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rieure qui se sert et se moque d'eux, comme ils se servent et se moquent des autres (1). » L'abbé J. COGNAT.

Affaire de Cugand.

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt qui restera comme un des monuments les plus importants de sa jurisprudence et comme un titre à la reconnaissance du clergé et des catholiques. Il ne nous appartient pas d'apprécier les actes du tribunal suprême; mais, mieux que nos paroles, le résumé de toute l'affaire que la Gazette des Tribunaux a cru devoir publier, avec les principales pièces qui en composent le dossier, montrera combien la solution qui vient d'être enfin obtenue de la haute équité de notre magistrature intéresse les droits de l'Église et ceux de la liberté. Voilà pourquoi nous faisons à ce journal un emprunt dont tous nos lecteurs nous sauront gré. CHARLES DE RIANCEY.

D'abord, la Gazette des Tribunaux précise ainsi les deux questions soulevées:

L'appréciation morale que fait le journaliste d'un fait vrai et dont d'ailleurs cette appréciation n'est pas de nature à changer le caractère, ne constitue pas le délit de publication de fausse nouvelle prévu et réprimé par Particle 15, § 1er du décret du 17 février 1852.

Il y a lieu d'annuler, pour défaut de motifs, le jugement du tribunal correctionnel qui, en matière de presse, ne rappelle pas les faits sur lesquels il fonde les motifs de sa décision, et qui ainsi ne met pas la Cour de cassation à même d'apprécier les éléments constitutifs de cette décision. Cette appréciation souveraine appartient toujours à la Cour de cassation en matière de délits commis par la voie de la presse.

Quoique nous ayons rapporté les faits essentiels du procès, on en retrouvera ici avec intérêt les circonstances les plus exactes et les plus détaillées. Le 30 juin 1852, un des habitants de la commune de Cugaud (Vendée) est mort au village de Hucheloup, où il avait fondé une manufacture.

Il était protestant; dans le département de la Vendée, il y a plusieurs communes renfermant un certain nombre de calvinistes, mais toute la population de Cugand est catholique, à l'exception du défunt, de son frère et de son neveu.

Un seal culte étant professé dans la commune, il n'y a qu'un cimetière; seulement, en exécution des instructions, on a conservé à l'extrémité du terrain bénit, destiné à la sépulture des catholiques, un espace de vingtcinq mètres pour l'inhumation soit des enfants morts sans baptême, soit des autres personnes non catholiques qui viendraient à décéder sur le territoire de Cugand.

La famille du défunt ne jugeant pas cette place convenable pour le corps de son parent, insista près du maire pour qu'une autre place fùt indiquée par lui.

Le maire consulta le préfet de la Vendée, et, malgré l'opposition de M. le curé de Cugand, fondée sur les lois de l'Eglise et sur le texte même du décret du 23 prairial an XII, sainement entendu, on se détermina à enterrer le défunt dans la partie bénite du cimetière, et à quelques centimètres seulement d'une tombe catholique.

Ce fait donna lieu à une protestation de Mgr l'évêque du Luçon et à l'emploi des mesures canoniques prescrites par le vénérable prélat. Il est inutil (1) 2o Sermon pour le dimanche de la Quinquagésime, 1o partie,

pour l'exposé des faits d'entrer dans le détail de la correspondance administrative à laquelle ils ont donné lieu et d'analyser les phases diverses de cette correspondance. C'est le 1er juillet 1852 que les funérailles ont été faités et présidées par un ministre calviniste de Nantes.

Le 13 juillet, l'Espérance du Peuple publiait une narration des faits, que M. le préfet de la Vendée considéra immédiatement comme renfermant plusieurs délits.

Sur une plainte de ce magistrat, adressée au procureur général près la cour de Rennes, M. Brodu, gérant du journal, fut poursuivi par le parquet de Nantes.

