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Quelle n'est pas sa surprise d'apprendre qu'il lui reste, chez son banquier de Londres, soixante mille francs! « Vous êtes un merveilleux surintendant, ou plutôt un vrai magicien en finances. Quoi! il va me revenir de mon ambassade soixante mille francs? Plus d'argent que je n'en ai retiré de ma chère Vallée aux loups, quand elle fut forcée de venir se mettre à l'enchère sur la place du Châtelet, parmi les meubles des pauvres ! Et la somme, qui était alors le strict nécessaire d'un ministre d'Etat châtié, sera aujourd'hui profit d'ambassadeur !!! O fortune! ma tente de pèlerin ne sera jamais ton temple! Vous pouvez être sûr que dans peu de mois il ne me restera plus un patard ! » On ne peut s'empêcher de sourire à cette dernière exclamation: la rareté du défaut en fait presque un mérite. Quelques années auparavant, le duc de Richelieu se retirait pauvre du ministère, après avoir signé la libération du territoire, et il fallait l'intervention des Chambres pour lui faire accepter une dotation qu'il s'empressa de consacrer aux hôpitaux de Bordeaux. En vérité, quand on se reporte à ces traditions de la restauration, on s'en croit séparé par des siècles, et, si c'est là ce que l'on appelle l'ancien régime, il est certain que ce n'est pas le nôtre.

Lorsqu'on a lu la correspondance de M. de Châteaubriand, il faut revenir à la préface du livre la tendre admiration de M. de Marcellus nous ramène au grand écrivain. Celui que M. Joubert peignait ainsi : « Je serai fort aise que vous le voyiez ici pour juger de quelle incomparable bonté, de quelle parfaite innocence, de quelle simplicité de vie et de mœurs, et, au milieu de tout cela, de quelle inépuisable gaîté, de quelle paix, de quel bonheur il est capable, quand il n'est soumis qu'aux influences des saisons, et remué qué par lui-même... (1). » Celui que la Politique de la Restauration nous a montré au pouvoir, si fier devant l'étranger, si confiant dans la victoire, si jaloux de l'honneur français, nous le retrouvons à son foyer, vers les derniers jours de sa vie. Désabusé du monde, ayant vu de près les bassesses humaines, accablé de cet ennui qu'il traîna partout, et que l'âge accroît encore; en proie aux plus sinistres présages, il s'enveloppe dans ses souvenirs comme pour n'avoir rien de commun avec l'avenir, qu'il prévoit et qu'il réprouve. Il se refuse à désavouer un traité prétendu de Vérone, où l'on a apposé sa signature, et, en voyant M. de Marcellus s'indigner de ces calomnies nouvelles contre la Restauration, il le félicite d'avoir si bien gardé sa chaleur d'âme politique. « Conservez-la, lui dit-il; mais, pour cela, fuyez le pouvoir, les Chambres, les soi-disant honneurs, comme Vous l'avez fait si à propos en 1829, et depuis seize ans... Restez à jamais légitimiste,

a Pour conserver encor quelque chose d'humain... »

(1) Joubert, t. II, p. 345.

C'était deux ans avant sa mort.

Ce n'est pas sans émotion qu'on assiste à cette scène et que l'on recueille ces paroles, tombées d'une bouche si illustre et si près de se fermer pour toujours. Sans doute M. de. Châteaubriand avait eu sa part dans les funestes événements, et on regrette avec M. de Marcellus qu'il ne se soit pas rappelé ses propres paroles sur Canning: «L'amour-propre blessé ne se repent jamais, ne revient jamais, ne pardonne jamais, quand il n'est pas combattu dans une âme élevée par des sentiments nobles et par un penchant généreux aux sacrifices. » Du moins, il ne profita pas de ces triomphes, qu'il eût voulu détourner; il tint à l'unité de sa vie, comme à son honneur, et, à travers ses incertitudes et ses tristesses, les plus beaux accents de son génie expirant furent encore pour la Religion et la Monarchie, qui avaient inspiré ses premiers chants.

i. Tel est l'ouvrage de M. de Marcellus: Georges IV et M. de Châteaubriand ont rendu au diplomate les témoignages les plus flatteurs. On connaît l'écrivain: l'auteur des Souvenirs de l'Orient se retrouve avec son style poétique et fin, son tour aimable, son goût antique dans la Politique de la Restauration. Après avoir noblement servi la royauté, M. le comte de Marcellus en raconte les gloires : c'est faire le plus bel usage des loisirs que lui a créés sa fidélité. Charles MERCIER DE LACOMBE.

OCCASION.

Une Collection complète de l'AMI DE LA RELIGION, depuis l'année 1814 jusqu'à nos jours, formant 159 volumes in-8. S'adresser au bureau de l'AMI DE LA RELIGION, 12, rue du Regard.

BOURSE DU 6 JUILLET 1853.

