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plus d'une fois offert : il le refusa toujours, croyant mieux servir la cause qu'il aimait par ses discours et ses écrits que dans la pratique des affaires. Ce fut l'époque où il se plaça définitivement parmi les premiers orateurs de l'Espagne. On cite surtout son discours en faveur de ce que l'on a appelé en France les mariages espagnols, c'est à-dire l'alliance simultanée de la reine Isabelle avec son cousin germain, l'infant don François d'Assise, et de sa sœur et héritière présomptive avec M. le duc de Montpensier. Le roi Louis-Philippe lui envoya, à cette occasion, les insignes de grand officier de la Légion d'honneur. Il avait déjà reçu un titre de Castille, par l'érection en marquisat de sa terre de Valdegamas. Peu après il entra dans la carrière diplomatique et alla occuper le poste de ministre plénipotentiaire d'Espagne à Berlin.

Ces détails sur les commencements de cette trop courte carrière ne nous semblent point indifférents. Il est bon de savoir au sein de quels travaux et de quelles luttes s'est formé ce noble esprit, et à quelle source il avait puisé cette contemplation si haute et si-nette des hommes et des choses do son siècle. Il est bon de le rappeler à ceux qui nous prêchent chaque jour les avantages moraux du sommeil et du silence, et qui semblent ne rêver pour les nations catholiques d'autre rôle politique que de peupler une vaste antichambre, où chacun ne doit plus qu'attendre sans impatience et exécuter sans bruit les décrets du maître. Pour devenir tels que nous les avons aimés et admirés, Balmès et Donoso Cortès ont eu besoin d'une autre école. C'est à Berlin que vint le surprendre la Révolution de Février, ou pour mieux dire la catastrophe européenne de 1848. Mais, auparavant, son âme avait subi une révolution aussi radicale que bienfaisante. Nous l'avons déjà indiqué au milieu des labeurs et des succès de sa jeunesse, il était resté étranger à toute pensée sérieusement chrétienne. Il n'avait jamais renié la foi de son enfance. Son langage était toujours respectueux, ses mœurs étaient restées pures; son âme, comme nous l'avons vu, avait même été conviée de bonne heure à goûter le calice salutaire de la douleur. Mais ni la majesté ni la miséricorde de Dieu, ni la triomphante vérité de l'î`glise ne s'étaient encore révélées à lui. L'heure du réveil sonna pour cette âme prédestinée, un peu avant qu'elle ne semblât sonner le deuil de toutes les monarchies du continent.

Notre Juan avait un frère nommé Pedro, plus jeune que lui d'une année, compagnon fidèle de ses études et tendrement aimé depuis l'enfance. La communauté de leurs premières études n'avait pas enfanté l'uniformité de leurs opinions. Pedro avait montré plus de goût pour la théologie que pour la politique : il était resté chrétien sincère et pratiquant. Il avouait sa préférence pour la monarchie absolue et pour la cause de don Carlos. Ces dissentiments n'altéraient en rien l'union des deux frères. « Je l'aimais, di« sait Donoso, autant et peut-être plus qu'il n'est permis d'aimer une créa« ture humaine. » En 1847, Pedro tombà mortellement malade : Juan, alors absent de Madrid, vola auprès de son frère. Les souffrances et le danger du malade amenèrent naturellement l'entretien sur ce terrain où la vérité suprême attend tôt ou tard les esprits faits pour elle. Au milieu de ses anxiétés, Juan raconta à son frère sa rencontre à Paris avec un compatriote dont la vertu, la charité, la simplicité l'avaient singulièrement frappé, et lui donnaient à penser qu'il y avait dans la profession d'honnête homme un degré dont il restait encore éloigné, tout fier qu'il se croyait de son hon

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neur et de sa vertu. Il s'était senti subjugué par cette vertu différente de toutes les vertus de sa connaissance. Il en avait parlé à l'Espagnol et celuici lui avait tout simplement répondu: « En effet, vous êtes un honnête « homme, et moi aussi : et il y a quelque chose, dans mon honnêteté, de su«périeur à la vôtre. A quoi cela peut-il tenir? A ce que je suis resté «< chrétien, tandis que vous ne l'êtes plus. » En entendant ce récit, le moribond se tourna vers le narrateur et lui dit : « Oui, mon frère, il t'a donné la vraie raison. » Et là-dessus, avec la double autorité de l'amour et de la mort, il se mit à lui expliquer le sens de cette parole. La grâce parla en même temps à ce grand cœur trop longtemps dépaysé. Pedro mourut le. lendemain, en léguant à son frère la vérité, la foi et son confesseur.