L'ordonnance de la chambre du conseil du tribunal de Nantes, ordonnant le renvoi de M. Brodu en police correctionnelle, est à la date du 24 août 1852; il est important d'en transcrire ici les termes, qui précisent parfaitement l'objet de la prévention:

« Le tribunal de première instance de l'arrondissement de Nantes, réuni en la chambre du conseil, conformément à l'article 172 du Code d'instruction criminelle,

« Vu la lettre de M. le procureur général de Rennes, du 19 juillet dernier, contenant un extrait des observations à lui adressées par M. le préfet de la Vendée, sur un article intitulé Chronique de la Vendée, publié par le journal l'Espérance du Peuple;

« Le réquisitoire introductif de M. le procureur de la république, en date du 24 du même mois, tendant à ce qu'il soit informé contre le sieur Brodu, gérant du journal, sous l'inculpation d'avoir porté atteinte à la paix publique, publié ou reproduit des nouvelles fausses;

Enfin le réquisitoire du ministère public, en date du 20 de ce mois ; « Considérant qu'il existe prévention suffisamment établie contre Jean Brodu, gérant de l'Espérance du Peuple, d'avoir dans un article intitulé: Chronique de la Vendée, commençant par ces mots : « La belle paroisse de Cugand, et finissant par ceux-ci: « Quelque haut placés qu'ils soient, etc.,» inséré dans ledit journal, no 149, du 13 juillet 1852, imprimé, publié et distribué à Nantes, et qu'il a signé de son nom, rapporté d'une manière inexacte et présenté avec des circonstances accessoires fausses, les incidents qui se sont produits à l'occasion de l'inhumation du sieur Pequin, filateur à Cugand, et appartenant de son vivant à la religion réformée ;

Que s'il est vrai que, par une nécessité tenant à la disposition des lieux et à l'urgence, le corps du sieur Pequin a été déposé dans un terrain dépendant antérieurement du cimetière catholique de Cugand, et si le cortége, conduit par un pasteur protestant, est entré dans ce cimetière par la porte destinée au convoi des catholiques;

Que s'il est regrettable, d'un autre côté, que des écrits protestants alent été distribués sans l'autorisation de l'autorité administrative, à une population professant un culte différent, il paraît certain, contrairement à ce qui est exposé dans le paragraphe commençant par ces mots : « Le village de Hucheloup, » et finissant par ceux-ci : «Cette scène dérisoire, » que la cérémonie funèbre se serait passée avec une décence parfaite; qu'aucune personne n'aurait été contrainte d'y assister, et qu'enfin il n'aurait été tenu dans le cimetière aucun discours offensant pour la religion catholique ;

« Que, d'autre part, dans le paragraphe commençant par ces mots : « L'autorité départementale, » et finissant par ceux-ci : « Le retour du commissaire,» l'auteur de l'article attribue au préfet de la Vendée des propos que ce fonctionnaire nie avoir tenus;

« Qu'en outre, il paraît inexact d'affirmer, comme le fait le sieur Brodu, que cinquante hommes de la paroisse de Cugand avaient voulu aller, en plein jour, déterrer le corps et qu'ils avaient été retenus par le vicaire;

• Considérant que ce récit, empreint d'un zèle religieux exagéré, d'un

événement qui a excité quelque émotion dans la commune de Cugand, est de nature à troubler la paix publique, mais que cette publication ne paraît pas avoir été faite de mauvaise foi;

• Considérant qu'en publiant l'article dont il s'agit, Brodu est suffisamment prévenu d'avoir, en excitant le mépris ou la haine des citoyens les uns contre les autres, cherché à troubler la paix publique;

• Considérant, quant à l'inculpation du délit de fausse signature, énoncé dans le réquisitoire final du ministère public, que ce chef n'a pas été articulé dans le cours de l'instruction, et que Brodu n'a po, par conséquent, être mis à lieu de s'expliquer à ce sujet dans son interrogatoire:

« Que, d'ailleurs, la prévention n'est pas établie sur ce point, les observations faites par Brodu pour sa justification sur d'autres faits n'impliquant point de sa part un aveu de ne pas s'être approprié, par la composition et la rédaction, l'article qu'il a inséré dans son journal et qu'il a signé ;

Par ces motifs,

1° Dit qu'il n'y a lieu de mettre Brodu en prévention pour fait de fausse signature ;

2° Renvoie Brodu devant le tribunal de police correctionnelle de Nantes, pour y être jugé à raison des autres chefs de prévention ci-dessus prévus et repris par les art. 1o de la loi du 17 mai 1819, 15 du décret du 17 février 1852, et 7 de la loi du 11 août 1848 ;

"Ainsi fait à Nantes, en la chambre du conseil, le 21 août 1852. »

Le ministère public s'étant opposé à cette ordonnance, la cour de Rennes fit droit à son opposition et renvoya M. Brodu devant le tribunal de police correctionnelle de Rennes pour y être jugé, non-seulement sur le délit de fausse signature, qui lui était en dernier lieu reproché, mais encore sur les autres délits relevés et caractérisés par l'ordonnance du tribunal de Nantes.