4 1/2, à terme, ouvert à 102 80 102 80 fermé à 102 80.

plus haut, 102 00
Au comptant, il reste à 102 80.
plus haut, 76 25
Au comptant, il reste à 76 50.

3. 0/0, à terme, ouvert à 76 00 fermé à 76 15.

plus bas

plus bas, 76 00

Valeurs diverses: Obligations, de la Ville (1849), à 1,185 » (1852), à 1,285 ».

Fonds étrangers: Rome, 5 0/0 ancien, 98 »; nouveau, 98 ». - Belgique, 5 0/0, 100 >> Espagne, 5 0/0, j. j. 1852, 49 ».

-

On a coté le 4 0/01à »

Actions de la Banque, 2,640 ».

L'un des Propriétaires-Gérants, CHARLES DE RIANCEY.

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IMPRIMERIE DE H. V. DE SURCY ET Co, RUE DE SÈVRES, 37.

(N° 5551.)

L'AMI DE LA RELIGION.

Décrets de la reine d'Espagne relatifs aux
Lieux-Saints.

Nous avons fait pressentir plus d'une fois que la mission de Mgr le Patriarche latin de Jérusalem rencontrait des obstacles de plus d'un genre ; il était difficile qu'il en fût autrement. Depuis cinq siècles et demi que cette chrétienté se trouvait hors du droit commun, des coutumes se sont établies, l'administration spirituelle et temporelle s'est façonnée à des usages que sanctionne une longue tradition, et que cependant devait modifier l'intervention d'une autorité supérieure ; car à quoi bon rétablir un patriarche, si tout devait marcher exactement comme par le passé? Or, chacun sait ce qu'il en coûte pour introduire, nous ne dirons pas une réforme, mais même un changement dans des habitudes invétérées.

Les choses se seraient bien passées si Mgr Valerga n'avait eu qu'à s'adresser à l'obéissance religieuse des Pères de la TerreSainte. Ces pieux et dévoués gardiens de nos sanctuaires les plus vénérés n'auraient pas eu l'idée de se faire un titre de leurs sacrifices séculaires. Ils avaient prié, souffert auprès du tombeau du Sauveur sans autre désir que celui d'accomplir un devoir d'autant plus précieux à leurs yeux qu'il était accompagné de déboires continuels et de dangers sans cesse renaissants. Milice invincible, ils étaient restés, souvent au prix de leur vie, au poste que leur avait confié le Saint-Siége, toujours prêts à déposer l'autorité exceptionnelle dont ils étaient revêtus, dès qu'un chef hiérarchique serait rendu à l'Eglise de Jérusalem.

Mais d'autres influences, que nous ne voulons pas rechercher ici, ont jeté dans la question un élément de discorde. On en a appelé á l'amour-propre national; on a prétendu que les droits de l'Espagne étaient méconnus; on a pressé le gouvernement de S. M. Catholique d'intervenir et de prendre la défense des religieux espagnols, comme s'ils étaient menacés de vexations intolérables. Cette tactique a porté ses fruits.

Le 4 avril dernier, Mgr le Patriarche avait pris une mesure administrative provisoire formulée dans le décret suivant :

Après un examen sérieux, obéissant à notre conscience et de notre propre délibération, nous ordonnons ce qui suit :

1° A dater de la publication du présent décret, ni le P. Custode ni les autres religieux chargés de l'administration des fonds de Terre-Sainte, ne percevront sans notre autorisation expresse le montant des aumônes de toute espèce destinées aux Lieux Saints et à leur garde, qui, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, leur arriveraient désormais; nous

L'Ami de la Religion, Tome CLXI.

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leur défendons également de négocier les lettres de change qui leur seraient adressées pour le même objet.

2o Le T.-R. P. Custode et les TT. RR. PP. du Discrétoire prendront les dispositions nécessaires pour que les sommes envoyées de quelque partie de l'Europe que ce soit, arrivent à Jérusalem et non dans les autres couvents de la Custodie.

3o Notre décret du 6 août 1852 conserve toute sa force en tout ce qui ne s'oppose pas au présent acte.

4° Le T.-R. P. Custode et les TT.-RR. PP. du Discrétoire prendront leurs mesures pour que les religieux chargés de l'administration à Jérusalem et dans les autres couvents et hospices de la Custodie, se conforment exactement à ce que nous venons d'exposer et dont nous chargeons leur conscience.

5o Notre présent décret sera observé jusqu'à ce que la sacrée Congrégation de la Propagande ait ordonné le système d'administration et arrêté le budget des dépenses, ou pris sur ce sujet les dispositions qu'elle jugera con

venable.

Donné à Jérusalem, au patriarcat, le 4 avril 1853. JOSEPH, patriarche. DEQUEVAUVILLER, chancelier.