L'ambassadeur d'Espagne racontait lui-même ces détails avec une naive et noble franchise, dans un salon de Paris, au mois de mars dernier (1). Quelqu'un lui dit : « En vérité, Dieu vous a fait là une grande grâce, en vous éclairant ainsi subitement au milieu de votre carrière, et quand vous. ne pensiez plus à le chercher. Il faut qu'il y ait eu dans votre vie quelque. circonstance particulière qui vous ait mérité une telle faveur. Je ne m'en rappelle aucune, » répondit M. Donoso Cortès; mais après avoir réfléchi un instant, il ajouta : « Peut-être, un sentiment a pu être agréable à Dieu. Je n'ai jamais regardé le pauvre assis à ma porte, sans penser que je voyais en. lui un frère ! »

Lui-même écrivait à un ami, en lui envoyant le récit de sa conversion :. « Comme vous le voyez, le talent et la raison n'y ont aucune part; avec mon faible talent et ma misérable raison, je serais arrivé à la tombe avant d'atteindre à la vraie foi. Le mystère de ma conversion (car dans toute conversion, il y un mystère), est un mystère d'amour. Je n'aimais pas Dieu, il a voulu étre aimé de moi, et je l'aime ; et je suis converti par ce que je l'aime (2). » Ch. DE MONTALENBERT.

(La suite à un prochain numéro.)

Notre correspondant nous rapporte que dans les derniers jours de juillet, le prince héréditaire des Pays-Bas passant par Boxmeer, dans le Brabant, voulut visiter le vaste monastère des religieuses carmélites de cette ville. Boxmeer est une ville catholique, qui possède un couvent de Carmes dont les membres desservent toutes les églises. Le monastère des Carmélites est placé sous la juridiction spirituelle des Pères.

Au moment de la visite du prince héréditaire, arrivait à Boxmeer le T.-R. P. Priori, procureur général de l'Ordre des Carmes, à Rome, qui venait, conformément aux instructions du Souverain-Pontife, visiter les maisons de son ordre en Allemagne.

(1) Je les emprunte au récit qu'en a rédigé l'un des auditeurs, M. le comte de Boisle-Comte, ancien ambassadeur du roi Louis-Philippe en Suisse, qui avait obtenu de M. Donoso Cortès la confirmation écrite de son texte et l'autorisation d'en faire l'usage qu'il jngerait convenable.

(2) Lettre du 21 juillet 1849 à M. Albéric de Blanche-Raffin, traducteur de Balmès. Cette lettre renferme un jugement éloquent et affectueux sur Balmès, que Donoso n'avait jamais rencontré, mais qu'il avait fini par apprécier à sa juste valeur, et qu'il qualifie d'esprit « lumineux, pénétrant, solide, ferme dans la foi, agile dans la lutte, grand par la polémique et par la doctrine, écrivain et philosophe.

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Le Prince, admis dans le couvent, exprimait son admiration pour tout ce qu'il voyait, lorsqu'il apprit qu'un visiteur était récemment arrivé, et que le P. Priori, consulteur de plusieurs congrégations romaines, était, par la science, un des hommes les plus distingués de la ville sainte, et par la vertu un de ses religieux les plus recommandables.

Le Prince témoigna aussitôt le désir de faire connaissance avec lui, et le R. P. Priori ayant été prévenu, se rendit avec empressement auprès du Prince, qui l'accueillit avec la plus gracieuse courtoisie.

Le jeune héritier du trône, que l'on dit doué d'une remarquable intelligence, parla beaucoup de Rome, de ses antiquités, du désir de les visiter; il demanda surtout des nouvelles de Sa Sainteté, dont il lui tardait de connaître par lui-même l'affabilité, la douceur et l'auguste simplicité. Le Prince ajouta qu'il possédait un portrait du Souverain-Pontife, mais qu'il avait été désolé d'apprendre que la ressemblance laissait beaucoup à dés!rer. Le T.-R. P. Priori, qui avait en sa possession quelques exemplaires d'un très-beau portrait de Pie IX, les offrit au Prince, qui fut charmé de ce cadeau, et qui accepta aussi du procureur général des Carmes quelques médailles en bronze à l'effigie de Sa Sainteté et des apôtres saint Pierre et saint Paul.