La compétence du tribunal de Rennes a été maintenue en définitive par un arrêt de la Cour de cassation.

Enfin, le 7 avril 1853, la cause a été plaidée devant le tribunal de police correctionnelle de Rennes.

Le jugement fut rendu le 14 avril. (Nous en avons donné le texte dans le n° 5516, t. 160, p. 149 de l'Ami de la Religion.)

Appel de ce jugement fut interjeté par le sieur Marc.

La condamnation a été confirmée purement et simplement par arrêt de la cour de Rennes.

C'est contre cet arrêt qu'a été dirigé le pourvoi, et aujourd'hui la Cour de cassation en était saisie.

Le pourvoi est fondé sur la violation de l'art. 1o, § 15 du décret du 17 février 1852, de l'art. 155 du Code d'instruction criminelle et 7 de la loi du 20 avril 1810.

M. le conseiller Moreau (de la Seine) fait le rapport de l'affaire.

Me Bosviel, avocat du gérant du journal l'Espérance du Peuple, s'attache à justifier le pourvoi en développant les propositions suivantes :

1o La cour de cassation est compétente pour réviser l'appréciation des faits constitutifs de la fausse nouvelle, au point de vue du décret du 17 février 1852. La Cour de cassation a bien des fois reconnu qu'il lui appartenait de déterminer le caractère des faits dans leur rapport avec les lois répressives, et l'étendue de son appréciation en matière de délit de presse est constatée par des monuments nombreux de jurisprudence;

2 Au fond, les faits constatés comme inexacts par l'arrêt attaqué ne constituent pas le délit de fausse nouvelle. En effet, sur les trois circonstances relevées par l'arrêt comme inexactes, deux ne sont que des appréciations des sentiments des assistants au convoi ou de l'esprit de certaines paroles

attribuées au préfet de la Vendée, ce qui ne saurait constituer la fausseté matérielle d'un fait ; et la troisième ne consiste que dans quelques paroles attribuées à M. le préfet, et qui seraient différentes de celles qu'il aurait réellement prononcées.

1

Mais cette circonstance n'est évidemment qu'un accessoire indifférent, et qui ne peut constituer à lui seal une fausse nouvelle, sans arriver à des impossibilités absolues pour la rédaction des journaux.

3° En supposant même que cette circonstance pût, à raison de son importance, constituer le délit de faux, il faudrait au moins que la Cour de cassation fût mise à même de la juger. Or, la cour de Rennes n'ayant rapportě ni dans les motifs, ni dans le dispositif de son arrêt, les paroles attribuées par le journaliste au préfet et celles que ce magistrat a réellement prononcées, elle a mis la Cour de cassation dans l'impuissance de se prononcer, et violé les art. 195 C. instr. erim., et 7 de la loi du 20 avril 1810.

M. le premier avocat général Nicias-Gaillard a conclu au rejet du pourvoi sur tous les points; mais, contrairement à ces conclusions, la Cour a cassé par les deux moyens tirés, le premier de la violation et fausse application du décret du 17 février 1852, et violation des art. 195 du Code d'instruction criminelle et 7 de la loi du 20 avril 1810, l'arrêt de la cour impériale de Rennes, qui a condamné le sieur Brodu, gérant du journal l'Espérance du Peuple, à 200 francs d'amende pour publication d'une fausse nouvelle.

Bulletin Politique de l'Etranger.

Affaires d'Orient. —l·l règne une grande agitation à Constantinople. Le bruit s'y est répandu que toute l'escadre russ avait quitté Sébastopol et se dirigeait vers le Bosphore. Le Sultan aurait demandé aux ambassadeurs de France et d'Angleterre si leurs escadres combinées seraient prêtes à passer les Dardanelles dans le cas où les Russes voudraient faire réellement une démonstration devant le Bosphore. La réponse aurait été pleinement affirmative. Or on sait que l'empereur de Russie a toujours déclaré qu'il considérerait le passage des Dardanelles comme un casus belli.

Un vapeur turc a été expédié dans la mer Noire, en reconnaissance. Il a à bord des officiers anglais et français : les nouvelles précises qu'il devait rapporter allaient déterminer la conduite qui serait suivie par les ambassadeurs.

Le son côté, la Russie, pour se préparer à toute éventualité, avait fait prendre la mer à une partie de sa flotte dans la Baltique. La citadelle danoise Christiansoë a été mise en état complet d'armement et a reçu une plus forte garnison.