Cet acte fut aussitôt dénoncé à l'opinion publique en Espagne. On l'attaqua comme contraire aux ordonnances des rois espagnols, on insinua que Mgr Valerga agissait à l'insu du Pape et de la sacrée Congrégation de la Propagande, on s'écria que les Lieux-Saints allaient être perdus pour les Catholiques si le système du patriarche était toléré, on mit formellenient le gouvernement en demeure de faire révoquer des mesures aussi désastreuses, et le 14 juin dernier la reine Isabelle rendit deux décrets dont voici la teneur :

« Conformément à ce qui m'a été proposé par mon conseil des ministres, je décrète ce qui suit :

« Art. 1er. Il est créé un consulat à Jérusalem, chargé de s'entendre avec les religieux franciscains espagnols résidant en Palestine, pour soutenir activement les intérêts de la religion et de l'Etat, et empêcher que les antiques droits et prérogatives de ma Couronne dans les Lieux-Saints ne soient

méconnus.

« Art. 2. Est suspendu tout envoi direct des fonds provenant de l'œuvre pie, aux religieux de la Palestine. Les remises devront être adressées au consul, afin que, d'accord avec les Pères Franciscains, il les applique aux objets propres de leur institution, sans qu'aucune autre autorité intervienne ou en ait connaissance.

« Art. 3. Les envois d'argent ou d'effets qui, à l'avenir, seraient destinés aux Lieux-Saints, seront faits par ordre exprès du ministre des affaires étrangères, duquel dépendra, dès à présent, l'OEuvre pie de Jérusalem.

« Art. 4. Il sera nommé une commission composée d'un diplomate, d'un financier, de deux ecclésiastiques et de deux orientalistes, laquelle examinera sans désemparer les archives de l'OEuvre pie, l'état de ses fonds et ressources et tout ce qui s'y rapporte, et qui proposera ensuite les mesures qu'elle jugera les plus propres au prompt et heureux accomplissement de l'objet que je me propose. Cette commission présentera aussitôt que possible

un Mémoire historique légal sur le droit de la Couronne d'Espagne au pa-tronage des Lieux-Saints.

Art. 5. Le commissaire actuel des Lleux-Saints devra, dans un court délai, rendre compte, avec pièces à l'appui, des fonds disponibles de l'Euvre pie et de ses crédits, et remettre le tout à la personne désignée à cet effet par le ministre des affaires é rangères. Il fournira également à ladite commission tous les documents qui peuvent lui faciliter l'accomplissement de sou mandat.

Art. 6. Le Gouvernement entamera immédiatement des négociations avec le très-révérend Nonce de Sa Sainteté en Espagne pour la révocation et la modification des dispositions prises par la Congrégation de la Propagande qui pourraient tendre à diminuer les droits de ma Couronne en TerreSainte.

« Art. 7. Après informations préalables, il sera fait choix d'une maison pour l'admission et l'éducation des missionnaires franciscains destinés à la Terre-Sainte.

• Donné à Aranjuez, le 24 juin 1853.

« SIGNÉ DE LA MAIN DE LA REINE.

« Le ministre intérimaire des affaires étrangères,
« FRANCISCO DE LERSUNDI. »

« II. Conformément à l'art. 4 du décret ci-dessus, je nomme, sur la proposition de mon ministre des finances, pour former la commission mentionnée audit article : D. Joaquin de Mora, en qualité de diplomate; D. Buenaventura Carlos Ariban, en celle de financier; D. Francisco Ping y Esteve et D. Sebastian Vehel, en celle d'ecclésiastiques, et D. Simbaldo de Mas et D. Pascual Gayangos, en celle d'orientalistes.

« Donné à Aranjuez, etc. »

Ce qui frappera tout d'abord les Espagnols, c'est que l'OEuvre pie de Jérusalem est soustraite au commissaire ecclésiastique pour dépendre désormais du ministre des Affaires étrangères, et nous doutons fort qu'ils soient enclins à confier des fonds pieux à l'autorité séculière: ils n'ont pas encore oublié comment ont été administrés les biens de l'Eglise sur lesquels la nation a mis la main.

Admettons toutefois que, rassurés par les dispositions chrétiennes du gouvernement actuel, les fidèles continuent leurs saintes libéralités, qui peut dire que leurs intentions ne soient pas violentées par le décret de la Reine? Est-il bien sûr que les aumônes soient faites aux seuls religieux espagnols? Ne sont-elles pas, au contraire, probablement destinées à soutenir la religion catholique dans la TerreSainte, et de quel droit alors le gouvernement met-il entrave à l'autorité du Patriarche à qui seul appartient l'administration de son Eglise ? On va plus loin: c'est le consul qui, d'accord avec les Pères franciscains, les appliquera (les aumônes) aux objets propres de leur institution. En sorte que voilà dans la Terre-Sainte une administration de choses ecclésiastiques, en dehors de l'autorité patriarcale, en opposition peut-être avec elle, et dirigée par un laïque, d'accord avec quelques religieux ! Et si les Franciscains des autres nations

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