En remerciant le T.-R. P. Priori, le Prince lui promit, quand il irait à Rome, d'aller lui rendre visite dans son couvent. Il ajouta qu'en attendant le jour où il lui sera donné d'offrir ses hommages à Sa Sainteté, il se dédommagerait en contemplant souvent ses traits augustes, grâce au beau portrait qu'il venait de recevoir.

Les sentiments exprimés par le prince des Pays-Bas dans cette entrevue avec le procureur général des Carmes sont allés bien au delà des expressions d'une banale courtoisie. Le Prince, en parlant des catholiques, de leur église et de leur chef spirituel, a paru s'élever bien au-dessus des préventions qui égarent en ce moment ses coreligionnaires protestants. Jules Gondon. (Univers.)

Bulletin politique de l'Étranger.

Belgique. Depuis quelque temps, des inquétudes se manifestaient en Belgique au sujet de la récolte. Selon l'usage, on se laissait aller à exagérer les choses, bien que le gouvernement, par son arrêté royal du 28 août, qui a décrété la libre entrée des céréales, grains et farines de toute espèce, eût cherché à satisfaire les besoins publics..

La ville de Liége vient d'être le théâtre de troubles regrettables à l'occasion de la hausse du prix des céréales. Le bruit s'étant répandu dans! la classe ouvrière que cette hausse était due à l'arrivée de marchands français chargés de faire de nombreux achats, une foule d'ouvriers se porta sur la Batte où se tient le marché aux grains. L'autorité crut devoir prendre des mesures de précaution et envoyer sur les lieux trente gandarmes. Ceux-ci, rencontrant de l'opposition, cherchèrent à dissiper les groupes. Plusieurs personnes furent contusionnées par les chevaux.

Aussitôt le peuple se porta à la manufacture d'armes. Le factionnaire fut terrassé, des armes venaient d'être enlevées, lorsque la gendarmerie survint, reprit les armes et opéra des arrestations, à la suite desquelles l'attroupe ment se dispersa de lui-même.

Toute la soirée du 30, il y eut sur les quais et dans les rues des groupes considérables. La force publique agissant sur la place du marché, fut vivement insultée: on lançait contre les agents de police des pierres et des briques; plusieurs de ceux-ci ont été frappés et blessés.

Durant la nuit entière, un bataillon de troupes de ligne et des artilleurs ont bivouaqué dans la cour du palais.

Dès le mardi matin, le bourgmestre faisait afficher une proclamation dans laquelle il exhortait les citoyens à repousser la voix de ceux qui veulent les égarer.

Le mouvement de sédition ne devait pas se borner à attrister la ville de Liége. Dans la nuit de mardi, on a répandu des provocations imprimées dans les rues de Gand: mais nous aimons à constater que des hommes du peuple et des paysans, ayant ramassé ces placards incendiaires, les ont, de leur propre mouvement, portés aux bureaux de police.

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Le Moniteur belge a fait paraître hier un article destiné à rassurer les esprits au sujet des céréales et à prévenir le retour de nouveaux troubles. Espagne. Les journaux de Londres contiennent une partie de la correspondance échangée entre le représentant de l'Angleterre à Madrid, lord Howden et le gouvernement espagnol sur une question qui menace de prendre un caractère assez grave. Il s'agit du droit que réclame depuis longtemps l'Angleterre de faire enterrer, de la manière dont elle le juge convenable ceux de ses sujets protestants qui meurent en Espagne

Il résulte d'une note du général Lersundi que le gouvernement espagnol consent à accorder la permission d'établir, à l'endroit nommé de la Herra dura, à peu de distance de la colline de San-Damaso, dans le voisinage de Madrid, un cimetière pour l'inhumation des sujets britanniques protestants qui viendraient à mourir dans cette capitale, sous les conditions suivantes : a 1o Le cimetière sera établi sur la colline de San-Damaso hors de la porte de Tolède, et l'on se conformera à ce sujet aux règlements sanitaires prescrits pour les établissements de ce genre.

◄ 2o Aucune église, ni chapelle, ni autre temple quelconque pour l'exercice public ou privé du culte, ne pourra être bâti dans ce cimetière.

3° Il est défendu d'accomplir un acte quelconque ou de se servir d'un signe ou indication quelconque de l'exercice d'un service divin quelconque. 4o Dans le convoi des morts au lieu de la sépulture, on évitera toute espèce de pompe et de publicité.