De bruit courait à Varsovie que le grand-duc Constantin, amiral de la flotte russe, était nommé commandant en chef des corps d'armée Luders et Danneberg, sous la direction du chef d'état-major Gortshakoff Les soixantedix mille hommes concentrés au camp de Varsovie s'attendent à recevoir prochainement un ordre de départ.

Le gouvernement de Saint-Pétersbourg a soin de présenter à ses troupes les mouvements qu'elles font comme les préliminaires d'une guerre sainte en faveur de la religion grecque menacée par le mahométisme, ce qui explique aussi pourquoi l'iradé du 6 juin n'a pu être publié dans les lieux où les Russes ont de l'influence. Ainsi les consuls de Russie ont défendu aux Hospodars de le promulguer, en leur rappelant que les armées de leur souverain étaient proches. Dès le 3 juillet, la proclamation du prince Gorts

chakoff était affichée près du palais de l'Hospodar, à la fois en Russe et en Roumain.

Omer-Pacha, généralissime des armées ottomanes, a envoyé au pacha de Belgrade l'ordre de mettre la forteresse en bon état de défense. Cet ordre a été immédiatement exécuté : canons, boulets et mèches sont prêts sur les bastions. La garnison turque a reçu l'ordre de se tenir prête à partir, et cet ordre a été communiqué à la population.

Une lettre de Vienne apprend, d'un autre côté, au Morning-Chronicle, que le prince Gortschakoff, arrivé à Bucharest le 3, a envoyé le général russe Niepokorjtchitski, à Chouinla, avec des dépêches adressées à Omer-Pacha.

Comme le gouvernement russe cherche autant que possible un appui moral dans la presse allemande, nous pensons qu'on ne lira pas sans intérêt le résumé suivant fait par la Gazette de Cologne (9 juillet), des réflexions que le manifeste de l'empereur Nicolas a inspirées à divers journaux allemands:

Le journal le Temps dit que la question de savoir si la Russie a le droit d'occuper les provinces danubiennes est tout à fait oiseuse, quand on considère que l'empereur de Russie déclare dans son Manifeste qu'il ne veut qu'un gage pour la garantie de ses droits. L'Empereur ne fait pas dériver son droit d'occupation des traités existants; mais il use de ce moyen pour donner plus de poids à ses prétentions, qui jusqu'à ce moment n'ont pas été appréciées d'une manière convenable. C'est une sorte d'exécution que le Czar inflige à une puissance qui lui est inférieure et qui n'a pas rempli ses engagements envers lui. La Gazette de Cologne fait à ce sujet les réflexions suivantes : « Cette déclaration du journal ministériel le Temps est tout à fait exacte. Mais quel terrible renversement de tous les principes du droit public européen reconnus jusqu'à ce jour ne contiennent pas ces mots si légèrement prononcés! « La Gazette de Voss expose ce nouveau droit public russe d'une manière très-claire pour tout le monde : « Que signifie cette théorie de prise de possession, de gage, de manifeste russe, si ce n'est que l'Etat qui ne peut obtenir, par les voies amiables, qu'un autre état se soumette à ses exigences exorbitantes, a le droit d'occuper immédiatement ses provinces, comme dans le moyen-âge on infligeait la torture à ceux qui ne voulaient pas avouer!» La Nouvelle Gazette de Prusse veut cacher sous le manteau de la religion la monstruosité internationale de la politique russe. Elle dit que Cromwell n'avait pas eu trop de scrupules quand il s'est agi de protéger les protestants, et qu'elle serait charmée de voir la Prusse dans une situation analogue, protéger avec la même énergie ses coreligionnaires dans les autres Etats. « Nous ferons remarquer à ce sujet, dit la Gazetle de Cologne, que la Nouvelle Gazette de Prusse n'en imposera à personne par de tels sophismes,»

La nouvelle de la reprise des négociations à Constantinople, par l'intermédiaire de M. d'Ozeroff, ne s'est pas confirmée, dit le Journal de Bruxelles. On commence à croire qu'il y a eu erreur dans la dépêche télégraphique publiée par le Moniteur universel.

Plusieurs journaux de Londres annoncent que les crédits ouverts dans cette capitale pour les dépenses du voyage de la grande-duchesse Marie de Russie, qui devait visiter cette année Londres et Paris, ont été retirés. Ils en concluent que le voyage n'aura pas lieu.

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On n'a pas oublié que M. Layard, membre de la Chambre

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