hist. des arts industriels, pl. III.

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