Le gouverneur civil de cette province a déjà été informé de la susdite décision royale ; et en la communiquant à Votre Seigneurie, je ne puis m'empêcher d'ajouter que relativement à ce que me communique le ministre de, l'intérieur, le mot gratuit, appliqué aux délais que cette affaire a éprouvés, n'est pas juste; car malgré les désirs et les efforts de l'administration, il est quelquefois des causes puissantes qui occasionnent des délais dans l'expédition des affaires, et c'est ce qui a eu lieu précisément dans l'affaire dont il s'agit. »>

Lord Howden a répondu à cette Note avec une irritation qui nous paraft sortir étrangement des convenances de rigueur dans les relations diplomatiques. Voici la fin de sa réplique :

<< Mon but, en écrivant cette Note, est de faire observer à Votre Excellence que la clause en question ouvre un champ à beaucoup de confits futurs entre la Légation britannique et le département de Votre Excellence.

« Je décline toute responsabilité quant à l'exécution de cette clause (la 4o), selon le désir exprimé par le gouvernement espagnol ou selon la manière dont le mot pompe peut être apprécié par une population ignorante ou fanatique. Je ne sais si l'état de l'Espagne permettrait un tel hommage rendu à la dignité civile; mais dans tous les autres pays du monde, c'est précisément aux autorités civiles que le représentant d'un Etat étranger doit s'adresser pour avoir toute protection lorsqu'il s'agit de transporter un corps humain dans sa tombe. Peut-être aurai-je l'occasion de mettre la chose à l'épreuve.

J'ai hâte de terminer cette communication, car il m'est impossible dela faire sans un sentiment d'irritation. Si dans les rues de Londres, où je me rends maintenant, j'ai le malheur de rencontrer un Espagnol conduit avec publicité au tombeau, et que je me découvre avec respect devant son corps, ma douleur sera adoucie par la pensée qu'il sera enterré comme un chrétien, et mon amour-propre sera satisfait lorsque je me rappellerai que cet hommage est rendu à une créature de Dieu par des chrétiens qui sont mes compatriotes.

« Je ne puis terminer sans exprimer mon profond regret de ce que la conduite de l'Espagne soit telle, qu'elle ne peut que produire une opinion de plus en plus défavorable dans le public anglais à son égard, et qu'il doit infailliblement en résulter un sentiment qu'il n'est au pouvoir d'aucun gou-' vernement de combattre ou de diriger. »

Aux causes de mésintelligence qui semblent diviser l'Angleterre et l'Espagne, vient se joindre une mesure dont la portée n'échappera à personne. On a reçu ce matin une dépêche télégraphique (privée) de Madrid annonçant, sous la date du 29 août, la publication dans la Gazette officielle d'un décret royal qui interdit l'entrée et la circulation du journal anglais le Times dans toute l'étendue du territoire espagnol.

Affaires d'Orient, Tout ce que l'on savait déjà, au sujet de l'acceptation, par le Divan, de la Note de Vienne, est confirmé par les nouvelles que nous recevons de Constantinople. On mande de cette ville, le 22 (télégraphie privée), que le colonel Ruff en est reparti pour Vienne, porteur d'une lettre que le Sultan adresse à l'empereur d'Autriche et dans laquelle Abdul-Medjid exprime à ce souverain ses vifs remerciments. Comme nous l'avons dit, le projet de médiation n'a subi que de légères modifications de la part du gouvernement ottoman. C'est la décision prise dans l'assemblée extraordinaire du 18, à laquelle assistaient les patriarches, que la dépêche du 19 août a fait connaître. Mais ce qui n'a pas été suffisamment éclairci, ce sont les difficultés que la décision à prendre a rencontrées à Constantinople même, dans le conseil des ministres qui s'est assemblé six fois en huit jours, et où chaque fois le parti de la résistance a prévalu. Dans le grand conseil extraordinaire, composé de 60 membres, l'opposition a d'abord triomphé. Le Sultan, qui ne se dissimule pas les sacrifices qu'on impose à la dignité de la Turquie, n'avait point suspendu les préparatifs de guerre. Cependant, la Note qui a paru au Moniteur et les depêches télégraphiques que nous avons citées ne laissent plus de doute sur un dénoûment pacifique.

L'unique et dernière difficulté portait sur la question de l'évacuation des principautés danubiennes. Or, sur ce point, le Divan s'en réfère à la loyauté des engagements pris par la Russie. Cet événement peut être, dès mainte

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